Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 5, No. 10

La spontanéité au service de la musique baroque

Par Lucie Renaud / 1 juillet 2000

English Version...


Le violoniste anglais de réputation internationale Andrew Manze, le « Grapelli du baroque », selon le New York Times, chef associé de la prestigieuse Academy of Ancient Music de Londres et chambriste accompli, fera un retour remarqué au Domaine Forget les 2 et 3 août. On pourra également l'entendre au Festival de Lamèque le 5 août. Entre deux séances d'exercice, ce musicien chaleureux a partagé son enthousiasme contagieux.

Andrew Manze a apprivoisé le violon doucement, presque en dilettante. Après quelques années de flûte à bec, on lui propose à l'âge de 10 ans d'étudier un « vrai » instrument. Son choix se porte spontanément sur le hautbois, mais des problèmes d'orthodontie l'empêchent de céder à cette impulsion. Il opte plutôt pour la voie de la commodité et se met au violon, « l'instrument de la maison », que son père avait touché dans sa jeunesse. Encadré de façon admirable par le programme d'éducation musicale scolaire - avis aux instances gouvernementales! - il se retrouve musicien d'orchestre dès sa deuxième année d'étude de l'instrument. « À l'âge de 11 ans, je jouais déjà dans un orchestre, confie-t-il. Je n'ai tout simplement jamais arrêté! À 14 ans, je partais en tournée internationale avec l'école et à 18 ans, j'avais déjà beaucoup bourlingué! C'est une chance incroyable de pouvoir apprendre la technique orchestrale sur le tas. »

Son amour pour la musique baroque s'est développé lors de ses études à Cambridge. Même inscrit en études classiques (grec et latin), il continue de jouer du violon. Son copain Richard Egarr (avec qui il jouera au Domaine Forget) venait de découvrir le clavecin. Ayant mis sur pied un ensemble, il convainc Manze d'essayer : « Quand j'ai débuté, c'était terrible. Après quelques tentatives, je suis tombé sous le charme de la musique baroque, un coup de foudre! Je n'en ai pas voulu à Richard, nous sommes restés bons amis », termine-t-il avec un éclat de rire.

D'autres rencontres de jeunesse transformeront sa vie. Il devient le protégé de la femme du grand claveciniste Gustav Leonhardt, une musicienne qu'il considère aujourd'hui comme « un guide merveilleux ». En 1988, il fait également la connassance de Ton Koopman, le directeur du Amsterdam Baroque Orchestra : « Le courant a passé immédiatement, nous nous sommes compris sur-le-champ. » Le chef l'engage aussitôt. Il débute dans la section des deuxièmes violons, mais passe rapidement au poste de violon solo.

Il quitte Amsterdam en 1993 pour se consacrer à la direction d'orchestre. Pour Manze, une certaine liberté, pour ne pas dire une liberté certaine, reste essentielle à l'interprétation du baroque : « Après tout, quand vous êtes le premier à interpréter une oeuvre, vous devez poser vos jalons vous-même. » Il pousse l'analyse encore plus loin : « La musique était très vivante, vibrante, à l'époque baroque et devrait le demeurer aujourd'hui. Si un mélomane va au concert, je dois lui faire vivre une expérience unique. Si je joue une pièce de la même façon, il manque un ingrédient musical essentiel, la flexibilité. L'interprétation varie bien sûr en fonction de l'état d'esprit du musicien. Elle devrait également être influencée par la salle, son acoustique. Plus que tout, le public dictera les ajustements à considérer. Certains publics écoutent avec une concentration extrême, je pense ici aux Allemands, quand il s'agit de Bach. J'ai hâte de découvrir le public canadien. C'est toujours intéressant de sentir, de ressentir le public et de découvrir comment la musique en sortira transformée. »

Manze trouve ironique le paradoxe qui existe entre l'essence de la musique baroque et sa popularité auprès des masses : « On nous demande de jouer dans des salles beaucoup trop grandes, peu ou pas adaptées à la facture des instruments. La musique baroque était pensée pour être écoutée dans des églises ou dans des concerts privés. Elle est devenue victime de sa popularité. » Il se rappelle d'ailleurs avec précision la salle de concert du Domaine Forget, d'un format idéal selon lui.

Interrogé sur la raison de la popularité récente du baroque, Manze propose plusieurs pistes de réflexion. « Si les oeuvres sont choisies et présentées avec soin, la musique baroque démontre d'elle-même ses forces. Bach peut être comparé avantageusement à tous les compositeurs importants. De plus, la musique baroque reste extrêmement bien structurée, très mélodieuse, divertissante, avec une théâtralité inhérente. » Il ose un parallèle avec l'attrait de la nouveauté qui semble assaillir la civilisation occidentale : « Les mélomanes sont intéressés par le nouveau répertoire, mais la plupart ont été échaudés par la musique contemporaine. Le baroque a peut-être profité du fait que la majorité du répertoire contemporain reste inaccessible. Il doit être possible d'écrire de la musique contemporaine qui exprime les états d'âme du compositeur, mais qui ne provoquera pas un sentiment de répulsion! » Manze n'est toutefois pas fermé à tout le répertoire moderne, au contraire. Sa femme est d'ailleurs une spécialiste de ce répertoire raréfié et l'Academy of Ancient Music a interprété des oeuvres du compositeur John Tavener, un des compositeurs anglais les plus cotés actuellement, Eternity's Sunrise (en 1998) et Total Eclipse (le 20 juin 2000). Il a apprécié pouvoir demander au compositeur des indications précises sur l'interprétation d'une oeuvre. Cette collaboration lui a d'ailleurs permis de constater que les compositeurs ne sont généralement pas dogmatiques : « Cela me semble lâche de la part d'un interprète de se justifier par un "Je dois l'interpréter de cette façon". C'est un peu comme se cacher derrière un cadavre. J'imagine toujours le compositeur près de moi. Que dirait-il au sujet de sa musique? Il serait probablement fort distrait par tous les progrès technologiques des derniers siècles. La nuance précise d'un passage serait sans doute la dernière chose dont il aimerait discuter! »

Son horaire surchargé ne lui permet plus de suivre des étudiants de façon régulière. Il aime toutefois les cours de maître : « Les interrogations des étudiants rejoignent souvent mes propres préoccupations. » Certains de ses anciens élèves sont devenus des collègues de travail à l'Academy of Ancient Music et cela fait partie selon lui d'un cycle normal des choses. Il parle d'ailleurs avec beaucoup de fierté de « son » orchestre, qui a célébré son 26e anniversaire : « Les musiciens ont atteint un grand niveau de maturité collectivement. Au fil des ans, j'ai développé un sentiment de confiance avec eux. Grâce à cela, je ne sais jamais exactement ce qui va se passer au cours d'un concert. » Il dirige habituellement l'orchestre de sa position de premier violon et semble garder une belle humilité face à son prestige personnel. Il envisage avec joie la tournée américaine de l'orchestre en novembre 2000.

La musique de chambre garde une place importante dans sa vie de musicien. Il a fait partie pendant 10 ans du Trio Romanesca avec le claveciniste John Toll et le luthiste Nigel North. En 1999, il a dû cesser cette collaboration, rehaussée d'enregistrements primés, Nigel North ayant accepté un poste à la prestigieuse Indiana University. Une connivence exceptionnelle le lie également au claveciniste Richard Egarr, qui l'accompagnera en août dans des sonates pour clavecin obbligato et violon de Bach. Depuis maintenant 16 ans, ils continuent d'explorer le répertoire touffu du baroque : « J'aime le surprendre et qu'il me surprenne. Cela renouvelle constamment l'expérience musicale. » Mélomanes qui ne vivez que pour la routine, abstenez-vous! Pour les autres, la fraîcheur d'interprétation du Galliano de Manze vous transportera!


Discographie d'Andrew Manze

* Schmelzer: Violin Sonatas / Romanesca -- Johann H. Schmelzer(Composer), et al
Écouter : 1. Sonata IV, from Sonatae unarum fidium, 1664
buy it @ amazon.com

* Telemann: Twelve Fantasias, Gulliver Suite / Manze, Balding -- Georg Philipp Telemann(Composer), et al
Écouter: 1. Sonata IV, from Sonatae unarum fidium, 1664
buy it @ amazon.com

* Bach: Solo & Double Violin Concertos / Manze, Podger, AAM -- Johann Sebastian Bach(Composer), et al
Écouter: 1. Concerto for Violin no 1 in A minor, BWV 1041
buy it @ amazon.com

* Tartini: The Devil's Sonata / Andrew Manze -- Giuseppe Tartini(Composer), Andrew Manze (Performer)
Écouter: 1. Sonata for Violin and Basso Continuo in G minor, Opus 1 no 4 "Devil's Trill"
buy it @ amazon.com

* Pandolfi: Complete Violin Sonatas / Manze, Egarr -- G.A. Pandolfi-Mealli(Composer), et al
buy it @ amazon.com


English Version...

(c) La Scena Musicale 2002