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La Scena Musicale - Vol. 5, No. 6

Les pianistes canadiens

1 mars 2000

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Y a-t-il une vie pianistique hormis Glenn Gould? Bien sûr! La Scena Musicale présente ce mois-ci un panorama des pianistes canadiens. Le choix était déchirant. Des critiques et des personnalités du monde du classique nous font part de leurs coups de coeur. De belles découvertes !


Germaine Malépart et John Newmark

par Clément Trudel
(critique musical au Devoir, Montréal)

Germaine Malépart et John Newmark Deux des pianistes qui ont fortement marqué la vie musicale montréalaise furent de grands pédagogues et communicateurs : Germaine Malépart (prix d'Europe 1917) et John Newmark, soliste et accompagnateur.

La Société des concerts symphoniques de Montréal - l'ancêtre de l'OSM - eut, parmi ses premiers solistes invités, la pianiste Germaine Malépart (1898-1963). Cette ancienne élève d'Arthur Letondal avait très tôt acquis la réputation d'excellente interprète. C'est en 1911, au Ladies' Morning Musical Club, que Mme Malépart fit ses débuts, à 13 ans; elle se produisit également en France, aux salles Gaveau et Pleyel, dans les années 20. Après de nombreuses tournées, elle se consacra à l'enseignement, influençant de la sorte la formation de nombreux musiciens.

Dans ses mémoires (Une symphonie inachevée, Leméac, 1972), Wilfrid Pelletier énumère les premiers professeurs embauchés au Conservatoire de musique du Québec. Outre de nombreux étrangers, il avait notamment retenu, chez les Québécois, Germaine Malépart.

Décédée en 1963, son influence se fait encore sentir chez les très nombreux élèves qu'elle a formés et motivés au fil des ans.

John Newmark, né Hans Neumark en 1904 à Brême (Allemagne), naturalisé canadien en 1946, resta quant à lui un grand défenseur de la musique allemande. Le Neue Kammermusik Bremen est sa création. La montée du nazisme l'obligeant à fuir l'Allemagne, il fut mis aux arrêts par les Anglais dans l'île de Mans. Interné par la suite dans des camps de concentration au Canada, on le libéra en 1942. Newmark ne tarda pas à imprimer sa marque sur la programmation de la SRC/CBC et, en 1944, il joua pour la première fois sur nos ondes l'intégrale des trios de Beethoven, avec le violoniste Alexander Brott et le violoncelliste Roland Leduc. Il reçut, en 1952, le Grand Prix de l'Académie Charles-Cros pour un enregistrement réalisé aux côtés de Kathleen Ferrier. Accompagnateur régulier de la réputée Maureen Forrester, son nom reste associé à la création de nombreuses œuvres canadiennes.

John Newmark est décédé en 1991; il nous a laissé une vaste discographie, entre autres des enregistrements avec les ténors Léopold Simoneau et Richard Verreau.

Ces deux pianistes comptent parmi ceux qui, au XXe siècle, ont creusé des sillons profonds dans un univers artistique trop souvent braqué sur des célébrités éphémères. Comme le rappelle le titre d'un roman de Roch Carrier : Il n'y a pas de pays sans grand-père.


André Mathieu

par Marielle Leroux

Parmi les grands pianistes canadiens du début du XXe siècle, on retient le nom d'André Mathieu, et on se souvient, entre autres, de sa fabuleuse carrière d'enfant prodige, les critiques l'ayant même surnommé le « Mozart canadien ». Fils du compositeur Rodolphe Mathieu, André présente son premier récital au Ritz-Carlton à Montréal à l'âge de six ans, interprétant ses propres compositions et soulevant l'enthousiasme des auditeurs. Le jeune pianiste compositeur est rapidement acclamé comme un génie à Montréal, à Paris et à New York. Malgré un départ fulgurant, la carrière d'André Mathieu ne saura garder son éclat initial. Ses dernières années en tant que concertiste sont marquées par la désorganisation, un sentiment de solitude et un problème d'alcoolisme. Il meurt en 1968, à l'âge de 39 ans. Parmi ses compositions, on retrouve de nombreuses pièces pour piano, des œuvres vocales ainsi que deux concertinos et quatre concertos pour piano et orchestre. Le Concerto no 3 (1947), qui deviendra populaire sous le nom de Concerto de Québec, a été utilisé dans le film canadien La Forteresse. André Mathieu a lui-même fait l'objet d'un film de l'ONF réalisé par Jean-Claude Labrecque, intitulé André Mathieu, musicien (1993). Si sa virtuosité et son enfance extraordinaire font maintenant partie de l'histoire des pianistes de chez nous, ses compositions restent à découvrir pour la majorité des musiciens.


Yvonne Hubert

par Marc Samson
(ancien critique pour Le Soleil , Québec)

Yvonne Hubert Leurs noms n'apparaissent pas sur les affiches des concerts. Ils figurent habituellement à la fin des biographies et certains artistes ne se donnent même pas la peine de les mentionner. Qui sont-ils ? Les professeurs. Ceux qui, dans l'ombre, forment et façonnent les artistes, les vrais.

En musique, au Québec, l'une d'elles se distingue entre tous : Yvonne Hubert - Mademoiselle Hubert, comme l'appelaient avec déférence tous ses élèves. Née en Belgique, Française de formation (auprès de Cortot et de Fauré notamment), sa carrière internationale de concertiste en compagnie de son frère, le violoncelliste Marcel Hubert l'amène au Canada. Elle se fixera à Montréal en 1926 et, peu à peu, deviendra un professeur très recherché. En fait, Mademoiselle Hubert a formé la presque totalité des pianistes du Québec qui font aujourd'hui carrière. Quelques noms au hasard : Ronald Turini, Janina Fialkowska, Marc-André Hamelin, André Laplante, Louis Lortie, Stéphane Lemelin, Henri Brassard, Marc Durand. Exigeante mais juste, tenace mais humaine, dévouée mais d'une autorité qu'il valait mieux ne pas contester, Yvonne Hubert savait tirer le maximum de ses élèves. Par une sorte de magie, elle parvenait à transformer en d'honorables pianistes des élèves modestement doués. Quant à ses étudiants plus brillants, elle n'avait de cesse que de les pousser aux limites de leur don. Certains de ses élèves en parlent encore avec une sorte de vénération; d'autres, ingrats, l'ont déjà oubliée. Les premiers ont reconnu tout ce qu'ils lui doivent, les autres n'ont pas entièrement compris leur chance d'avoir été « entre les mains » de cette éminente pédagogue.


Charles Reiner

par Jean-Pascal Hamelin
(producteur de disques, maison Palexa)

Charles Reiner Né en 1924, Charles Reiner étudie à l'Académie Franz Liszt de Budapest et obtient son diplôme de concert en 1947. Il est lauréat au Concours international de Genève l'année suivante. Il étudie au Conservatoire de Genève avec Louis Hiltbrandt et Dinu Lipatti, et obtient un premier prix de virtuosité en 1949. Il se produit alors dans de nombreuses villes d'Europe et on lui décerne le prix de l'Organisation internationale des réfugiés (1950). Naturalisé canadien en 1956, il entreprend alors une grande carrière en musique de chambre : il a depuis travaillé avec, entre autres, Maureen Forester, Jean-Pierre Rampal, Pierre Fournier, Antonio Janigro, Hyman Bress, Arthur Leblanc, Igor Oïstrakh et Ruggiero Ricci.

Le pianiste préféré du violoniste Henryk Szeryng, il a donné avec lui au-delà de 900 concerts (dont une vingtaine au Carnegie Hall). Un témoignage émouvant de ce duo légendaire a été enregistré à Pittsburgh en 1979 (œuvres de Bach, Beethoven, Brahms, Szymanowski, entre autres).

Nous attendons avec impatience la réédition de la version de référence des deux sonates pour violon de Bartók avec le violoniste Hyman Bress.

Charles Reiner a donné, en 1996, un récital Beethoven à la salle Pollack, enregistré par Radio-Canada, pour célébrer ses 45 années de vie musicale au Canada : un événement inoubliable !


Bouchard et Morisset

par Marc Samson

Bouchard et Morisset Victor Bouchard et Renée Morisset occupent une place unique sur la scène musicale canadienne. Leur carrière les a réunis et ils forment depuis plus de 40 ans - contrairement à d'autres musiciens qui se retrouvent plus ou moins sporadiquement - un duo de pianistes qui a permis à nombre de mélomanes d'entendre, voire de découvrir, un répertoire vaste et varié, quoique trop souvent négligé. Ce répertoire va de Jean-Sébastien Bach à nos jours, avec une prédilection pour Mozart et Schubert, ces piliers de la littérature pour deux pianos et piano pour quatre mains.

Plusieurs compositeurs canadiens ont écrit à l'intention des duettistes, notamment Clermont Pépin, Jacques Hétu et Roger Matton. De ce dernier, ils créèrent, en 1964, le Concerto pour deux pianos (qui leur est dédié) avec l'Orchestre symphonique de Québec sous la direction de Pierre Dervaux, pour ensuite le reprendre avec la plupart des orchestres canadiens et l'enregistrer avec le Toronto Symphony dirigé par Walter Susskind.

Tout au long de leur carrière, tant nationale qu'internationale, la réputation de Bouchard et Morisset a été celle d'un duo « soudé » (non seulement par la musique, mais aussi par le mariage), parfaitement synchronisé, très soucieux de la justesse du style et d'une musicalité sensible.


Angela Hewitt : Bach est toujours au Canada

par Stéphane Villemin
(auteur du livre Les grands pianistes)

Angela Hewitt Après la mort de Gould, il pouvait paraître délicat de jouer Bach au piano, surtout pour un canadien. Angela Hewitt a su trouver sa voie sans ressentir le besoin d'imiter qui que ce soit.

À la suite de son triomphe au Concours de piano J.S. Bach de Toronto en 1985, Angela Hewitt s'est produite principalement sur les scènes anglo saxonnes, ainsi qu'en Asie. Elle réalise actuellement une intégrale des œuvres pour clavier de Bach. Selon les critiques du magazine anglais Gramophone, ses « Inventions, Suites anglaises et Partitas éclipsent toute la concurrence ». En septembre dernier, elle réalisa un tour de force en jouant à Toronto les Variations Golberg dans leur intégralité avec toutes les reprises, ce qui représentait 82 minutes de musique ininterrompue. Cette dame à la charpente délicate fit preuve d'une méticulosité et d'un courage remarquables. Son exposition du thème, entre silence et son, son énergie et la vigueur de ses contre-chants révélèrent sa maîtrise d'un monument qu'elle remet régulièrement sur le métier. La confiner à Bach serait une erreur. Angela Hewitt excelle aussi dans Olivier Messiaen comme dans Granados. Une spécialiste, en général.


Lucille Chung

par Jean-Pascal Hamelin

Lucille Chung Lucille Chung a à peine 10 ans lorsqu'elle remporte le premier prix du Concours de l'Orchestre Symphonique de Montréal, faisant d'elle sa plus jeune récipiendaire. Parmi les nombreux prix qu'elle a remportés depuis, les plus prestigieux sont le premier prix du Concours international Stravinski (1989), le deuxième prix ainsi que le prix spécial pour la meilleure interprétation de l'œuvre inédite du Concours international de Montréal (1992), et le deuxième prix du Concours international Franz Liszt à Weimar (1994).

Lucille Chung a donné un nombre impressionant de récitals et de concerts en Amérique, en Europe et en Asie. Elle s'est produite avec plusieurs grands orchestres, parmi lesquels l'OSM qu'elle a accompagné en 1989 lors d'une tournée au Japon et en Corée (dont ses parents sont originaires).

La jeune pianiste a enregistré un premier CD solo d'œuvres de Liszt, Prokofiev, Mendelssohn et Messiaen et a également enregistré les deux concertos de Mendelssohn avec l'Orchestre de Laval dirigé par Jean-François Rivest.


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(c) La Scena Musicale 2002