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La Scena Musicale - Vol. 5, No. 4

Casse-noisette : une féerie musicale intemporelle

Par Lucie Renaud / 1 décembre 1999

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Le ballet Casse-Noisette est devenu « le » grand classique du temps des fêtes, avec ses décors somptueux et ses éblouissants numéros de danse de caractère. Aucune autre production scénique ne réussit aussi bien à dépeindre le monde onirique enfantin et son émerveillement. Dans ce monde imaginaire, tout devient possible : les jouets s'animent, les fleurs dansent et les princes transportent les jeunes filles dans le monde bienheureux des nuages. Toute cette poésie enchante, mais c'est essentiellement la musique de Tchaïkovski qui a permis au ballet de conquérir le public et de défier le temps. D'ailleurs, la suite Casse-Noisette -- qui en est la version orchestrale abrégée -- reste une des oeuvres les plus endisquées du répertoire et sans doute une des plus aimées du grand public. Voici quelques points de repère afin de mieux comprendre ce succès incontesté.

Brève histoire du ballet russe

La tradition russe du ballet tire ses origines du XVIIe siècle. Les tsars Alexis Mikhailovich, Pierre le Grand et Catherine de Russie encouragèrent grandement cette forme artistique. À l'époque, le ballet demeurait essentiellement un divertissement de riches, certains grands propriétaires terriens allant même jusqu'à faire danser des ballets par leurs serfs lors de grandes soirées.

Le grand danseur Christian Johansson arriva à Saint-Pétersbourg en 1841. Son influence sur l'École impériale de ballet se fit immédiatement sentir. Le ballet devint un art à la mode et les habitants de Saint-Pétersbourg se transformèrent rapidement en amateurs éclairés. Malgré son déclin dans le reste du monde occidental, le ballet continua d'occuper une place importante dans la vie culturelle russe. Marius Petipa, un chorégraphe français très intéressé par l'évolution du ballet en Russie, y dirigea plusieurs troupes de danseurs professionnels. Il fut le chorégraphe attitré des trois ballets de Tchaïkovski : Le lac des cygnes, La belle au bois dormant et Casse-Noisette.

Tchaïkovski et son Casse-Noisette

Piotr Ilyich Tchaïkovski (1840-1893), mélodiste exceptionnel et orchestrateur brillant, possédait un sens inné du détail. Ces qualités lui permirent de devenir un des meilleurs compositeurs de musique de ballet. À l'époque, celle-ci n'était souvent qu'un ramassis de chansons populaires assaisonnées à la sauce orchestrale. Tchaïkovski écrivit plutôt, sans s'embarrasser du carcan rigide de la forme sonate, une série de mélodies charmantes au travers desquelles il exprime admirablement les émotions intenses des protagonistes. Avec ses partitions riches, bien ficelées, possédant un caractère d'unicité qui leur insuffle une vie propre, le compositeur russe transforma ainsi à tout jamais le monde du ballet.

Si La belle au bois dormant, ballet composé en 1890, reste selon les musicologues le chef-d'oeuvre de Tchaïkovski -- intégrant l'utilisation complexe des leitmotive qui donnent une continuité nouvelle à la série de danses de caractère qui constituent l'oeuvre -- , Casse-Noisette demeure néanmoins extrêmement populaire auprès des mélomanes. Sa chorégraphie avait été amorcée par Marius Petipa. Ce dernier avait présenté à Tchaïkovski le scénario détaillé du ballet, allant jusqu'à préciser le rythme, le tempo et le nombre de mesures requis pour chaque danse. Petipa étant tombé gravement malade, son assistant Leon Ivanov poursuivit le travail.

La première de Casse-Noisette, présentée le 18 décembre 1892 au théâtre Maryinsky -- résidence du déjà célèbre ballet Kirov -- , a toutefois laissé la critique fort mitigée. Tchaïkovski non plus n'était pas enthousiasmé à l'idée d'adapter ce conte de E.T.A. Hoffmann, soutenant que le sujet, trop sombre, ne se prêtait pas à une représentation scénique. La popularité de Casse-Noisette en Russie fut pourtant immédiate. Il faudra cependant attendre en 1934 pour que Nicholas Sergeya le présente en Occident, au Sadler's Wells Theatre, en Angleterre. Le Ballet russe de Monte-Carlo l'interpréta pour la première fois aux États-Unis en 1940, dans une version écourtée. En 1954, la chorégraphie de George Balanchine devint la version de référence qui inspira plusieurs adaptations partout dans le monde.

On peut dénombrer des centaines de productions de Casse-Noisette à l'approche de Noël. Ce classique a été dansé des milliers de fois, bien sûr, mais a également été transformé en production théâtrale, en film et en spectacle de patinage artistique. Les ventes de billets pour les représentations de Casse-Noisette constituent une manne pour les compagnies de danse, comptant pour environ la moitié de leurs recettes annuelles.

Pourquoi l'oeuvre séduit-elle d'emblée? Sans doute parce que ses mélodies charmantes restent présentes à la mémoire durant des jours, mais aussi grâce à ses textures et à ses couleurs orchestrales parfaitement maîtrisées. Les mélodies n'étant pas toutes jouées aux cordes, pratiquement chaque instrument de l'orchestre interprète au moins un petit solo, ce qui crée ainsi une grande variété de timbres. Quand Tchaïkovski combine les cordes, les vents et les cuivres, le son obtenu est particulièrement riche et voluptueux. Comme le sapin enchanté de Clara qui ne cesse de grandir à la fin du premier acte, Casse-Noisette continue de remplir nos vies d'une magie essentielle en cette période de l'année. Une magie qui, trop souvent, nous échappe...


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