- Cherubini: Médée. Newport
Classic NPD 85622-2
- Opera Quotannis, Brewer Chamber Orchestra /
Bart Folse
L'automne dernier, les
amateurs de répertoire lyrique obscur ont été choyés par l'arrivée
du premier enregistrement de la Médée de Cherubini, réalisé
par l'Opera Quotannis à New York en mars 1997, à l'occasion du 200e
anniversaire de l'oeuvre. Cette "Médée", la version originale de
1797, est un opéra comique classique, donc en langue française avec
dialogues (parlés et non accompagnés). Medea, la version plus
connue, date du milieu du 19e siècle. Elle comporte des récitatifs
(chantés et accompagnés) qui furent composés par Franz Lachner.
D'abord chantée en allemand, puis en italien, elle ne resta au
répertoire que quelques décennies, et ne fut reprise qu'en 1953 par
Maria Callas et compagnie. On en trouve trois intégrales officielles
sur disque: EMI 1957 avec Maria Callas, Decca 1967 avec Gwyneth
Jones et Hungaroton 1978 avec Sylvia Sass.
Le style de l'opéra comique classique est disparu du répertoire
depuis plus d'un siècle. Il exige de ses interprètes une maîtrise du
chant orné, de la déclamation classique, et surtout de la langue
française. De plus, le rôle-titre de Médée demande un type de
voix tout aussi rare: le soprano dramatique d'agilité. On avait donc
pratiquement perdu espoir de jamais entendre à nouveau le
chef-d'oeuvre de Luigi Cherubini (1760-1842), tant apprécié par
Beethoven et Schubert.
Malheureusement la Médée de l'Opera Quotannis ne répond
pas à ces exigences (malgré les éloges de la presse qui sont
reproduits dans le livret même!). C'est principalement un problème
de langue dans les dialogues: prononciation, intonation, phrasé,
expression, émotion. À quoi sert de ressusciter Médée, avec
tous ses dialogues poétiques et dramatiques, si les interprètes ont
tant de difficulté avec tous ces aspects de la langue? C'est un peu
comme jouer Hamlet en anglais en l'apprenant phonétiquement,
ou tout au plus, en n'ayant qu'une traduction mot-à-mot, sans avoir
appris le phrasé anglais. En général, on ne comprend pas les mots
sans le livret. L'intonation et le phrasé sont parfois plus anglais
que français.
Pour ceux qui comprennent le français, cela devient vite
insupportable, pas tant à cause de la mauvaise prononciation que de
la monotonie de la déclamation qui résulte surtout du manque de
connaissance du phrasé français. Quant aux autres auditeurs, cette
interprétation peu expressive ne parvient pas à transcender la
barrière linguistique, comme elle le fait, pour les
non-germanophones par exemple, dans les meilleurs enregistrements de
Die Zauberflöte ou de Fidelio. Le problème de phrasé
dans les textes chantés ne se pose pas parce que les compositeurs de
cette époque savaient ce qu'ils faisaient (eux!).
Phyllis Treigle (Médée) chante avec un gros vibrato et peu
d'agilité, ses aigus sont forcés. Elle parle avec une voix qui
semble très inconfortable; son ton invariable de déesse méchante est
lassant. Ça ne serait pas si grave si Médée n'était pas aussi
omniprésente. Thaïs St-Julien (Dircé) a une certaine agilité mais
ses aigus sont ratés; ses dialogues sont bien exprimés, maisi sa
prononciation est médiocre. D'Anna Fortunato (Néris) a un timbre et
un phrasé élégants qui ressemblent à ceux de Beverly Sills, mais ses
graves sont faibles. Une mention d'honneur revient à la première
voix qu'on entend dans l'oeuvre, Jayne West, dans le rôle très
secondaire d'une compagne de Dircé: son français et son chant sont
admirables; il aurait été intéressant de l'entendre en dialogue,
mais son rôle n'en contient pas.
Le timbre de Carl Halvorson (Jason) est pauvre mais sa maîtrise
du français est de quelques crans supérieure à celle de ses
collègues. On a l'impression qu'il comprend les mots qui sortent de
sa bouche. C'est, j'ose croire, la raison pour laquelle son
interprétation est généralement meilleure. Dans ses scènes chantées,
David Arnold (Créon) a un timbre très semblable à celui de Dietrich
Fischer-Dieskau, mais moins expressif; ses dialogues sont mal
phrasés et donc ennuyeux.
L'orchestre de chambre Brewer, une trentaine de musiciens,
utilise des instruments d'époque. L'orchestration réduite nous
change agréablement de celle de la version italienne: l'emphase est
mise moins sur les violons, plus sur les vents; les timbales
ressortent comme dans un opéra baroque, c'est charmant. Mais
certains obbligatos par les bois manquent de grâce. Le choeur est
bon en général, malgré un problème de prononciation.
Côté technique cela est moyen. On entend des coupures dans le
montage, parfois même au milieu d'une phrase ("Loin de moi, (pfft!)
loin de moi, cette effroyable idée!").
Il est intéressant, théoriquement, d'avoir un premier
enregistrement de la Médée de Cherubini, mais en réalité, à
cause des nombreuses exigences stylistiques, linguistiques et
vocales de l'oeuvre, je ne crois pas que l'on soit prêt à lui rendre
justice. Quand on aura une Fidelio et un Idomeneo français dans les
rôles de Médée et de Jason, en plus de bons acteurs-chanteurs
francophones pour les autres rôles, on pourra y repenser. En
attendant, je retourne avec plaisir aux enregistrements de
Medea avec Callas et compagnie. - Eric Legault
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