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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 4 décembre 2015

Les grondements du Nord

Par Alice Liénard / 1 décembre 2015


Catherine Harton
Catherine Harton. Photo Sophie Beaulieu-Jacques

Finaliste au prix du Gouverneur général de 2015 dans la catégorie romans et nouvelles, Le traité des peaux, de Catherine Harton, est un roman qui évoque la beauté poétique et destructrice du Nord, mais qui, surtout, porte en lui des voix multiples, les voix méconnues et maltraitées des peuples autochtones.

Séparé en trois parties(Groënland, Nunavik, Québec) Le traité des peaux raconte les différentes vies et les destins d’hommes et de femmes autochtones incompris, méprisés et écrasés par l’homme blanc. L’auteure n’épargne pas le lecteur qui se voit confronté à la dure réalité de leurs conditions passées et présentes. Sous sa plume, les vies et les voix de ces femmes et ces hommes deviennent des instants de lecture qui grondent autant que la nature du Nord.

Catherine Harton aime les livres qui parlent de microcosmes, car ils sont « à mille lieues du sien », dit-elle. Ses nombreuses lectures sur le Nord et les Autochtones ont d’ailleurs mené à l’écriture du recueil.

Pour elle, il a toujours été clair qu’il était hors de question de parler au nom des peuples autochtones et surtout pas à travers le prisme de son point de vue de femme blanche. Elle s’est ainsi familiarisée à leurs modes vie, leurs cultures, leurs réalités et leur conception de l’histoire avec de nombreux ouvrages, notamment Pour une histoire amérindienne de l’Amérique de Georges E. Sioui.

« C’était un point de repère important », dit-elle. À la base de ces lectures, on trouve un intérêt pour ces peuples dont on n’entend jamais parler. « Un intérêt général qui a viré à une espèce d’obsession », selon elle.

Ses incursions littéraires et documentaires lui ont permis de constater que tous sont en mode survie, et non pas seulement par leur rapport avec la nature. Les maltraitances passées et présentes des Blancs y sont encore pour beaucoup.

Catherine Harton a notamment été profondément troublée par le  sort réservé aux enfants qu’on enlevait aux familles et qui, lorsqu’ils revenaient chez eux – s’ils revenaient – avaient perdu toute identité propre.

« On a voulu en faire des Blancs à notre image, pour ne pas qu’ils nous dérangent, dit-elle. On a essayé de les dénaturer. On a voulu  changer la nature de quelqu’un, sa langue, sa façon de penser, tout son bagage de vie… »

À bout de mots face à la misère, l’auteure ne se laisse pourtant pas aller au misérabilisme. Selon elle, nous avons beaucoup à apprendre des Autochtones comme individus. Leurs préoccupations sont celles du moment, ils sont davantage dans l’instant présent que nous car tout est question de survie et ils ont un vrai rapport physique au monde et à la nature. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un duel entre l’homme et la nature selon elle, mais plutôt d’une véritable communion, tant dans sa beauté que dans sa rudesse. Catherine Harton peut parler des heures durant des Autochtones, de leur rapport au monde, de leurs identités brisées par l’homme blanc.

Traité des peaux couvertureEt on peut l’écouter en parler des heures ! Les recherches, les lectures ont donc été nombreuses et poussées. Et le travail d’écriture, lui ? « Le style était déjà là, explique-t-elle. Le plus long a été de me documenter, car je ne voulais pas arriver avec des idées floues ». Il était très important pour elle de prendre le temps nécessaire pour bien absorber le mode de vie des gens, leurs savoirs. Le plus gros du travail a donc été de lire et de s’immerger totalement et avoir ainsi un bon bagage référentiel afin d’éviter tout amalgame.

L’auteure passe par le concret pour créer et qu’ainsi éclose sa voix singulière et poétique de l’auteure, et à travers elle toutes ces identités, ces voix d’hommes et de femmes du Nord.

Traité des peaux est publié aux éditions Marchand de feuilles.


Les autres finalistes du prix du Gouverneur Général dans la catégorie romans et nouvelles :
● Séna, Françoise de Luca, Marchand de feuilles, 2015
● La Fabrica, Maryline Fortin, Marchand de feuilles, 2015
● À la recherche de New Babylon, Dominique Scali, La Peuplade, 2015

Le lauréat :
● Six degrés de liberté, Nicolas Dickner, Alto, 2015

(c) La Scena Musicale