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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 6 avril 2016

Jazz : Orchestres

Par Marc Chénard / 1 avril 2016

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Orchestres de notre temps : Trois perspectives

Lors de la glorieuse époque du swing, les big bands de jazz étaient au sommet de leur popularité. Après la fin de guerre en 1945, cependant, les uns disparaissaient après les autres, délogés du palmarès par d’autres styles. Voués à l’extinction comme les dinosaures, selon certains prophètes de malheur, ils n’ont pourtant pas sombré complètement dans l’oubli, les enregistrements sonores documentant leur existence, les universités et conservatoires leur assurant une continuité. De nos jours, ils ont même repris du poil de la bête, tant sur scène que sur disque. En effet, depuis le Nouvel An, cette tendance semble se confirmer, comme le démontrent les trois parutions orchestrales suivantes.

FormanekMichael Formanek Kolossus Ensemble
Distance
ECM 2484

En février, l’étiquette ECM publiait une généreuse offrande musicale de 71 minutes du contrebassiste Michael Formanek. L’album débute avec la pièce titre, dont la sonorité aérienne s’accorde parfaitement avec l’esthétique des productions de cette maison. Pendant l’heure restante, son groupe, le Kolossus Ensemble, s’attaque à une œuvre ambitieuse, l’« Exo-Skeleton Suite », fresque sonore en huit parties regroupées en cinq plages.

Enseignant au conservatoire Peabody à Baltimore, Formanek jouit d’une solide réputation sur la scène new-yorkaise, ce qui lui permet de recruter 18 musiciens d’élite du jazz contemporain américain (Tim Berne, saxo baryton, Mary Halvorson, guitare, Ralph Alessi, trompette ainsi que le contrebassiste Mark Helias, qui ne joue pas, mais dirige l’orchestre).

Autrefois accompagnateur dans les formations de Toshiko Akiyoshi et de Bob Mintzer, sans oublier le Mingus Big Band, le bassiste se lance ici dans sa première expérience de direction d’un grand ensemble professionnel. Caressant un tel projet depuis plus de dix ans, il a, en 2013, couché le gros de la musique sur papier en deux semaines lors d’une résidence artistique. Comme il l’affirme au bout du fil : « Je ne suis pas de ceux qui font plusieurs choses à la fois, j’ai besoin d’espace et de temps pour m’y consacrer complètement. » Quant au titre, il envisage l’exosquelette comme une espèce de carapace protectrice de toute vulnérabilité ou d’armure contre les forces nuisibles. Ce titre suggère du reste une approche plus ouverte par rapport à l’écriture. Vue ainsi, l’entreprise ne relève pas de la seule vision du compositeur, mais de tous les participants. Michael Formanek s’inscrit donc dans la lignée des plus célèbres orchestres de jazz, Duke Ellington étant le modèle, mais se garde de puiser dans ses artifices stylistiques. www.ecmrecords.com

Soweto StompMalcolm Goldstein/Ratchet Orchestra
Soweto Stomp
Mode Records 291

Les grands orchestres de jazz ont toujours joué entre deux points limites, l’un épousant de près les intentions du compositeur (comme en musique classique), l’autre offrant une plus grande marge de manœuvre aux interprètes. Exemplaire à ce titre, Nicolas Caloia embrasse pleinement cette seconde voie comme chef du Ratchet Orchestra. En conversation, ce contrebassiste de métier avoue ne pas aimer voir des musiciens les yeux cloués sur des partitions; au contraire, il leur accorde une plus grande liberté, les laissant improviser collectivement ou leur assignant des consignes de jeu. De plus, il aime concevoir sa musique en fonction d’instrumentations atypiques, le big band lui étant même un peu étranger en raison de sa formation classique. Son ensemble, qui compte d’ailleurs quelques non-lecteurs, illustre bien son approche non orthodoxe, celui-ci se divisant en quatre quatuors hétérogènes, chacun comptant des saxos, cuivres, cordes et percussions en combinaisons variables.

Lancé à la fin mars, le troisième disque de l’orchestre se démarque de ses deux prédécesseurs. Caloia a délégué cette fois-ci toute la responsabilité musicale au violoniste Malcolm Goldstein. Personnalité de marque dans le monde de la musique contemporaine américaine et internationale, ce dernier est également une autorité sur la musique de John Cage et de Charles Ives, le second auquel il dédie une composition (In Search of Tone Roads 2). L’invité joue d’abord seul pour ensuite poser des cadres de jeu à l’ensemble dans les cinq plages restantes, la dernière, Soweto Stomp, faisant usage de traits mélodiques et rythmiques de la musique sud-africaine. Dans cette nouvelle réalisation, le Ratchet Orchestra s’éloigne considérablement de l’orchestre de jazz type pour s’affirmer comme un ensemble de musique créative de premier plan. www.moderecords.com 

LungtaPhilippe Côté (featuring Dave Binney)
Lungta
Mythology MR0013

À l’opposé de cette démarche collective, il y a l’autre point limite, celui du compositeur. Philippe Côté s’exprime ainsi dans son premier disque Lungta, dont le titre est un mot tibétain signifiant « cheval de vent ». Dans un programme de 14 plages, on entend non seulement une section rythmique jazz, mais une formation de 17 musiciens, deux chanteuses, lui-même au saxo ténor et, en invité spécial, l’altiste Dave Binney. Proposition musicale différente des albums précédents, celle de Côté est le résultat d’un montage de plusieurs séances en studio étalées sur une période de trois ans. Ce premier disque s’inscrit d’ailleurs dans le prolongement de ses études de maîtrise à l’Université McGill.

« J’ai toujours aimé composer, déclare le musicien, et j’aurais bien pu faire un disque en quintette, mais je cherchais une autre voie. J’ai étudié l’arrangement avec John Rea et une porte m’a été ouverte, c’est là que j’ai décidé d’écrire des arrangements pour orchestre, non pas de jazz, mais de chambre. » Dans un premier temps, le compositeur a travaillé avec la rythmique, ajoutant plus tard l’orchestre, les chanteuses et son invité. Qualifiant ce dernier de mentor, Côté lui doit aussi une autre chandelle, Binney acceptant de publier le disque sous sa propre étiquette. D’une facture très mélodique et reposant sur un langage harmonique assez familier, la musique est orchestrée de manière raffinée pour l’ensemble comprenant un hautbois, quatre clarinettes, deux flûtes, autant de cors et de trompettes, un trombone et un tuba. Sans nier complètement le lien avec le mouvement de jazz des années 1950 mariant la note bleue au classique (le Third Stream), Côté ne s’estime pas pour autant directement influencé par lui. Pour marquer la sortie de son disque, le saxophoniste vient tout juste de se produire en concert (2 avril) en invité de l’ONJ Montréal, adaptant quelques-uns de ses morceaux et d’autres de Binney. Si vous avez loupé le spectacle, on peut se rattraper avec ce disque de 75 minutes. www.philippecote.com

En concert ce printemps

Jazzamboka
Jazzamboka

Peu importe la saison, rien n’arrête la musique. En mars, le festival de la nouvelle trompette (FONT) et l’événement Effendi en Rafale ont engagé la lancée qui prendra son plein élan dans les semaines qui viennent.

Début avril (lundi 4), la saxophoniste et flûtiste Anna Webber, ex-Montréalaise installée à New York, ouvre le bal au café Résonance avec deux complices de marque : le batteur John Hollenbeck et Matt Mitchell au piano. Les amateurs de jazz contemporain de pointe sont priés de noter. www.caferesonance.com

Le vendredi 8, Joel Miller sera en quartette à la Chapelle historique du Bon-Pasteur avec le pianiste invité de New York, Geoff Keezer. (514-872-5339 - N.B. : spectacle payant)

La semaine suivante, ce sera au tour du saxophoniste Damian Nisenson de présenter la quatrième édition de son minifestival printanier décliné aux couleurs des musiques du monde. Seront entendus : le duo voix-accordéon Buonanotte d’Italie et la Fanfare Jarry, tous deux en scène à La Vitrola le mardi 12. À la Salla Rossa, le lendemain, ce seront les quintettes Solawa (avec Nisenson) et le Mismar Ensemble.

Alain Bédard, patron des disques Effendi, lancera Circum Continuum, le nouvel opus de son quartette Auguste (samedi 16 à l’Astral) avec ses acolytes Michel Lambert (btr.), Samuel Blais (saxos) et Félix Stüssi (pno). En première partie : de Bretagne, le trio Dexter Goldberg.
» www.effendirecords.com

Qui dit 30 avril dit Journée Internationale du Jazz. Proclamée par l'UNESCO en 2011, elle fait l'objet de célébrations dans tous les coins du globe, incluant un spectacle à grand déploiement qui sera diffusé en ligne le samedi 30, et ce, en direct de la capitale américaine.

Montréal vivra sa deuxième édition grâce à l'initiative de l'agence Divertissement Mercier en partenariat avec Les Belles Soirées et la la Vitrine Culturelle. Les Montréalais seront au rendez-vous des festivités. Le concert d'ici se tiendra à la salle Le Centre D'Essai (Pavillon J.-A.-DeSève, de l'Université de Montréal). Trois groupes se partageront les honneurs : la chanteuse Sonia Johnson en tandem avec la pianiste Marianne Trudel et Rémi-Jean Leblanc à la contrebasse; le trio de la pianiste rimouskoise Emie-R. Roussel et le collectif Jazzamboka et leur invité, le saxophoniste Jean-Pierre Zanella.
 » 514-802-2400 (pour le concert)
Billetterie : www.lavitrine.com
www.divertissementmercier.com (#jazzdaymtl)
www.unesco.org/new/en/jazz-day (Pour la journée internationale - #jazzday)

Après son concert du début d’avril avec Philippe Côté et Dave Binney (voir article ci-contre), l’ONJ revient à la charge le samedi 7 mai avec un autre programme à deux volets, l’un d’eux présentant une nouvelle œuvre commandée à l’un de ses membres attitrés, le tromboniste Jean-Nicolas Trottier, l’autre consacré aux arrangements de Gil Evans pour le célèbre disque Miles Ahead.
 » www.onj.org

Pour les amateurs de musiques musclées, le saxophoniste Peter Brötzmann (75 ans bien sonnés !) sera à la Salla Rossa de la Casa del Popolo le 11 à la tête d’un quartette original avec basse, batterie et... vibraphone. Trompettiste emblématique de l’AACM (voir chronique section livre, p. 34), Leo Smith se produira au même endroit le 2 juin avec son remarquable Golden Quartet ( Anthony Davis, John Lindberg et Phereon Ak Laff). Le lendemain, le trompettiste donnera un entretien sur sa musique au même endroit.
 » www.casadelpopolo.com

Toujours en mai, la pianiste Marianne Trudel bénéficie d’une carte blanche de trois samedis au Théâtre Outremont. Le 14, elle sera en duo avec Karen Young, le 21 en solo et, une semaine plus tard, en compagnie de sa formation Trifolia.
 » www.mariannetrudel.com


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