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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 6 avril 2016

War Requiem de Benjamin Britten

Par Kiersten van Vliet / 1 avril 2016

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Benjamin BrittenEn mai, l’Orchestre symphonique de Montréal clôture sa saison avec War Requiem, l’œuvre chorale magistrale de Benjamin Britten, sous la direction de Kent Nagano avec les solistes Catherine Naglestad, Ian Bostridge et Thomas Hampson.

Commandé à l’occasion de la consécration de la cathédrale de Coventry en 1962, bombardée pendant la Seconde Guerre mondiale, le War Requiem a transcendé ses origines, devenant un incontournable lors des cérémonies commémoratives des grandes tragédies et de la guerre. Vu l’instabilité qui règne sur le monde, le War Requiem est fort à propos.

En 1939, devant l’accroissement des tensions en Europe, Britten et le ténor Peter Pears prirent le bateau pour se rendre en Amérique du Nord où ils vécurent pendant quelques années. La portée de cette décision a été considérable. On rapporte que Britten, alors qu’il se trouvait en Californie, aurait trouvé un exemplaire du recueil de poèmes The Borough de George Crabbe qui lui a inspiré l’opéra Peter Grimes. En proie à une soudaine et profonde nostalgie pour sa patrie, Britten retourne, malgré la guerre, en Angleterre en compagnie de Pears et demande le statut d’objecteur de conscience. Appelé à témoigner, Britten a déclaré : « L’ensemble de ma vie a été consacré à des œuvres de création (en tant que compositeur professionnel) et je ne peux pas participer à des actes de destruction. »

Wilfred OwnBritten a été un éternel pacifiste et le War Requiem constitue son manifeste le plus éloquent. En jumelant le requiem traditionnel latin avec neuf poèmes anglais de Wilfred Owen, un soldat décédé une semaine avant l’armistice du 11 novembre 1918, les affirmations de paix de la messe prennent un ton ironique et ambigu. Owen tente, dans ses poèmes, de concilier ses convictions chrétiennes avec la réalité des conflits armés opposant les diverses nations de même confession que la sienne. À l’instar de l’architecte sir Basil Spence qui avait conservé la façade bombardée de l’église dans la nouvelle cathédrale de Coventry, Britten a conservé l’essence du requiem, ajoutant les poèmes d’Owen pour rappeler l’effet destructeur de la guerre.

War Requiem est un témoignage musical du sacrifice humain et du deuil des peuples, de la destruction et de la discorde ainsi que de la reconstruction et de la réconciliation qui peuvent s’ensuivre. Si l’alternance de la messe des morts liturgique en latin et les poèmes d’Owen illustrent la reconstruction, le choix des solistes par Britten pour la première symbolise la réconciliation: la soprano russe Galina Vishnevskaya, l’Anglais Peter Pears et le baryton allemand Dietrich Fischer-Dieskau. Ironie du sort, l’intention de Britten a été minée par un autre conflit : la guerre froide. Vishnevskaya, retenue par les autorités soviétiques, ne put participer à la représentation. La soprano britannique Heather Harper dut la remplacer au pied levé. Toutefois, les solistes choisis par Britten ont été réunis sous sa baguette pour l’enregistrement sous étiquette Decca en 1963.

Le War Requiem est une œuvre commémorative, une mise en garde ainsi qu’une prière tant pour les vivants que pour les défunts. On ne peut qu’espérer que le War Requiem devienne un monument musical en mémoire du passé, en signe de deuil collectif alors que les survivants se relèvent sur les décombres d’institutions brisées et anéanties. Néanmoins, même lorsque les soldats entonnent « let us sleep now » (« laissez-nous reposer en paix maintenant »), une interrogation subsiste quant à la fin inquiétante. Comme l’a déclaré Pears : « Ce n’est pas la fin, nous n’y avons pas échappé; nous devons toujours y songer, il ne nous est pas permis de terminer par un rêve paisible. »

Traduction par Lina Scarpellini

L’Orchestre symphonique de Montréal et le chœur de l’OSM présentent War Requiem les 25, 28 et 29 mai, à la Maison symphonique, www.osm.ca
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