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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 2

Élections fédérales 2015 : Débat public sur les arts et la culture

Par Hassan Laghcha / 1 octobre 2015

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(G-D) Jici Lauzon du Parti Vert, Sophie Stanké du Parti Québécois, Pierre Nantel du NPD, et Stéphane Dion du Parti Libéral.

À l’occasion des élections fédérales, La Scena Musicale a organisé, le 21 septembre dernier, en collaboration avec la Chapelle historique du Bon-Pasteur, un débat public sur les arts et la culture. Les représentants de quatre partis politiques ont participé : Stéphane Dion (Parti libéral du Canada), Pierre Nantel (NPD), Sophie Stanké (Bloc Québécois) et Jici Lauzon (Parti vert). Le Parti conservateur du Canada n’avait envoyé aucun représentant. Le débat était animé par Rebecca Anne Clark et Romy-Léa Faustin de La Scena Musicale.

Au cours de la soirée, qui s’est déroulée dans les deux langues officielles, les participants ont notamment abordé le bilan du gouvernement conservateur dans les domaines des arts et de la culture. À ce propos, Stéphane Dion a affirmé que « le bilan culturel des dix dernières années est marqué par les amputations dans le budget de CBC/Radio-Canada, les coupes sévères dans les budgets des musées, la détérioration des archives nationales, les dommages considérables causés à Statistique Canada, la remise en cause de l’autonomie des sociétés d’État et le manque d’investissement dans les infrastructures culturelles ».

Selon cet ancien chef du Parti libéral du Canada, « la première chose à faire serait d’abolir ces décisions, puis donner au Canada un nouvel élan culturel ». Stéphane Dion s’est toutefois excusé de ne pouvoir avancer les engagements chiffrés de son parti qui, à la date du débat, n’avait pas encore dévoilé son programme électoral dans le domaine de la culture (voir encadré).

De son côté, Pierre Nantel, qui est porte-parole du NPD pour la culture et le patrimoine, a regretté que le débat sur les arts et la culture n’ait pas pris assez d’espace dans la campagne électorale, malgré « les enjeux sérieux qui fragilisent notamment les industries culturelles », a-t-il indiqué.

Des maux et des chiffres

La représentante du Bloc Québécois, Sophie Stanké, a d’entrée de jeu opté pour le langage des chiffres en proposant notamment d’augmenter le budget du Conseil des arts du Canada de 182 à 300 millions. Elle a aussi affirmé que son parti défend le maintien du quota de la chanson francophone à 65 % à la radio.

« Réduire ce quota à 35 %, cela risque de porter un coup mortel à nos artistes et nos artisans », a-t-elle averti en vue des audiences du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes qui auront lieu le 16 novembre prochain. Un autre sujet de préoccupation du Bloc Québécois est l’industrie du livre.

« Le livre va très mal. Ce secteur a enregistré 9 % de pertes dans les ventes ! a-t-elle rappelé. On veut abolir la TPS sur les livres, ce qui permettra une économie de 100 millions de dollars par année. » Elle a en outre cité la proposition de son parti de consacrer un fonds de 85M $ pour les nouveaux médias.

Se présentant comme un homme de terrain, Jici Lauzon a pour sa part pris la défense des petits acteurs sur la scène artistique, tout en affirmant la nécessité de maintenir le financement accordé aux grandes institutions culturelles : Patrimoine Canada, Conseil des arts du Canada, Radio-Canada et l’Office national du film (ONF). Il s’est attardé sur les sérieuses difficultés qu’éprouvent les petites entreprises culturelles, notamment en région. « Ce sont souvent les grandes institutions qui récoltent la grande partie du financement accordé à la culture », a-t-il relevé en plaidant pour des programmes de financement visant à « favoriser une culture de proximité ». « La culture souffre d’une grande injustice du fait qu’elle ne bénéficie pas de la parité avec les autres secteurs en matière d’investissement », a dit Lauzon, affirmant que son parti milite pour « la parité des portefeuilles d’investissement ».

La culture de la gratuité en question

La grande inégalité entre les petits et les grands festivals en ce qui concerne le soutien financier a été l’un des sujets de préoccupation au cours du débat. En réponse à une question relative au bilan du programme de relance 2009 dont ont bénéficié notamment les grands festivals et les grandes institutions au détriment des petits acteurs culturels, les participants ont pointé du doigt les effets négatifs de « la culture de la gratuité » favorisée par les grands spectacles. « Les petits spectacles se trouvent ainsi sanctionnés », s’est désolé le représentant du Parti vert qui a invoqué sa propre expérience comme tenancier d’un petit cabaret en région pour affirmer que « la culture de la gratuité nuit gravement aux petites entreprises ».

Sophie Stanké a de son côté confirmé ce constat, en se basant sur son expérience dans l’administration artistique. « La gratuité des grands festivals porte de graves préjudices aux spectacles durant la saison estivale, notamment les spectacles de théâtre », a-t-elle dit. À ce sujet, P. Nantel a apporté une nuance en soulignant « les avantages de la gratuité et les retombées socio-économiques collectives qu’elle génère ». « Et c’est pour cela que le NPD prône un meilleur soutien des municipalités pour qu’elles aient la capacité de soutenir les festivals locaux », a-t-il déclaré, citant comme exemple édifiant le Festival Classica de Saint-Lambert « qui connaît un beau succès grâce au soutien de la municipalité et qui constitue un événement signature de la ville ».

Radio-Canada et le Conseil des Arts ... En Vedette

Lors du débat, les situations financières de CBC/Radio-Canada et du Conseil des arts du Canada (CAC) et leurs perspectives d’avenir ont été largement abordées par les intervenants. À ce sujet, la militante pour l’indépendance du Québec, Sophie Stanké, a dénoncé ce qu’elle appelle la « déconstruction culturelle » dont souffre le diffuseur public sous le gouvernement Harper, affirmant que son parti veut « rétablir les 115 millions de dollars coupés dans le budget de Radio-Canada ».

Abondant dans le même sens, Stéphane Dion a annoncé que sous un gouvernement libéral « les compressions dans le budget de Radio-Canada seront annulées ». « Ces coupes sont d’ailleurs dictées par des raisons idéologiques, a-t-il soutenu. Il s’agit d’une volonté à peine masquée de privatiser Radio-Canada. Il faut également redonner à cette société d’État toute son indépendance et assurer que son conseil d’administration et sa présidence soient choisis sur la base de la compétence et de l’indépendance. »

Enfin, en réponse à une question relative au sous-financement du Conseil des arts du Canada, le représentant du PLC a rappelé que « le Parti conservateur n’a ajouté (au budget de ce conseil) que 30 millions de dollars en 10 ans, ce qui équivaut à peine au taux d’inflation ». Et il a affirmé que son parti « veut doubler le financement du CAC pour le porter à 300 millions » et a salué, au passage, la capacité de cette institution de « résister à toute tentative de politisation ».

De son côté, Pierre Nantel s’est attardé sur la restructuration que connaît actuellement le Conseil des arts. Il a noté avec inquiétude la réduction en cours d’un certain nombre de programmes de cet organisme qui vient en aide aux artistes par l’octroi de bourses et apporte un soutien financier substantiel au fonctionnement des organismes culturels.

La précarité des artistes interpelle

L’une des questions essentielles du débat a porté sur la condition précaire de la grande majorité des artistes canadiens. Le revenu médian annuel de ces artistes ne dépasse pas 21 000 $ , ce qui représente 43 % de moins que le revenu médian de tous les travailleurs du Canada. Or, le secteur des arts et de la culture, selon le Conference Board du Canada, engendre annuellement plus de 84 milliards de dollars de retombées économiques et emploie plus d’un million de personnes à travers tout le pays.

À ce propos, Sophie Stanké a soulevé la question de l’absence de l’assurance-emploi pour les artistes au Canada, alors que les artistes en France, par exemple, en bénéficient. « Il faut travailler dans ce sens pour améliorer le statut de l’artiste », a-t-elle soutenu. Sur ce sujet, Jici Lauzon a souligné les bienfaits que pourrait avoir la proposition du Parti vert en faveur d’un revenu de subsistance garanti, notamment pour l’amélioration des conditions de travail des artistes. Il a également évoqué la proposition de son parti visant l’instauration de l’étalement fiscal pluriannuel pour tenir compte des fluctuations dans les revenus des artistes d’année en année.

Pour sa part, le représentant du Parti libéral a préféré s’attarder sur la loi relative aux droits d’auteur qui arrive bientôt à échéance et qui doit être révisée en 2017. « Le PLC, s’il est porté au gouvernement, s’engage à lancer le débat autour de cette loi tout de suite pour trouver le meilleur cadre réglementaire qui préserve les intérêts de toutes les parties prenantes », a-t-il affirmé, reconnaissant que pour l’amélioration du statut des artistes, beaucoup reste à faire.

L'intégralité du débat est disponible en haute définition à bit.ly/LSM_Debat2015

Que promettent-ils pour les arts et la culture ?
Au moment de mettre sous presse, le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique n’avaient pas encore publié leurs plans d’action pour la promotion des arts et de la culture. Voici les principales propositions contenues dans les plateformes rendues publiques des trois formations : Parti libéral, Bloc québécois et Parti vert.

Parti libéral

Le PLC s’engage à un investissement annuel de 150 millions de dollars dans CBC/Radio-Canada, ce qui annule les compressions budgétaires décidées par le gouvernement conservateur. Aussi, ce parti considère que « la procédure de nomination au conseil d’administration de CBC/Radio-Canada doit être révisée afin d’assurer que le processus de sélection est indépendant et basé sur le mérite ». Le Parti libéral annonce également qu’il doublera le financement annuel du Conseil des arts du Canada, en le faisant passer de 180 à 360 millions de dollars. Concernant Téléfilm Canada et l’Office national du film, le PLC s’engage à un nouvel investissement qui totalisera 25 M $ par an. Il annonce, en outre, qu’il rétablira l’aide financière des programmes Prom’art et Routes commerciales pour la promotion des arts et de la culture à l’international, en augmentant leur financement à 25 M $ par an.

Bloc Québécois 

Le Bloc québécois demande l’augmentation du budget du Conseil des arts du Canada de 182 à 300 millions de dollars. Il propose également d’augmenter le budget de Téléfilm Canada à 150 M $ sur trois ans. Le budget actuel de cet organisme est de 100 M $ alors qu’il était de 125 millions en 2004.

Pour soutenir la musique québécoise, le parti indépendantiste veut maintenir les quotas de musique francophone à 65 % à la radio francophone. Il s’oppose à la demande des radios commerciales qui réclament une diminution à 35 % des quotas durant le jour pour faire face à la concurrence féroce des sites de streaming.

Aussi, le Bloc québécois estime nécessaire de moderniser le système de copie privée en appliquant aux lecteurs MP3 et autres baladeurs numériques des redevances raisonnables devant être redistribuées aux artistes.

Parti vert

Le Parti vert s’engage à annuler les réductions de fonds pour CBC/Radio-Canada. « Nous investirons 285 M $ la première année et 315 M $ chaque année subséquente afin de protéger notre diffuseur national », annonce la plateforme du parti qui veut « mettre fin à l’influence politique des nominations partisanes au conseil d’administration ».

Les Verts proposent également l’augmentation du financement de tous les organismes fédéraux des arts et de la culture, dont le Conseil des arts du Canada et Téléfilm Canada. Le parti plaide en faveur du principe de « neutralité web » dans les lois canadiennes afin de défendre la liberté et l’intégrité d’internet.

Dans sa plateforme, le Parti vert évoque également « la menace du Partenariat transpacifique et ses dispositions sur les sociétés d’État ». « S’il est adopté, avertit-il, ce partenariat pourrait miner notre capacité de maintenir plusieurs services fournis par les sociétés d’État, notamment à nos industries culturelles. »

Nouveau Parti Démocratique

 Le Nouveau Parti Démocratique (NPD) vient de dévoiler ses engagements dans les domaines des arts et de la culture. Le chef de ce parti, Thomas Mulcair, a annoncé qu’il va « assurer un financement pluriannuel, stable et prévisible pour protéger Radio-Canada en annulant les compressions de 115 millions $ décidées par Stephen Harper ».

«  Radio-Canada est au cœur de notre identité. Elle met en contact les Canadiens d’un bout à l’autre du pays, a-t-il dit. Après des années de compressions libérales et conservatrices, le NPD va enfin renforcer notre diffuseur public et investir dans la création de contenu canadien. » Le NPD s’engage également à « soutenir les cinéastes canadiens et les artistes en investissant 60 millions $ sur quatre ans dans les budgets de Téléfilm Canada, de l’ONF (Office National du Film) et du Conseil des arts du Canada ». Concernant les artistes indépendants, T. Mulcair a affirmé qu’il est favorable à « l’instauration d’un système d’étalement des revenus qui permettra à cette catégorie d’artistes de mieux prévoir leurs contributions fiscales, selon leurs moyens ».

Aussi, le chef du NPD s’est engagé à mettre en place un fonds de 10 millions $ dédié à « la création de contenus numériques neufs et innovateurs pour le 150e anniversaire du Canada ».

 


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