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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 2 octobre 2015

Dissonances : Résistons

Par Caroline Rodgers / 1 octobre 2015

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Si, comme moi, vous suivez l’actualité, vous avez vu défiler au cours des derniers mois des manchettes déprimantes pour les arts et la culture. Quelques exemples :

• Juin 2015 : la sculpture Dialogue avec l’histoire, de l’artiste français Jean-Pierre Raynaud, est démolie par une pelle mécanique sur ordre de l’administration municipale de Québec, pour des raisons « de sécurité ». Quelle qu’ait été notre appréciation de cette œuvre controversée, on ne peut s’empêcher de voir dans cet événement le symbole par excellence de l’incompréhension de nos élus envers des enjeux artistiques.

• Septembre 2015 : LA LA LA Human Steps, troupe de danse née à Montréal en 1980 et reconnue à travers le monde, cesse ses activités après 35 ans en raison de difficultés financières insurmontables, résultant notamment de l’abolition des programmes d’aide aux tournées par le gouvernement fédéral en 2009. Depuis 2009, la troupe avait survécu grâce à un soutien privé.

• Septembre 2015, nouvelle passée inaperçue : le ministre de l’Éducation du Japon envoie une directive aux universités du pays, leur demandant d’abolir ou de réduire leurs programmes de sciences sociales et humaines afin de les convertir à des domaines « plus utiles aux besoins de la société. » Une décision dénoncée et qualifiée d’anti-intellectuelle par un seul président d’université.

N’allons pas croire que le cas du Japon est unique : partout dans le monde, les humanités et les arts sont attaqués et menacés. Ici également, nos élus veulent asservir l’éducation aux besoins du marché. Dans le cadre d’une guerre globale contre l’intelligence, technocrates et politiciens rêvent de former non pas des citoyens, mais des travailleurs et des consommateurs, petits robots dociles sans pensée critique et sans âme. Des individus isolés ne contestant jamais l’autorité et se souciant peu de l’avenir de leur société. Contre cet isolement, contre cette indifférence, la musique, qui invite les êtres humains à se rassembler pour chanter, jouer, s’écouter les uns les autres, constitue un antidote puissant.

Mais aux yeux du disciple de l’utilitarisme – lui qui connaît le prix des choses, mais en ignore la valeur –, l’utilité d’une discipline ou d’un individu se mesure à sa rentabilité. Selon cette logique, est jugé « utile » celui qui s’épuise au travail et paie ses impôts sans poser de questions, consommant les « produits culturels » qu’on lui impose à coups de matraquage publicitaire et médiatique. Comment demander à ce travailleur frôlant le burnout en permanence d’aller au concert ?

Est jugé « non rentable », voire subversif, ce qui pousse à la réflexion et sort des sentiers battus de l’art commercial. Sont jugés « inutiles » l’artiste, le philosophe, l’ethnologue ou autre spécialiste des sciences sociales que l’animateur de radio-poubelle ou le chroniqueur démagogue qualifie en ricanant de « lologues » quand ce n’est pas de « parasites ».

Dans un contexte aussi hostile, il ne faut pas s’étonner que les arts et la culture ne soient pas un enjeu de la campagne électorale fédérale actuelle. La Scena Musicale a pourtant jugé important d’y apporter une contribution à la mesure de ses modestes moyens : l’organisation d’un débat public sur la question, le 21 septembre dernier, à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, auquel ont participé des candidats de quatre partis. Personne ne sera surpris d’apprendre que le parti conservateur brillait par son absence.

Au sein de ce petit magazine qui se bat lui aussi contre l’adversité, nous croyons que les arts et la culture doivent rester au cœur de l’actualité. Nous croyons aussi que musiciens et travailleurs du milieu culturel doivent davantage prendre part aux affaires de la cité. Et pour cela, il ne faut pas attendre que l’on menace, comme l’an dernier, de fermer les conservatoires. Cet épisode a d’ailleurs démontré la capacité du milieu de se mobiliser, et le recul possible des décideurs quand ils découvrent qu’on leur résiste, eux qui ont l’habitude de composer avec l’inertie d’une population débordée par les événements de son quotidien.

Pour conclure, j’emprunte une phrase à un personnage de fiction, nul autre que ce bon Sam Gamegie, courageux hobbit du Seigneur des anneaux – référence qui fera sourire, je n’en doute pas, mais qui résume bien l’intention de cette première chronique : « Il y du bon en ce monde, monsieur Frodon, et il vaut la peine de se battre pour cela. »

En culture, nous sommes obligés de nous battre depuis fort longtemps. Vous le savez déjà. Mais en ces temps sinistres, on ne rappellera jamais trop à quel point c’est nécessaire. Il est tentant de se décourager, mais ne baissons par les bras. Ne restons pas en retrait des débats qui traversent notre société. Prenons la parole chaque fois qu’une occasion se présente pour défendre ce en quoi nous croyons.

Résistons.


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(c) La Scena Musicale