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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 1 septembre 2015

Qu’est-ce qu’une mélodie ?

Par Michèle Duguay / 1 septembre 2015

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Erlkonig

L’Erlkönig de Schubert

En 1815, un jeune Franz Schubert envoya une lettre et quelques partitions à Johann Wolfgang Goethe. Le poète lui retourna le tout sans aucun commentaire. La lettre contenait, entre autres, une pièce intitulée Der Erlkönig (Le roi des aulnes). Il s’agissait d’une mise en musique d’un poème de Goethe, composée par Schubert alors qu’il n’avait que seize ans.

Cette pièce, devenue célèbre six ans après sa composition, est encore populaire dans le répertoire d’aujourd’hui. Le poème de Goethe raconte l’histoire d’un père traversant la forêt au galop sur son cheval avec son fils malade. L’enfant, fiévreux et terrorisé, a une vision du Roi des Aulnes qui tente de le convaincre de le rejoindre dans la forêt. Le père se veut rassurant, mais à leur arrivée à l’auberge, son fils est mort dans ses bras.

Schubert est arrivé à représenter tout cela dans une courte pièce de façon à la fois complexe, convaincante et fouillée. Comme on peut le voir dans l’extrait de la partition, la répétition constante des notes dans la main droite du piano, en plus du motif galopant de la main gauche, illustre le cheval et le vent tout en contribuant à rendre l’atmosphère angoissante. Lorsque l’accompagnement ralentit à la fin, puis s’arrête, c’est pour souligner la mort de l’enfant.

En outre, Schubert caractérise musicalement chacun des quatre personnages (le narrateur, le fils, le père et le Roi des Aulnes) différemment. Les phrases chantées par le père, dans un registre bas, visent à rassurer l’enfant. Les phrases de ce dernier deviennent progressivement plus aiguës, illustrant sa panique montante. Le Roi des Aulnes, qui tente de séduire l’enfant, chante en mode majeur. Traditionnellement, les interprètes tentent d’incarner ces quatre personnages en variant leurs expressions faciales et leur langage corporel. Toutes ces caractéristiques font en sorte que cette mélodie est restée populaire depuis sa composition.

La définition la plus simple du terme mélodie est la mise en musique d’un texte, le plus souvent pour voix et piano. Cette instrumentation accessible est sans doute responsable de la popularité du genre. De façon générale, les mélodies sont souvent courtes, dépassant rarement trois minutes. Finalement, la mélodie diffère d’un aria puisqu’elle ne fait pas partie d’une plus grande œuvre. Plusieurs mélodies peuvent toutefois être assemblées pour former un cycle.

Il est intéressant de constater que chaque interprétation d’une mélodie peut en souligner un aspect distinct. Comparons par exemple l’Erlkönig de Jessye Norman avec celui de Dietrich Fischer-Dieskau (pour l’effet complet, regardez-en des vidéos). Même si les deux artistes ont suivi la même partition, leurs interprétations sont totalement différentes.

Un poème en musique

Une autre raison explique la popularité de ce genre musical. Dans une bonne mélodie, la musique parvient à exprimer ce qui n’est pas dit textuellement dans le poème. Prenons par exemple Gretchen Am Spinnrade (Marguerite au rouet), une mise en musique d’un poème de Goethe complétée par Schubert lorsqu’il avait 17 ans.

Gretchen est impatiente de revoir son amant. Son agitation est dépeinte par les notes continues de la main droite du piano. Tout comme le rouet où Gretchen travaille, l’accompagnement au piano tourne incessamment sur lui-même. Lorsqu’il s’interrompt sur les mots « Sein Kuss ! » (son baiser), on imagine Gretchen envahie par l’émotion et son rouet qui s’arrête. Tous ces détails musicaux ajoutent au poème.

Dans Helft mir, ihr Schwestern de Robert Schumann, la narratrice exprime son anxiété face à son mariage imminent. La cérémonie elle-même n’est pas explicitement décrite dans le poème, que ce soit dans cette pièce ou dans le reste du cycle Frauenliebe und leben. Cependant, elle est dépeinte dans le postlude du piano imitant une marche nuptiale.

Un vaste et riche répertoire

Jusqu’à maintenant, nous n’avons parlé que des mélodies allemandes, appelées Lieder. Plusieurs compositeurs prolifiques sont d’origine allemande ou autrichienne : Franz Schubert, par exemple, a composé plus de 600 lieder. Robert Schumann, Hugo Wolf, Johannes Brahms et Richard Strauss sont eux aussi des incontournables. Des recherches récentes se sont penchées sur les lieder de compositrices telles Clara Wieck-Schumann, l’épouse de Robert Schumann.

La France a elle aussi une grande tradition de mélodies. On compte Claude Debussy, Gabriel Fauré et Francis Poulenc parmi les plus grands compositeurs du genre. Dans Mandoline de Debussy, la musique enjolive certains aspects du poème. Le premier accord, sol-ré-la, imite la mandoline, car les trois cordes graves de l’instrument sont accordées sur ces notes. Les inflexions chromatiques de la mélodie posent un défi pour le chanteur. Toutefois, ces harmonies fuyantes et presque ambiguës complémentent le poème, où des personnages mythologiques se déplacent dans un jardin rempli d’« ombres bleues ».

Nous n’avons jeté ici qu’un rapide coup d’œil aux traditions germanophones et françaises de la mélodie, ce qui ne rend malheureusement pas justice à ce vaste répertoire. Plusieurs autres compositeurs européens, comme Edward Grieg et Jean Sibelius, ont composé des mélodies. L’Amérique possède également un riche répertoire de mélodies et une foule de musiciens en composent encore de nos jours.

Si les mélodies sont toujours populaires, c’est grâce à l’attention aux détails des compositeurs. Nous espérons avoir mis en évidence le fait que le piano n’est pas qu’un accompagnement. Au contraire, il est sur un pied d’égalité avec la voix, et les deux interprètes doivent en être conscients. Chaque mélodie est construite avec soin et chaque note a sa signification. Ainsi, une grande mélodie parvient à unir parfaitement la musique et la poésie.


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