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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 2 octobre 2015

Sensation coréenne : Keon-Woo Kim & HyeSang Park

Par Wah Keung Chan / 1 octobre 2015

English Version...


Je vais tenter de dresser le portrait du ténor Keon-Woo Kim et de la soprano Hyesang Park, tous deux de Corée du Sud, qui viennent de faire irruption sur la scène opératique. Ils ont raflé les premiers prix au Concours musical international de Montréal (CMIM), consacré au chant en 2015. Les deux concurrents étaient tellement loin en tête du peloton qu’il ne restait plus qu’à les départager pour attribuer la première place. Avec sa voix de ténor évocatrice du grand Suédois Jussi Björling et une cascade d’aigus, Kim a remporté la victoire. Quant à Park, son legato étincelant et son sens théâtral inné lui ont valu le deuxième prix et le prix du public.

Le circuit des concours de musique a été dominé par les chanteurs asiatiques cet été. En fait, presque tous les concours de chant ont couronné un Asiatique, et ce sont les Sud-Coréens qui mènent le bal. D’après le carnet Web Talk about Opera, on ne voyait en 1995 qu’une poignée de Coréens dans les concours internationaux, mais en 2011, 378 finalistes et 60 lauréats étaient issus du « pays des matins calmes ». Au Concours Reine Elisabeth, les résultats sont encore plus éloquents : la moitié des finalistes en 2014 appartenaient au bataillon coréen (25 % des participants). Ce phénomène est le sujet d’un documentaire intitulé Le mystère musical coréen, des Français Thierry Loreau et Pierre Barré. Au CMIM cette année, neuf des 24 participants étaient des Asiatiques, dont huit Coréens.

Talk about Opera donne trois hypothèses : l’éthique de travail des Coréens; leurs visages carrés arrondis; la langue coréenne pleine de sons ouverts et de résonances. Pour Kim, chaque succès en produit d’autres : « Dès qu’on voit un compatriote réussir, on se sent motivé à travailler plus fort. » D’après lui, « les Coréens sont profonds et tristes, et ils sont facilement excitables; ça peut donner un puissant mélange. »

Keonwoo Kim

Keon-Woo Kim, ténor, 29 ans

Kim commence à s’intéresser à la musique dès l’âge de 4 ou 5 ans. « Nous étions pauvres. Mon père jouait de la guitare et après le souper, on chantait ensemble », se remémore le jeune ténor, qui a commencé ses leçons de piano et de violon à 6 ans. « Ma mère était une maman tigre. Je détestais répéter, mais à présent, je lui suis reconnaissant de m’avoir poussé à faire mes exercices. » En juin 2001, il a 15 ans et sa voix a mué. Kim assiste au concert des Trois ténors à Séoul. Impressionné, il décide de devenir chanteur, mais il rate le test d’entrée à l’Université nationale à Séoul et fréquente donc l’Université Kyung-Hee de Séoul. C’est en fait très bien pour lui, car Kim y a côtoyé d’excellents enseignants, en particulier Jiyeon Cho Lee, diplômé de Juilliard, à qui il doit l’amélioration de sa technique vocale. « Nous avons visualisé le chant comme une vague et de l’eau qui coule », raconte-t-il. Trois mois plus tard, il sentait déjà sa voix devenir plus puissante. « Nous avons travaillé sur les cavités du visage, l’intérieur de la bouche et le placement de la langue. »

Encore étudiant au baccalauréat, Kim fait deux années de service dans l’harmonie de l’Académie militaire coréenne. Une fois bachelier, il s’inscrit à l’Académie de l’Opéra national de Corée tout en poursuivant à Kyung-Hee une maîtrise en musicologie avec concentration opéra. À l’instar d’autres Coréens, Kim vise l’Amérique, mais après son début sur le circuit des concours européens en 2013, il se rend compte qu’on l’aime beaucoup sur le Vieux Continent. Depuis janvier 2015, il est inscrit à la maîtrise en musique vocale à la Hochschüle für Musik à Mayence, en Allemagne.

Avant le CMIM, Kim remporte du succès dans plusieurs petits concours comme ceux de Bilbao-Bizkaia en Espagne (finaliste en 2014) et de Marmande en France (3e place en 2014), et dans les concours Grandi Voci et G.B. Rubini (prix du meilleur ténor en 2015).

Au CMIM, comme je l’ai écrit dans le carnet Web sur SCENA.org, « le ténor coréen Keon Woo Kim a montré que le plus important, c’est de bien finir. En demi-finale, ses deux premières pièces sont médiocres, mais il séduit le public avec de solides interprétations d’airs d’opéra. Ce soir, il a commencé par un « Comfort ye... Ev’ry Valley », peu inspiré et inspirant, du Messie de Haendel. Il a solidement commencé le récitatif « Je crois entendre encore » (Les Pêcheurs de perles de Bizet), mais a chanté la plus grande partie de l’aria de façon hésitante, comme s’il craignait d’aborder la note aiguë finale, tout comme un patineur se prépare pour un quadruple. Mais avec le contre-ut soutenu sur le dernier « charmant », on savait que sa confiance était revenue et qu’il allait pouvoir s’amuser avec les trois arias restants. Kim s’est montré parfaitement à l’aise dans Rossini, exécutant avec brio « Principe piu non sei… Si, ritrovaria io guiro » de La Cenerentola. Il nous a séduits dans « Ah, lève-toi soleil » (Roméo et Juliette de Gounod) avant de finir sur « Favorita del re… Spirto gentil » (La favorita de Donizetti). À l’exception de l’extrait du Messie, Kim a offert une prestation dont la musicalité et le poli sont dignes d’un enregistrement professionnel. Son timbre me rappelle un peu celui de Jussi Björling. »

Était-il nerveux ? Non, selon ce qu’il dit. « Le public montréalais était si chaleureux que j’avais l’impression d’être en concert et non dans un concours. » De retour en Allemagne, Kim vient de célébrer en septembre 2015 la naissance de son deuxième enfant, un garçon. Il se prépare déjà à faire ses débuts dans un grand rôle, celui de Nadir dans Les Pêcheurs de perles de Bizet à l’Opéra national de Corée. En 2016, il sera le comte Almaviva dans Le Barbier de Séville de Rossini au Landestheatre Rudolstadt, en Allemagne.

Il rêve de chanter dans Rigoletto, La Bohème et La Fille du régiment. « J’aime jouer les méchants », dit-il.

Hyesang Park

HyeSang Park, soprano, 26 ans

Artiste extravertie au sourire irrésistible, Park fait contraste avec le stéréotype de l’Asiatique calme et réservé incarné par Kim. Depuis qu’elle s’est jointe à une chorale à l’âge de 8 ans, Park n’a aucune difficulté à se produire sur scène, puisqu’elle a chanté des solos de chœur et fait des tournées en Europe, en Amérique et au Japon. Elle aime les applaudissements autant que les voyages.

Quand ses parents se sont séparés, Park s’est tournée vers sa foi. Elle chantait parce que cela réunissait ses parents qui étaient toujours ensemble pour la voir en concert. Elle a fini par avoir gain de cause, puisque ses parents forment de nouveau un couple depuis trois ans.

Park pense sérieusement au chant après son premier prix à un concours pendant ses études musicales à l’Université nationale de Séoul. « À cause de mon don, j’avais le devoir d’être une professionnelle », déclare-t-elle, citant les professeurs Mi-Hae Park, Jinmi Hyoung et Edith Bers comme ses sources d’inspiration.

Après son diplôme, elle a posé deux fois sa candidature à l’école Juilliard, mais en vain. « Certains disaient que c’était fini pour moi », dit-elle. Le moment tournant dans sa vie s’est produit il y a trois ans, quand elle a décidé de visiter l’Europe seule pendant trois mois. En 24 heures, elle prenait l’avion et se retrouvait à Vienne. « Je me suis ouverte à la culture », raconte Park qui, à l’époque, ne parlait que le coréen et devait compter sur son beau sourire pour se faire comprendre. Forte de son courage, la soprano est retournée chez elle et a brillamment réussi sa 3e audition à Juilliard, allant jusqu’à remporter une bourse d’études complète.

Seule à New York sans encore maîtriser l’anglais, ce n’est pas facile. Park s’adapte en mimant les expressions de ses camarades de classe, en digne comédienne qu’elle est. Quand elle parle de technique, elle se montre très réfléchie : « Je répétais énormément et je pensais à la façon dont le personnage et l’émotion se rapportent à mon chant. Je dessine une image de mon personnage. Il faut toujours être dans le présent. »

Ayant décroché sa maîtrise de Juilliard avec un prix l’année dernière, Park s’est lancée sur le circuit des concours, terminant cinquième au Concours Reine Elisabeth de 2014. Au CMIM, comme je l’ai écrit :

« Mettons fin au suspense. La soprano sud-coréenne Hyesang Park a remporté le Jour 1 de la finale du CMIM 2015. Dès les premières notes de son premier aria, “Je veux vivre dans ce rêve” (Roméo et Juliette de Gounod), nous savions que sa voix flotterait au-dessus de l’orchestre. Son dernier aria lui a valu une ovation. »

« Parfaitement au point, son programme se terminait avec la scène de folie de Lucia di Lammermoor, de Donizetti. Entre les deux, l’aria de Mozart, la Chanson triste de Duparc et Ne py krasavitsa, pri mne de Rachmaninov étaient moins convaincants, car sa diction laissait à désirer. Park a une voix claire et bien projetée, capable d’une large gamme dynamique. Ce qui la distingue, c’est sa capacité à mettre son instrument au service de la narration, ce qu’elle accomplit avec musicalité et une expressivité nuancée dans le visage et le corps. Sur le plan technique, elle a un legato inné et n’a aucun mal à amplifier sa voix. Terminer un programme de concours sur la longue scène de folie dans Lucia, c’est tout un défi, mais Park l’a relevé presque sans effort (9 aigus sur 10). C’était une façon parfaite de conclure la soirée; le public est parti avec le sourire. » Park avoue que le prix du public lui a fait grand plaisir.

En juillet, Park a participé au concours Operalia de Placido Domingo à Londres, où elle a remporté le 2e prix et un prix de Zarzuela. « Je trouve l’espagnol presque aussi facile à chanter que l’italien, ce sont deux langues similaires sur le plan technique », dit Park, qui classe ensuite le russe, le français, l’allemand et l’anglais en ordre décroissant de facilité.

Sa carrière a définitivement décollé. En mai, elle a signé un contrat avec IMG Management et a été acceptée au programme Lindemann Young Artist du Metropolitan Opera, tout en poursuivant ses études à Juilliard. Elle a déjà à son programme le rôle de Despina dans Così fan tutte au Covent Garden en 2019. Elle rêve de chanter Roméo et Juliette de Gounod avec Roberto Alagna au Met. Les qualités qu’elle veut incarner sont la gratitude, la modestie, la maturité et le professionnalisme.

Traduction : Anne Stevens

Les trois mélodies préférées de Hyesang Park
1. Mozart : Das Veilchen. J’ai chanté cette mélodie à mon premier concours en Corée. Elle parle d’une fleur qui voit une jolie jeune fille et qui l’aime. La fille marche sur la fleur, qui meurt en disant : « Je suis heureuse, car je meurs sous son pied ». En chantant cela, j’ai pensé à Jésus qui est mort pour moi et qui veut que je l’aime. Je me sentais triste, mais j’ai vu une grande lumière et j’ai entendu les mots “Je t’aime”. Et j’ai remporté un prix.
2. JooWan Kim : 연꽃만나러 가는 바람같이 (Allez voir le lotus comme le vent). Les paroles de cette chanson sont des mots d’adieu, mais pas pour toujours. Elle a une signification spéciale pour moi.
3. Fauré : Clair de lune. C’est une mélodie que j’adore.

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