Les lettres d’amour à l’Espace Go : Evelyne de la Chenelière & l’écriture épistolaire Par Roxanne Guérin
/ 1 avril 2016
C’est à l’invitation de Ginette Noiseux, directrice artistique, et de David Bobée, metteur en scène invité, qu’Evelyne de la Chenelière s’est jointe à la production des Lettres d’amour, pièce inspirée du recueil épistolaire Les Héroïdes d’Ovide, qui sera présentée du 12 avril au 7 mai 2016 sur les planches du théâtre ESPACE GO.
« Ce n’était pas mon initiative, mais je m’y suis plongée avec un grand intérêt et une grande ferveur artistique, raconte-t-elle en entrevue téléphonique. David Bobée a l’habitude de créer des spectacles en choisissant des textes qui appartiennent à l’histoire de la littérature. Il aime beaucoup mélanger les disciplines pour créer un art vivant très libre. »
Ce désir de garder la création vivante a aussi influé sur le processus d’écriture d’Evelyne de la Chenelière qui, à la demande de David Bobée, incarne la voix contemporaine d’une femme écrivant une lettre à l’homme qui l’a quittée. La dramaturge a en effet dû fournir un texte non abouti pour les répétitions qui débutaient en mars, un défi pour elle : « David souhaitait réagir durant le processus de répétition au texte que je proposais et que moi, à mon tour, j’aie la disponibilité et l’ouverture pour réagir à ce qui se produisait sur le plateau et faire évoluer cette matière. »
Pour se préparer, l’auteure a donc créé beaucoup de contenu qu’elle a ensuite raffiné en plusieurs couches de sens. Elle s’est complètement imprégnée de l’univers d’Ovide, notamment en se plongeant dans ses Métamorphoses, de sorte que le travail d’écriture a pu reposer sur une réflexion longtemps mûrie, bien que souple, et pouvant être modifiée.
« À l’heure où je vous parle, ce qui me semble excitant, c’est justement toute la façon non traditionnelle de procéder et de créer, de sorte qu’il y a encore beaucoup de choses très ouvertes dans ce qui est en devenir », ajoute l’auteure.
Le fait que cette femme amoureuse et rejetée recommence sans cesse sa lettre, comme un leitmotiv, jamais entièrement satisfaite du résultat, a permis à l’auteure, d’une part, de mettre en lumière le geste obsessif de la prise de parole par rapport au manque amoureux et, d’autre part, de favoriser une structure qui lui permettait d’accumuler beaucoup de matière textuelle pouvant être déplacée ou amputée au rythme des besoins observés en répétitions.
Extrait : « Quand tu m’as dit je ne t’aime plus j’ai pensé quel courage. Tu m’as dit je ne t’aime plus et alors j’ai pensé quel homme courageux, parce qu’il faut du courage pour dire une chose pareille, je ne t’aime plus, personne ne dit ça, je ne t’aime plus, enfin il me semble, il faut du courage pour dire je ne t’aime plus d’une manière aussi directe, en regardant la personne qu’on n’aime plus dans les yeux, sans essayer de lui dire autre chose, quelque chose de moins brutal. »
La lecture de cette longue lettre sera entrecoupée de celles écrites par Ovide, poète de l’Antiquité, dans lesquelles des femmes abandonnées, des héroïnes mythiques telles que Pénélope s’adressant à Ulysse, prennent la parole afin d’exprimer leur douleur ou leur désir de vengeance face à la déception amoureuse et l’abandon qu’elles ont subis.
Peut-on en conclure qu’il s’agit d’une pièce féministe, puisqu’elle donne la parole aux femmes ? Selon Evelyne de la Chenelière, on peut penser que oui : « Elle l’est dans la mesure où un contemporain de Jésus-Christ a choisi d’en appeler à des figures de femmes très fortes de la mythologie qui, quelque part dans leur histoire, sont aussi démunies, et il a voulu leur donner des mots pour revendiquer, pour cracher leur colère, pour condamner le destin qui les accable. J’ai eu envie d’imaginer un geste d’écriture qui soit celui d’une femme qui a sans aucun doute beaucoup plus de moyens que les femmes à l’époque, mais le constat que je fais est le suivant : quelles que soient l’époque et les avancées du féminisme, l’endroit de la douleur amoureuse, du rejet et de l’abandon est exactement le même. »
C’est l’actrice Macha Limonchik, bien connue pour ses rôles à la télévision (La vie, la vie, Tout sur moi) et au théâtre (Albertine en cinq temps, Des fraises en janvier – pièce d’ailleurs écrite par Evelyne de la Chenelière présentée en 2002) qui incarnera la voix de cette femme, puisqu’elle a accepté de remplacer au pied levé l’actrice française Béatrice Dalle qui a dû se retirer du projet à la suite d’ennuis de santé. Elle sera accompagnée sur scène par le danseur et trapéziste Anthony Weiss et par le groupe montréalais électro-folk Dear Criminals. Ce dernier signe toute la musique originale de la pièce.
Après les représentations à Montréal, le spectacle ira se produire en France pour quelques mois, puisqu’il s’agit d’une première création commune entre ESPACE GO et le Centre dramatique national (CDN) de Haute-Normandie.
Lettres d’amour, du 12 avril au 7 mai. www.espacego.com | |