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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 4 décembre 2015

Jazz : La cuvée des disques

Par Marc Chénard / 1 décembre 2015

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Pianos, saxos et violon d’abord...

Irène Schweizer – Han Bennink
Welcome Back – Intakt CD254
47 min 57
s
En 2016, elle aura 75 ans et lui un an plus tard. Leur première collaboration sur disque remonte à près de 30 ans et voici leur troisième opus, réalisé en avril dernier. En moins de 50 minutes, ils offrent l’essence de leur art en 14 petits moments de bonheur. La plage d’ouverture, qui donne son titre à l’album, pourrait être qualifiée de microcosme de l’album, car les partenaires se lancent avec autant d’aplomb dans des escapades free – leur marque de commerce – qu’ils nous entraînent dans des grooves rythmiques. Parangon de la musique européenne improvisée et trésor national du jazz en Suisse, la pianiste s’incline devant Monk, son maître à penser et à jouer, relisant Eronel et deux standards inscrits au répertoire du moine. Bennink, le fou batteur batave, est le double parfait de Schweizer, toujours en parfaite synchronisation avec elle. Le duo est si bien huilé qu’un bassiste aurait été superflu. Garanti pour donner le sourire.

 

Myra Melford
Snowy Egret – Enja YEB 7752
60 min 23 s

Pianiste de premier plan dans le jazz contemporain américain, Myra Melford a toujours été rangée du côté des musiques d’avant-garde. Pourtant, sa musique a constamment reposé sur des bases traditionnelles, entre autres un penchant vers le blues que l’on entend furtivement dans la dernière plage de ce recueil. Elle présente sur son offrande musicale de l’année le quintette Snowy Egret comprenant trompette, guitare, guitare basse et batterie. Album à deux temps pour ainsi dire, le répertoire des dix morceaux de sa plume alterne entre pièces plus énergiques et d’autres plus recueillies. Le programme musical est si bien équilibré qu’il est toutefois difficile de trouver des temps forts, par exemple, un solo bien relevé ou une trame mélodique accrocheuse. Somme toute, c’est le résultat global qui compte ici dans cette musique impeccablement exécutée. Après 30 ans de métier, Myra Melford exprime ici toute sa maturité d’artiste.

Miho Hazema
Time River – Sunnyside SSC 1420
61 min 34 s

Pianiste elle aussi, mais davantage compositrice (elle ne joue que sur deux des huit titres de cet album), la Japonaise Miho Hazema propose une musique orchestrale pour une douzaine de musiciens, quatuor à cordes inclus. Dans la distribution, deux invités sont mis en évidence, soit Gil Goldstein à l’accordéon sur la troisième plage et le ténor Joshua Redman sur la huitième, particulièrement enlevé dans son solo. Reposant sur un langage harmonique tonal convenu, ses arrangements sont très fournis, mais toujours limpides d’un point de vue orchestral. Comme a parte, elle inclut deux pièces pour les cordes seulement, appuyées de son piano et de la batterie, lesquelles sont les plus intéressantes du disque. Souhaitons qu’elle en ait d’autres à offrir dans cette configuration ou qu’elle poursuive ce filon. Notons enfin la pièce Magdelena qui clôture l’album sur un temps particulièrement fort. Un nouveau nom à découvrir.

Anna Webber’s Percussive Mechanics
Refraction – Pirouet PIT 3079
64 min 59 s

Autre nom à découvrir, mais dans un registre plus audacieux que l’artiste précédente, la saxophoniste ténor et flûtiste Anna Webber s’affirme comme une voix des plus originales dans l’univers des musiques créatives. Preuve à l’appui : son septette européen Percussive Mechanics. Bien que résidente de New York, cette Canadienne (diplômée de McGill) a tourné à plusieurs reprises là-bas, entourée de jeunes collègues allemands. À l’instar de la formation (deux batteries, deux anches, deux claviers – piano et vibraphone – et une basse), les compositions de Webber sont hors normes : plutôt que de suivre les trames linéaires du jazz, ses morceaux sont structurés en blocs répétitifs qui se transforment graduellement. Des solos se font entendre, mais c’est le concept d’ensemble qui l’emporte sur les contributions individuelles. Dans ce second disque paru sur l’étiquette allemande Pirouet, Anna Webber approfondit sa démarche en démontrant que le free jazz ou la musique purement improvisée ne sont pas les seules avenues créatives à poursuivre en dehors du jazz traditionnel.

Annie Dominique
Tout Autour – MCM 017
66 min 44 s

Polyinstrumentiste, Annie Dominique ne joue que du saxo ténor sur ce premier disque à son nom, assumant la direction d’un quintette de jazz bien typique : à ses côtés, elle a choisi le tromboniste Jean-Nicholas Trottier ainsi que Jonathan Cayer (pno), Sébastien Pellerin (cb.) et Eric Thibodeau (btr.). Neuf morceaux de facture bien jazzistique, tous de la saxophoniste, s’étalent sur plus d’une heure. Tous sont à la hauteur de la situation, avec une mention spéciale pour le tromboniste dont les solos sont des points forts du disque. Plus discrète en début de parcours – elle accorde même beaucoup d’espace à ses musiciens sur l’album –, Annie Dominique intervient davantage dans la seconde partie, démontrant dans ses solos un souci de construction et une recherche de la note juste. Comme tout jeune musicien formé dans les écoles, elle possède de bonnes bases. À elle maintenant de les déployer, soit dans une formation réduite pour lui donner plus d’espace de jeu, soit en recourant aux autres instruments de son arsenal.

Lisanne Tremblay
Violinization – Inner Circle INCM 042CD
59 min 11 s

Denrée rare en jazz, les violonistes ne sont certes pas légion, mais il y en a eu à toutes les époques, la nôtre comprise. Nouvelle arrivée sur la scène montréalaise, Lisanne Tremblay signe un premier compact très bien ficelé. Douée d’une technique classique irréprochable, elle a aussi le mérite d’avoir la souplesse rythmique, si essentielle au jazz, qui fait souvent défaut aux musiciens de son pedigree. De plus, il faut remarquer sa sonorité ample et chaude qui la rapproche davantage du timbre de l’alto que de celui assez brillant de son instrument. Elle bénéficie aussi d’une rythmique impeccable (Rafael Zaldivar, pno., Rémi-Jean Leblanc, cb. et Philippe Melanson, btr.) pour donner vie et substance à ses dix compositions aux contours variés, le tout livré en un peu moins d’une heure. Paru sur l’étiquette du saxo américain Greg Osby, ce disque aura donc la chance de trouver un plus grand auditoire que celui de chez nous. Et c’est tant mieux.

… batteurs ensuite

Mark Nelson
Sympathetic Frequencies – MCM 018
61 min 13 s

Premier batteur du Park-X trio, Mark Nelson bat depuis ses propres ailes, signant ici son premier disque sur l’étiquette dudit trio. Bien que l’instrumentation soit traditionnelle, la matière musicale n’a rien de convenu. Les compositions du batteur s’inscrivent dans un registre de jazz tout à fait contemporain. Pièce de résistance, les cinq mouvements de la suite Hymn of Hope occupent presque la moitié de cet enregistrement de quelque 62 minutes. Outre les solides contributions du pianiste Andrew Boudreau et du bassiste Nicolas Bédard, le saxo ténor Mike Bjella se révèle comme un styliste original qui n’a rien de Coltrane dans son jeu, tout juste un soupçon de Shorter. Vachement sympas, leurs fréquences.

Harris Eisenstadt
Canada Day IV – Songlines SGL 1642
50 min 48 s

Installé à New York depuis plus de 10 ans, Harris Eisenstadt n’a pas oublié sa terre natale, d’où le nom de son groupe. Édité comme tous ces prédécesseurs sur l’étiquette vancouvéroise Songlines, ce quatrième opus du batteur offre un programme concis de sept de ses compositions originales. Le quintette qu’il dirige est à une exception près (vibraphone et non piano) conforme à l’instrumentation du jazz, arrondie par un saxo ténor, une trompette et une contrebasse. Comme Nelson, Eisenstadt ne fait aucune démonstration instrumentale, ne serait-ce que pour mieux mettre en valeur ses hommes, le trompettiste Nate Wooley étant particulièrement inventif et audacieux comme soliste. Du jazz contemporain de premier ordre.

Joe Hertenstein
HNH – Clean Feed CF332CD
51 min 41 s

Quoique le disque soit au nom du batteur Joe Hertenstein, il est un partenaire égal avec ses acolytes Thomas Heberer (cornet) et Pascal Niggenkamper (contrebasse). Installés à New York, ces trois compatriotes allemands en sont à leur troisième disque. Quatre des plages sont des improvisations collectives, les sept autres étant attribuées au batteur ou au cornettiste. Dans ces dernières, il faut apprécier la fluidité entre les parties écrites et improvisées. Mais comme ces messieurs sont de proches complices depuis 2007, ils peuvent se lancer en toute confiance dans des excursions en terres inconnues et arriver à des résultats assez concluants. Le succès de cet enregistrement relève donc d’un travail efficace et surtout d’une concision dans le propos, rondement mené en 11 plages et 50 minutes.

Christian Lillinger
Grund – Pirouet PIT 3086
51 min 38 s

Autre Allemand, mais bien chez lui, Christian Lillinger propose une musique assez insaisissable, interprétée par un septette inusité avec deux saxos, deux claviers (piano et vibraphone), deux contrebasses et son chef aux tambours. On parlera ici d’une musique diffuse comportant des séquences écrites furtives qui se dissolvent en improvisations plus ou moins collectives. Parfois, certains musiciens improvisent alors que d’autres jouent des parties écrites, le tout rarement joué dans des tempos fixes. Ni musique free, ni jazz au sens habituel du terme, cet enregistrement se déploie sur un terrain glissant où l’on arrive difficilement à prendre pied.


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(c) La Scena Musicale