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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 4 décembre 2015

Le Groupe de Beaver Hall au MBAM : Montréal des années 1920, à l’aube de la modernité

Par Lina Scarpellini / 1 décembre 2015

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Adrien Hébert (1890-1967)   Saint Catherine Street
Adrien Hébert (1890-1967): Rue Sainte-Catherine, 1926, Huile sur toile, 81,5 x 102,2 cm, Famille Archambault
Photo MBAM, Christine Guest

Dans les années 1920, le Québec échappe à la prohibition et vit au rythme du jazz et du charleston. Témoin de cette époque, le Groupe de Beaver Hall de Montréal est le sujet d’une grande exposition du MBAM jusqu’au 31 janvier 2016.

Regroupant une vingtaine de membres, pour la plupart des anglophones ayant étudié à l’Art Association of Montréal (aujourd’hui le Musée des beaux-arts de Montréal), ce groupe a été l’un des instigateurs de la modernité picturale au Canada dans les Années folles. Fondé en mai 1920, le même mois et la même année que le Groupe des Sept à Toronto, le Groupe de Beaver Hall s’en distingue par ses œuvres et son approche.

Au lieu de représenter la nature sauvage nordique, ses membres ont choisi de conjuguer le portrait, la figure humaine et le fond paysager, réalisant des paysages humanisés. Ils ont peint une multitude de portraits, parmi les plus remarquables de l’histoire de l’art canadien. Les sculptures de danseuses d’Henri Hébert, les portraits de Prudence Heward au théâtre témoignent des Années folles à Montréal. Les musiciens des États-Unis venaient se produire dans les boîtes de nuit de Montréal. En visitant l’exposition, on peut d’ailleurs entendre une sélection musicale de l’époque avec, entre autres, la chanson Hello Montreal (Goodbye Broadway).

Selon Jacques Des Rochers, historien de l’art, cocommissaire de l’exposition et codirecteur de la publication Une modernité des années vingt à Montréal, la parité hommes-femmes qui caractérise ce groupe, une première non seulement au Québec mais également au Canada, est plus remarquable encore que les sujets représentés par ses membres dans leurs œuvres. Le groupe comptait dix femmes peintres. Parmi celles-ci, mentionnons Prudence Heward, Kathleen Morris et Anne Savage.

En 1954, lors d’une conférence, Anne Savage a ravivé la mémoire du Groupe de Beaver Hall dont elle était membre. Dans les années 1960, on redécouvre le groupe selon une perspective féministe. En 1966, une exposition est consacrée au Groupe de Beaver Hall où ne sont représentées que les œuvres des femmes. La communauté anglophone en viendra alors à le considérer essentiellement comme un groupe de femmes. Or, comme le souligne André Des Rochers, ce n’était nullement le cas et l’exposition jette un nouvel éclairage sur ce regroupement et son importance pour l’histoire de l’art.

Moderne mais figuratif

Lorsqu’on parle de modernité, il n’est certes pas question de peinture abstraite. À l’entrée de l’exposition, on est accueilli par le portrait de Mlle Audrey Buller par Hewton, une jeune femme au regard assuré, aux cheveux courts et à la jolie robe rouge. La modernité des années 1920 s’exprimait par les couleurs vives et contrastantes, le synthétisme des formes, l’originalité de la composition, du rapport à la réalité et du choix des sujets. Immigrantes, une toile de Prudence Heward, est un bon exemple. Cette artiste a également réalisé des nus féminins en rupture avec les canons esthétiques de l’époque. Les œuvres d’Adrien Hébert évoquent la prospérité, l’essor économique de Montréal. Son amour pour la ville se reflète dans ses tableaux de la rue Saint-Denis, de la rue Sainte-Catherine.

Le portrait s’inscrivait aussi dans la quête de la modernité. Lilias Torrance Newton, considérée la plus grande portraitiste canadienne, a peint près de 300 portraits, parmi lesquels figurent les Canadiens les plus considérés de son époque.

Fondation et critique

Montréalais d’origine, A. Y. Jackson a été le premier président du Groupe de Beaver Hall et l’un des membres fondateurs du Groupe des Sept, agissant comme trait d’union et favorisant les échanges entre les deux groupes. À maintes reprises, les artistes du Groupe de Beaver Hall ont été invités à participer à des expositions du Groupe des Sept et à exposer en Europe, à Londres et à Paris.

Le bail de location de 1920 à 1923 des bureaux du 305, côte du Beaver Hall, retrouvé dans les archives de Montréal, témoigne de l’existence officielle du groupe qui y aura tenu cinq expositions. S’il ne reste du groupe qu’un carton d’invitation officielle, ce dernier aura, par sa mixité, joué un rôle de premier plan dans l’essor des femmes peintres professionnelles en leur permettant de nouer des liens d’amitié et de solidarité, elles qui étaient exclues de l’Arts Club et du Pen and Pencil Club, deux associations montréalaises importantes à l’époque.

Le groupe ne faisait pas l’unanimité, par contre. En 1922, S. Morgan Powell, critique au Montreal Daily Star, a dénigré le « mur jazz », la série de portraits réalisés par les membres du Groupe de Beaver Hall pour le Salon du Printemps de l’Art Association, les associant au postimpressionnisme. Il dénonça « les couleurs criardes sur des fonds ahurissants ». Dans Le Devoir, Paul Dupré réprouva la « cacophonie » des toiles. Pour défendre le Groupe de Beaver Hall, Albert Laberge dans La Presse reprit la métaphore du jazz, associant les couleurs éclatantes aux accents des trompettes.

L’exposition offre ainsi l’occasion de se réapproprier une partie marquante du patrimoine artistique montréalais et de se replonger dans le contexte urbain et culturel qui a vu naître le groupe de Beaver Hall.


La couleur du jazz: jusqu’au 31 janvier 2016 au Musée des beaux-arts de Montréal. www.mbam.qc.ca


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