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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 4 décembre 2015

Pelléas et Mélisande au TNM : Éric Robidoux, acteur d’exception

Par Marie Labrecque / 1 décembre 2015


Éric Robidoux dans Oxygène © Photo Matthew Fournier
Éric Robidoux dans Oxygène. Photo Matthew Fournier

Longtemps danseur, notamment pour les œuvres sulfureuses de Dave St-Pierre, ou évoluant dans les marges du théâtre, le comédien Éric Robidoux a tracé son chemin à sa façon. Ce n’est que depuis quelques années que le public découvre vraiment tout le talent de cet interprète caméléonesque qui jouera le rôle de Pelléas dans Pelléas et Mélisande au Théâtre du Nouveau Monde, en janvier.

En 2015, on l’a vu se glisser dans la peau du charnel Stanley d’Un Tramway nommé Désir, offrir une composition tout en sensibilité dans Les Flâneurs célestes, et livrer une performance renversante de charisme et de virtuosité dans Oxygène. Éric Robidoux est un interprète entier, qui engage toutes les dimensions de son être dans son art. Toujours présente dans son jeu, même quand il n’a pas à danser, la maîtrise de son corps lui apporte beaucoup de précision, au dire du comédien : « Je me fais souvent dire que je joue jusqu’au bout des doigts », dit-il.

S’il a suivi sa propre voie sans avoir fait de compromis ni choisi d’aller vers « la facilité », c’est d’abord parce qu’il était incapable de faire autrement, raconte Éric Robidoux. « Je suis d’une telle sensibilité que je n’ai pas voulu trop m’exposer. Je ne suis pas un être exubérant ou extraverti. Alors mon parcours reflète ma personnalité. Ça me prend du temps à faire confiance. »

À sa sortie de l’École nationale de théâtre, il y a une décennie, il a donc évité les projecteurs trop brillants et tous les rôles de jeune premier qu’on aurait pu lui proposer. « Je me suis aussi dit que j’aurais plus de plaisir à créer des personnages monstrueux, grandiloquents, qu’à jouer la candeur. »

S’il s’apprête finalement à incarner un héros romantique, dans Pelléas et Mélisande au Théâtre du Nouveau Monde, il s’efforce de le garder loin de la mièvrerie. « J’essaie de lui donner une pesanteur. Le romantisme touche à la fois au désir et à la mort. C’est un état où on devient à fleur de peau et qui fait en sorte qu’on peut aussi bien être rageur que totalement aimant. »

Le comédien interprète le rôle-titre masculin de cette grande œuvre symboliste écrite en 1892 par le Belge Maurice Maeterlinck, prix Nobel de littérature. Pelléas y tombe amoureux de la femme (Sophie Desmarais) de son demi-frère (Marc Béland), une beauté qui semble sortie de nulle part, égarée dans la forêt d’un royaume imaginaire. Éric Robidoux a été séduit par le mystère entourant cette histoire d’amour impossible. « Il y a beaucoup d’invisible dans la matière de Pelléas et Mélisande. L’auteur ne dévoile pas tout. » Il aime ces partitions textuelles trouées, qui laissent énormément d’espace créatif à l’interprète.

Cette œuvre rare, connue surtout grâce à l’opéra qu’en a tiré Claude Debussy, déploie une langue descriptive, poétique, avec des mots qui se répètent comme en écho. « Dans son livre Du Spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier, Kandinsky décrit l’écriture en aplat de Maeterlinck comme des taches de couleurs. Comme des sonorités qui reviennent, qui s’emballent. Ces redites créent une grande musicalité dans le texte. C’est une écriture d’une simplicité redoutable, mais truffée de petits trésors, de sens cachés. »

Une grande complicité

Pour présenter cette œuvre énigmatique qui tient du conte, le spectacle du TNM aura notamment recours à la vidéo en direct. « La vidéo va permettre des inserts de gros plans, projetés sur un immense tulle. » Des plans qui dévoileront parfois une vision partielle de l’action aux spectateurs, à l’image de ce qui se passe « dans la vie, dans un couple », où l’on n’a souvent accès qu’à une version incomplète, tronquée de la réalité. En conséquence, les comédiens devront aussi naviguer entre un jeu théâtral et une interprétation à très petite échelle, intimiste comme au cinéma.

Pour Pelléas et Mélisande, le comédien collabore avec Christian Lapointe – son « ami Cricri » comme il le surnomme – pour la quatrième fois. Ces deux artistes partagent un amour des défis impossibles. Lors de leur toute dernière journée de formation à l’École nationale de théâtre, Éric Robidoux avait lancé au metteur en scène en herbe : « Si jamais tu as un projet très compliqué, une pièce pas montable, appelle-moi, j’adore ça ! » Lapointe l’avait rapidement pris au mot, en lui proposant un rôle dans une œuvre de plus de sept heures, Axël, de Villiers de l’Isle-Adam.

L’acteur apprécie aussi la conception du jeu préconisée par l’audacieux créateur : « Il n’endosse pas l’idée de la psychologie du personnage. Alors, on ne se cache pas derrière un personnage. On reste vraiment un acteur qui travaille, qui s’efforce de faire croire le public à une histoire. J’aime beaucoup cette idée de se dévoiler soi-même comme acteur. C’est vertigineux, très épeurant. » Quelque chose qui n’a jamais fait reculer Éric Robidoux.


Au Théâtre du Nouveau Monde, du 12 janvier au 6 février www.tnm.qc.ca

(c) La Scena Musicale