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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 3 novembre 2015

La mélodie canadienne: le reflet de notre diversité

Par Michèle Duguay et Kiersten van Vliet / 1 novembre 2015

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Snow

La 20e année de publication de La Scena Musicale bat son plein et le magazine continue de célébrer la mélodie avec le concours La prochaine grande mélodie. Ce mois-ci, nous mettons en vedette des mélodies canadiennes anglaises, qui ne feront sans doute pas partie de notre Top 10 faute d’être mieux connues. On connaît et on aime le lied allemand, la mélodie française et la chanson américaine, mais qu’en est-il de la « Terre de nos aïeux » ? Calixa Lavallée n’est sans doute pas le seul Canadien à avoir composé pour voix et piano !

En fouillant les archives en ligne du Centre de musique canadienne – qui préserve et promeut les œuvres de compositeurs canadiens –, nous avons découvert une véritable mine d’or de mélodies, dont plusieurs sont écrites par des musiciens canadiens reconnus. Contrairement à d’autres styles nationaux, la mélodie canadienne ne semble pas être unie sous un seul style ou une seule école. Cette tendance est répandue dans toutes sortes de formes d’art canadien, lequel reflète la diversité du pays.

Cet éclectisme, cependant, est ce qui rend la musique canadienne si intéressante. Le 20e siècle, marqué par le déclin des concerts traditionnels et une remise en question de la tonalité, a donné naissance à plusieurs genres variant énormément sur le plan du langage harmonique, du rythme, de l’instrumentation et de la poésie elle-même.

Malgré les techniques de composition variées, nous avons constaté que de nombreuses mélodies canadiennes sont unies par un thème commun, celui du paysage désolé du pays. Puisque l’hiver approche à grand pas, nous célébrons la nouvelle saison en vous présentant trois cycles de mélodies en lien avec la neige. Nous n’avons qu’effleuré cette impressionnante tradition musicale, mais nos exemples démontrent la diversité du genre. Il n’est ici question que de pièces en anglais; nous présenterons des mélodies en français dans des articles à venir.

Le premier cycle de mélodies que nous avons examiné est composé par John Gordon Armstrong. Né à Toronto en 1952, Armstrong est présentement professeur de composition à l’Université d’Ottawa. Son cycle pour soprano et piano, Hail (2003), a été commandé par Doreen Taylor-Claxton dans le cadre du projet Canadian Art Song, qui visait à unir des compositeurs et poètes canadiens. La première de l’œuvre a eu lieu en août 2005, au Festival international de musique de chambre d’Ottawa. Taylor-Claxton et la pianiste Valerie Dueck étaient les artistes invités. Leur collaboration est immortalisée sur disque: Hail: Canadian Art Song (CanSona Arts Media, 2006).

Le cycle consiste en une série de 14 « sonnets de mots » signés Seymour Mayne. Ce dernier, né en 1944, est également professeur à l’Université d’Ottawa. Cette forme poétique est une variation sur le sonnet traditionnel, puisqu’on y retrouve 14 vers d’un mot chacun. Le cycle contient donc un total de 196 mots, posant un défi majeur en matière de composition. Armstrong explique que certaines des mélodies, comme « Hail » qui n’a que neuf mesures, sont des miniatures représentant directement le texte. D’un autre côté, des pièces telles « Wind » ont une longueur plus traditionnelle.

« Hail »

Hail peppered the air like seed as you were lowered below the frost line.

« Wind  »

From behind the maple
From behind the maple
The sun flaps its blinding plumage
The sun flaps its blinding plumag
Without a waking cry!

Dans chaque mélodie, l’accompagnement joue un rôle crucial dans la représentation musicale des éléments. Dans « Hail », on retrouve de courtes notes disjointes et staccato au piano, d’abord dans le registre élevé, puis descendant rapidement vers le grave. Ces figures évoquent la grêle tombante ainsi que le corps abaissé dans la fosse. L’accompagnement cesse au milieu de la pièce et la soprano termine la chanson a cappella.

« Frost »

Cold morning, winter’s reconnaissance scouts out the terrain for a sortie of sudden snow.

L’avant-dernière pièce, « Frost », commence par des accords dissonants dans le registre aigu au piano et une sixte mineure ascendante pour la soprano. L’atmosphère lente et pianissimo illustre un réveil par un matin froid et gelé. Les mots « a sortie of sudden snow » sont soulignés par un changement de texture au piano, qui se lance dans une rapide descente chromatique illustrant la neige tombante.

Le cycle Five Snow Songs de David S. Fawcett est également évocateur de nos longs hivers glacés. Originaire de Hamilton en Ontario, Fawcett a mis en musique des poèmes d’Archibald Lampman (1861-1889), qui travaillait dans la région d’Ottawa où il écrivit souvent au sujet des saisons. Fawcett admet avoir longtemps été attiré par les portraits du paysage canadien de Lampman.

« Snow »

White are the far-off plains, and white
The fading forests grow;
The wind dies out along the height,
And denser still the snow,
A gathering weight on roof and tree,
Falls down scarce audibly.

The road before me smoothes and fills
Apace, and all about
The fences dwindle, and the hills
Are blotted slowly out,
The naked trees loom spectrally
Into the dim white sky.

The meadows and far-sheeted streams
Lie still without a sound;
Like some soft minister of dreams
The snow-fall hoods me round;
In wood and water, earth and air,
A silence everywhere.

The evening deepens, and the gray
Folds closer earth and sky;
The world seems shrouded far away;
Its noises sleep, and I,
As secret as yon buried stream,
Plod dumbly on, and dream.

Les cinq poèmes du cycle illustrent différents aspects de la forêt hivernale canadienne. Un enregistrement avec le baryton Reid Spencer sera bientôt disponible. « Snow », la deuxième mélodie du cycle, est tirée des Lyrics of Earth de Lampman. Afin d’illustrer le silence paisible de la neige tombante, Fawcett opte pour un ostinato léger au piano, marqué par l’indépendance rythmique des deux mains. L’accompa-gnement descend peu à peu dans le registre, illustrant littéralement la neige tombante s’accumulant au sol.

Figure centrale de la musique canadienne, Violet Archer (1913-2000) a composé une foule de pièces inspirées par le paysage canadien. Songs of North est un cycle de cinq mélodies, sur des textes de la poète alaskaine Lisa Harbo. L’œuvre a été commandée par Suzanne Summerville dans le cadre du 4e Festival of Women Composers. Le cycle illustre la rotation incessante des saisons ainsi que la dureté de l’hiver.

« Seasons of the North »

Grand and quiet distinctness
Winter of Night
Summer of Day
Framed by the rapid merging between times
Of Change
The shift in sun’s dominion
The blurring
Spring of Dawn
Fall of Shadows
Vast enough.
All Four seasons of one North.

La première mélodie, « Seasons of the North », évoque le vaste territoire nordique. Le changement constant d’indicateur de temps, en plus des progressions harmoniques inhabituelles sans centre tonal défini, créent l’image d’un Nord sans frontières et sans fin.

« O Kingdom of Summer »

Where did the sun go
When the light ran back
March was brilliant, clear and fresh,
Light glittering, snow sparkling in glints,
A prism of bright white,
To this Northern Place.

This is the center:
South of us
East of us
North of us
West of us
This is where we begin

La dernière mélodie, « O Kingdom of Summer », offre la promesse des saisons chaudes. Cette pièce ressort du lot puisque Archer l’ouvre avec une brillante mélodie en ré majeur. Le poème décrit la centralité du Nord, illustrée musicalement par des excursions dans des régions tonales éloignées, puis par un retour définitif sur ré. Le cycle confirme que le Canada, lieu nordique, est au centre de notre identité. La myriade de façons dont nous exprimons humblement cette identité ne témoigne pas d’une incertitude, mais bien des innombrables possibilités qui s’offrent à nous.

Canadian Art Song Project

Fondé en 2011 par Lawrence Wiliford et Steven Philcox, le Canadian Art Song Project (CASP) vise à promouvoir les compositeurs canadiens en reprenant des mélodies existantes et en commandant de nouvelles œuvres. En plus d’encourager les artistes et compositeurs canadiens, le projet souligne la pertinence de la mélodie canadienne pour les interprètes et le public.

Wiliford et Philcox sont tous deux de célèbres musiciens canadiens, actifs dans le domaine de la mélodie. Philcox, professeur à l’Université de Toronto, est connu en tant que pianiste accompagnateur, tandis que Wiliford est un ténor renommé se spécialisant dans la musique de J.S. Bach et d’autres compositeurs baroques. Grâce au CASP, ils ont commandé de nouvelles œuvres à Brian Current, Marjan Mozetich, Norbert Palej, James Rolfe, Ana Sokolović et Peter Tiefenbach.

Grâce au soutien du Centre de musique canadienne, le CASP produit des enregistrements professionnels de mélodies canadiennes et édite présentement les partitions de nouvelles mélodies d’importants compositeurs canadiens. Sa dernière publication, Sewing the Earthworm, date d’avril dernier. Le CASP l’a commandée à Brian Harman et le texte est signé David Brock. L’enregistrement réunit Philcox lui-même au piano ainsi que la soprano Carla Huhtanen.

En 2015-2016, le CASP organise une série de récitals. En plus de son événement annuel gratuit, « Celebration of Canadian Art Song », il présente deux récitals de mélodies canadiennes, américaines et européennes. Il faut se procurer des billets pour assister à ces concerts qui mettent en vedette des artistes canadiens de renom. Au premier récital, « The Living Spectacle », on pourra entendre le cycle du même nom d’Erik Ross, en plus d’œuvres de Harman, Richard Strauss et Libby Larsen. Le récital est présenté par les sopranos Ambur Braid et Carla Huhtanen, le pianiste Philcox et la danseuse Jennifer Nichols.


« The Living Spectacle », samedi le 7 novembre 2015, 7h30, The Extension Room, 30 Eastern Ave, Toronto. www.canadianartsongproject.ca.
Sur disque: Brian Harman: Sewing the Earthworm (Centretracks, 2015); Holman: Ash Roses (Centretracks, 2014)

N’oubliez pas de participer au défi Grande Mélodie. Votez pour vos trois mélodies préférées au www.nextgreatartsong.com ou par courriel au greatartsong@lascena.org.


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