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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 3

Charles Richard-Hamelin: L’aventure Chopin

Par Caroline Rodgers / 1 novembre 2015

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Charles Richard-Hamelin

On n’a pas souvent l’occasion d’assister en direct à la naissance d’une carrière internationale. C’est pourtant ce que nous avons vécu en suivant la progression du pianiste Charles Richard-Hamelin à travers les étapes de la 17e édition du Concours international de piano Frédéric Chopin vers une médaille d’argent.

Le musicien de 26 ans, natif de Joliette, est ainsi le premier pianiste canadien1 à finir parmi les trois premiers de ce concours, qui fait partie des plus prestigieux du monde avec les concours Reine Élisabeth de Belgique, le Concours international Tchaïkovski de Moscou et le Van Cliburn aux États-Unis.

On le sait, c’est déjà un exploit d’être concurrent au Concours Chopin, qui n’a lieu qu’aux cinq ans depuis 1927. Pour l’édition de 2015, 78 candidats de 20 pays ont été retenus. Avant d’en arriver là, ils avaient d’abord été triés sur le volet. En effet, plus de 450 pianistes ont fait parvenir au concours une vidéo de candidature, avant décembre 2014. En avril, 160 ont été convoqués pour une présélection.

Charles Richard-Hamelin, après avoir regardé les prestations de plusieurs de ses rivaux sur Internet, savait qu’il avait le niveau requis pour aller loin. Il ne se voyait pas cependant terminer deuxième.

« J’avais quand même confiance de faire la finale, mais quand je suis entré pour la première fois dans la salle mythique où se tient le concours pour essayer les pianos, mon optimisme en a pris un coup. Je me suis dit que je serais bien heureux si j’arrivais à franchir la première étape! »

Grâce à la magie d’Internet, nous avons pu le voir et l’entendre jouer à chacune des étapes, en direct. Après avoir écouté sa magnifique interprétation de la Sonate no 3 en si mineur op. 58, nous étions convaincus qu’il passerait en finale. Cette sonate allait d’ailleurs lui valoir le prix Krystian Zimerman. Juste après avoir joué, le jeune pianiste se disait heureux de sa prestation, mais les résultats ont dépassé ses rêves les plus fous. En même temps, il a beaucoup apprécié les centaines de messages de soutien qu’il recevait sur sa page Facebook. Ces encouragements lui ont fait du bien et l’ont aidé à tenir le coup, car même s’il est habitué aux concours, il a trouvé très éprouvant le stress du Chopin, qui sera, dit-il, son dernier concours.

En finale, dix candidats s’affrontaient. Deux provenaient du Canada (le second étant Yike [Tony] Yang, 16 ans, de Toronto) et deux des États-Unis, les autres venant de la Croatie, de la Russie, de la Lettonie, du Japon, de la Corée du Sud et de la Pologne. Le hasard a voulu que Charles Richard-Hamelin soit le seul candidat à jouer le Concerto no 2 de Chopin, les neuf autres candidats ayant choisi le premier.

Toutes les étapes du concours étaient prises en considération pour déterminer les lauréats, mais le récital d’une heure de la demi-finale était celui qui valait le plus grand nombre de points. À la fin du concours, le jury a dévoilé les pointages attribués à chacun des concurrents par tous les juges. Il est intéressant de noter qu’aux trois premiers tours, la totalité des juges a voté pour que Richard-Hamelin passe au tour suivant. L’écart de points entre lui et le gagnant du premier prix, le Sud-Coréen Seong-Jin Cho, était assez mince. Cho, qui a 21 ans, a déjà remporté le premier prix au concours de piano d’Hamamatsu, au Japon, à 15 ans, et finissait troisième au Concours Tchaïkovski à 18 ans, en 2011.

Jouer Chopin

« Pour bien jouer Chopin, il faut être capable de chanter au piano, de jouer legato, explique Charles Richard-Hamelin. Chez Chopin, les lignes musicales sont longues. Il faut être sensible aux harmonies et aux couleurs harmoniques, car chez lui, après les mélodies, c’est ce qui prime. Il faut aussi avoir un toucher sensible aux couleurs du piano et aux variétés de son qu’on peut faire. Enfin, il faut intégrer la partition au point de ne plus y penser, pour qu’à la fin, on ne fasse plus que raconter une histoire. C’est du moins ce qui me guide, moi. »

De grands pianistes du passé le guident également, sur disque. D’abord Dinu Lipatti, un Roumain comme Paul Surdulescu, son premier professeur, qui l’a guidé au piano pendant quinze ans. Mais aussi, évidemment, l’incontournable Arthur Rubinstein.

« Quand j’ai besoin d’inspiration, quand je n’ai plus d’idées, j’écoute ces pianistes. Rubinstein a le secret. J’apprends tellement avec son rubato! Personne n’a un rubato aussi raffiné et naturel que lui. C’est paradoxal à dire, mais il a une façon de jouer qui fait croire que c’est la seule façon de jouer Chopin, alors qu’il est le seul à pouvoir le faire comme il le fait. Il n’y a jamais de prétention dans son jeu, mais c’est toujours vraiment senti. »

Outre Paul Surdulescu, Richard-Hamelin a étudié avec Richard Raymond, Sara Laimon et Boris Berman. Diplômé de McGill et de la Yale School of Music, il se perfectionne présentement au Conservatoire de musique de Montréal avec André Laplante. Pour sa préparation au Concours Chopin, il a également bénéficié des conseils de Jean Saulnier et de Janina Fialkowska.

Le concours

Le jury international de la 17e édition du Concours Chopin comptait 17 juges, parmi lesquels Martha Argerich, Dmitri Alexeev, Dang Thai Son, Philippe Entremont, Yundi Li et Garrick Ohlsson.

L’été dernier, Charles Richard-Hamelin a eu l’occasion de jouer des pièces de son programme en récital plusieurs fois, ce qui l’a grandement aidé à se préparer, croit-il. En mai, il a enregistré sur disque, avec la maison Analekta, un programme Chopin similaire à celui qu’il a joué au concours, incluant notamment la fameuse Sonate en si mineur op. 58 – une des plus importantes sonates romantiques, selon lui. L’album a été enregistré à la salle Françoys-Bernier du Domaine Forget.

On peut affirmer sans exagération que Richard-Hamelin faisait partie des favoris du public à Varsovie. Cela se constatait en lisant les commentaires positifs de ses prestations diffusées sur YouTube. Dans la salle, il était chaudement applaudi. Avant même d’être sélectionné pour la finale, il recevait des offres pour donner des concerts en Pologne.

Son agente, Annick-Patricia Carrière, de l’agence Station Bleue, s’est rendue à Varsovie pour la finale. Ses parents ont fait de même. La passion des Polonais pour la musique de Chopin et pour le concours a impressionné Mme Carrière.

« Après le concours, à l’occasion des trois concerts où les six meilleurs ont joué, tous les billets ont été vendus, raconte-t-elle. Le Concours en avait gardé une partie pour les vendre le soir même et les gens ont commencé à faire la queue au moins une heure avant le concert. C’est un public de tous les âges, c’est beau à voir. Les gens écoutent avec recueillement et beaucoup d’intensité. Il y a très peu d’ovations debout, mais Charles en a eu une. Les gens l’arrêtaient dans la rue pour lui parler. Je n’avais jamais vu ça. J’en garderai un souvenir impérissable. »

La culture musicale en Pologne ne se compare en rien avec la nôtre, a-t-elle pu observer. « On sentait un amour incroyable de la part du public dans la salle envers les concurrents, ajoute-t-elle. On ne connaît pas un tel engouement au Canada. Même l’agent de sécurité, à la fin, a demandé aux six premiers de signer son programme. »

Avec autant de mordus du piano dans la patrie du compositeur, qui compte plus de quarante orchestres symphoniques, on ne sera pas étonnés d’apprendre que Charles Richard-Hamelin retournera rapidement en Pologne pour donner cinq concerts, du 9 au 20 novembre. D’ailleurs, il a même dû modifier la date de son retour au Québec, car deux concerts, les 25 et 26 octobre, s’ajoutaient pour les lauréats. Tous les billets étaient déjà vendus.

« Sur place, il y avait, pour observer ces jeunes pianistes, des représentants de maisons de disques, des directeurs de festivals et des responsables de programmations de beaucoup de diffuseurs de concerts, dit Mme Carrière. De plus, la compagnie Japan Arts organise une tournée des six premiers en Asie, avec sept concerts au Japon, dont deux à Tokyo, ainsi qu’un autre à Séoul en Corée. Sans compter que des possibilités pour l’Europe, plus tard en 2016, sont déjà sur la table. »

Prochainement, on pourra entendre Charles Richard-Hamelin en récital à la salle Pierre-Mercure le 26 novembre.

Prix, bourses et récompenses de Charles Richard-Hamelin
2011 Premier prix, Concours national de piano de l’Orchestre symphonique de Toronto
2011 Lauréat, Prix d’Europe
2014 Troisième prix et prix spécial pour la meilleure interprétation d’une sonate de Beethoven, Concours international de piano de Séoul
2014 Deuxième prix, Concours musical international de Montréal
2015 Récipiendaire du Career Development Award du Women’s Musical Club of Toronto
2015-2016 Révélation classique Radio-Canada
2015 Médaille d’argent et prix Krystian Zimerman pour l’interprétation de la meilleure sonate, Concours international de piano Frédéric Chopin

Concours Chopin: des lauréats célèbres
Vladimir Ashkenazy (Russie) médaille d’argent 1955
Maurizio Pollini (Italie) médaille d’or 1960
Martha Argerich (Argentine) médaille d’or 1965
Garrick Ohlsson (États-Unis) médaille d’or 1970

Concours Chopin2015: les lauréats
1er prix (30000 € et médaille d’or):
Seong-Jin Cho, Corée du Sud
2e prix (25000 € et médaille d’argent):
Charles Richard-Hamelin, Canada
3e prix(20000 € et médaille de bronze):
Kate Liu, États-Unis
4e prix(15000 €):
Eric Lu, États-Unis
5e prix (10000 €):
Yike (Tony) Yang, Canada
6e prix (7 000 €):
Dmitry Shishkin, Russie
Mentions honorables (4 000 €):
Aljoša Jurinić (Croatie),
Aimi Kobayashi (Japon),
Szymon Nehring (Pologne),
Georgijs Osokins (Lettonie)
Meilleure prestation d’une Polonaise (3 000 €):
Seong-Jin Cho
Meilleure prestation d’une mazurka(5 000 €):
Kate Liu
Meilleure prestation d’une sonate(10 000 €):
Charles Richard-Hamelin
Meilleure prestation d’un concerto:
non attribué
Prix du public:
Szymon Nehring

1 Dang Thai Son, médaillé d’or au Concours Chopin 1980, est aujourd’hui citoyen canadien. Toutefois, il représentait son pays d’origine, le Vietnam, lorsqu’il a participé au concours, comme le précisent les archives du concours Chopin. À l’époque, il était étudiant au Conservatoire de Moscou.


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