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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 2 octobre 2015

Achever l’inachevé : Le Quatuor pour violon, alto, violoncelle et piano d’Auguste Descarries

Par Romy-Léa Faustin / 1 octobre 2015

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Aleksy Shegolev & Auguste Descarries

Que pourraient bien avoir en commun Jean Sébastien Bach, Wolfgang Amadeus Mozart, Franz Schubert, Gustav Mahler et Auguste Descarries ? Tous ces compositeurs ont, dans leur répertoire, au moins une œuvre inachevée et ces opus ont été, pour certains, terminés par d’autres. Il s’agit encore d’une tendance bien actuelle. En effet, le compositeur canadien d’origine russe Aleksey Shegolev a été sollicité tout récemment par l’Association pour la diffusion de la musique d’Auguste Descarries (ADMAD) pour terminer le Quatuor pour violon alto, violoncelle et piano du compositeur québécois décédé en 1958. L’œuvre et son achèvement ont fait l’objet d’une conférence prononcée par Shegolev en mai dernier et le Quatuor sera interprété en public pour la première fois en concert le 30 octobre prochain, à la salle Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal.

Auguste Descarries, un compositeur digne d’intérêt

Bien qu’il demeure peu connu, le pianiste et compositeur québécois Auguste Descarries ne peut être écarté de l’histoire de la musique québécoise. À cet égard, l’ADMAD, fondée en 2012, s’est donné pour mission « de promouvoir la reconnaissance et la diffusion de l’œuvre musicale d’Auguste Descarries »1. Huit objectifs s’articulent autour de cette mission, notamment, « Répertorier, localiser et réunir toutes les œuvres musicales d’Auguste Descarries, qu’il s’agisse de musique d’église ou de musique profane, d’œuvres pour soliste, ensemble vocal ou instrumental, orgue, piano ou grand orchestre, afin d’en dresser un catalogue critique complet » ou encore « Favoriser la diffusion des œuvres musicales d’Auguste Descarries »2. C’est d’ailleurs dans ce contexte que s’est inscrit le projet de terminer le Quatuor inachevé.

Selon Aleksey Shegolev, qui a obtenu en 2014 un doctorat en composition à l’Université de Montréal, Descarries et son œuvre offrent un intérêt particulier tant pour les mélomanes que pour les musiciens. « Il s’agit de notre patrimoine, explique-t-il, il faut le jouer et l’aimer parce qu’il représente notre patrimoine, notre culture […] Les Français ont Debussy, Ravel et Fauré; les Russes ont le groupe des cinq et Tchaïkovski; les Italiens ont tous les maîtres de l’opéra. Nous, ici, nous avons les Mathieu, père et fils, Champagne, Alexis Contant et maintenant Descarries. »

Qualifié de néoromantique, le style du compositeur québécois s’inscrit dans la lignée de musiciens tels que Rimski-Korsakov, Rachmaninov et Medtner, pour n’en nommer que quelques-uns. Cet héritage lui vient de ses maîtres, Conus et Catoire, compositeurs russes, avec lesquels Descarries étudie lors de son passage à Paris. Ainsi, il reçoit une formation russe comme au Conservatoire de Moscou ou de Saint-Pétersbourg. Par ailleurs, Shegolev soutient que la musique de son aîné s’adresse à un large public. Effectivement, les œuvres de Descarries s’écoutent assez facilement, bien qu’elles revêtent un caractère quelque peu complexe sur le plan de l’écriture. En ce sens, elles peuvent plaire tant aux oreilles avisées qu’à celles moins entraînées musicalement.

Un véritable défi

Daté de 1934, le Quatuor pour violon, alto, violoncelle et piano est un morceau en un seul mouvement dont la forme est d’une grande complexité. L’œuvre se particularise par l’usage de nombreux thèmes à travers une texture parfois contrapuntique, parfois en mélodie accompagnée, qui finissent par mener à une cadence qui rend l’opus inachevé. Shegolev expose sa démarche pour terminer l’œuvre en quatre étapes :

1. Comprendre et classifier tout le matériel thématique employé par Descarries dans l’œuvre.
2. Étudier le style d’écriture, le langage harmonique de l’auteur pour l’imiter par la suite.
3. Équilibrer la pièce de façon à ce que la partie ajoutée ne soit ni trop courte, ni trop longue par rapport au reste.
4. Trouver une façon intéressante de conclure.

Lorsqu’il décrit les différentes phases de son travail, Shegolev souligne une difficulté particulière de sa démarche : « J’ai dû imiter Descarries qui lui-même imite les compositeurs postromantiques russes tels que Scriabine, Rachmaninov et Medtner, un aspect quelque peu délicat. » En outre, sur la question de l’équilibre formel, c’est avant tout son expérience et ses connaissances qui ont guidé ses choix. Au sujet de la fin, il ajoute : « Plus la pièce est longue, plus la fin doit être satisfaisante […] Il faut donner à l’auditeur une bonne raison d’applaudir. »

Le plus grand défi ? « C’est le travail avec une partition manuscrite. Cela implique que le texte, qui n’a pas passé à travers un réel filtre d’édition, comporte une grande quantité d’erreurs, d’oublis, d’incohérences de nuance, de rythme et surtout d’altérations. » Encore une fois, Shegolev a dû s’appuyer sur l’ensemble de ses connaissances sur l’écriture et l’analyse musicales pour surmonter cette difficulté majeure. Lorsqu’on lui demande si ses origines russes lui ont permis d’avoir un certain avantage pour relever ce défi, le jeune compositeur de la relève répond avec enthousiasme : « Évidemment ! […] Il ne m’a pas été trop difficile d’associer l’écriture de Descarries aux styles des compositeurs russes de la fin du XIXe siècle. Les techniques d’harmonisation, la manière d’orchestrer le piano, la polyrythmie à la Medtner et plusieurs autres aspects de la musique russe, je les reconnais dans l’écriture de Descarries. Sans ces connaissances, il me serait nettement plus difficile d’achever sa pièce. »

Il semble, malgré toutes ces difficultés rencontrées, qu’Aleksey Shegolev a su mener à terme un travail dont il est fier. Bien que sa conférence du 20 mai 2015 ait eu un succès, c’est toutefois le 30 octobre prochain que son travail sera vraisemblablement mis à l’épreuve; ce sont les applaudissements du public qui seront son ultime récompense.

Le Quatuor pour violon, alto, violoncelle et piano de Descarries sera interprété pour la première fois au concert Mathieu, père et fils donné par le Trio Hochelaga, à la salle Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal, le 30 octobre 2015 à 18h30. www.sallebourgie.ca


1 Association pour la diffusion de la musique d’Auguste Descarries (1896-1958), www.associationaugustedescarries.com.
2 Ibid.


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