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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 7 juin 2015

Lectures et musiques d’été

Par René-François Auclair, Éric Champagne & Caroline Rodgers / 1 juin 2015

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Saint John String Quartet
Montage
SJSQ005. 2015. 61 min 9 s
4/6
D’un océan à l’autre, l’ensemble du Nouveau-Brunswick propose un survol fort intéressant des différentes influences de six compositeurs qui ont fait du Canada leur terre d’accueil. Ces musiques contemporaines ont trouvé dans le quatuor à cordes un médium étonnant qui nous fait voyager dans l’espace et le temps. Du minimalisme asiatique d’Anthony Genge aux expériences sensorielles envoûtantes et aux souvenirs imagés de Kutnowski sur l’Argentine, la diversité culturelle est au rendez-vous. Le voyage se termine paisiblement sur la côte est dans une pastorale folklorique de Richard Kipp. Les musiciens sont très attentifs aux sonorités qu’ils produisent, pour dépeindre les moindres couleurs de ces aquarelles originales. La musique reste toujours intelligible et facile d’accès, tout en faisant éclater les formes traditionnelles du quatuor. Une belle acoustique enrobe les quatre musiciens dans cette découverte inestimable d’un répertoire encore peu connu ici. Une valeur sûre. RFA

Brian Current : Airline Icarus
Carla Huhtanen, soprano; Krisztina Szabó, mezzo-soprano; Graham Thomson, ténor; Alexander Dobson, baryton; Geoffrey Sirett, baryton; Chœur de chambre et ensemble instrumental sous la direction de Brian Current
Naxos  8,660356  (43 min 46 s)
6/6
Il est amusant de constater que plusieurs créations contemporaines dans le monde de l’opéra se déroulent dans un aéroport. Pour mémoire, pensons seulement à 60e Parallèle (1997) de Philippe Manoury, Flight (1998) de Jonathan Dove ou encore Prochain départ (2005) de Simon Bertrand. Avec Airline Icarus (2001-2005), le compositeur et chef d’orchestre canadien Brian Current nous propulse carrément dans les airs, alors que l’action se déroule à l’intérieur d’un avion, de son décollage à sa chute dramatique. Ce microcosme bigarré évoluant dans un huis clos forcé donne lieu à de nombreuses introspections lyriques et quelques interactions théâtralement intéressantes. Ce court opéra jouit de l’écriture habile et intelligente de Current et d’un livret intelligent et bien construit. Et l’émotion est au rendez-vous  : l’air final du pilote (magistral Alexander Dobson) est spectaculairement poignant. Force est de constater que cet opéra est une grande réussite qui mérite pleinement de figurer dans la collection Classiques canadiens de Naxos. Seule petite déception : l’œuvre aurait dû être publiée en DVD, d’autant plus qu’il est possible de voir sur YouTube la captation vidéo de la présentation de 2011 au festival italien Premio Fedora. ÉC

Les Vents français : Winds & Piano
Les Vents français; Éric Le Sage, piano
Warner Classics  0325646231850  3 CD (179 min 27 s)
5/6
Le quintette Les Vents français est un ensemble de superstars regroupant les solistes les plus en vue du monde des instruments à vent, notamment Emmanuel Pahud à la flûte et Paul Meyer à la clarinette. Pour cet album triple, ils se joignent au pianiste Éric Le Sage dans un programme faste de musique de chambre avec piano. Le premier disque se penche sur le répertoire français, débutant par le populaire Sextuor de Poulenc joué ici avec un sourire en coin, comme il se doit ! La magnifique découverte est celle du Sextuor de Louise Farrenc, contemporaine de Berlioz, qui propose ici une œuvre brillante et allègre. Le court Divertissement de Roussel laisse un agréable souvenir et le Quintette d’André Caplet (sans cor) brille par son équilibre et ses couleurs inspirées. Le second volet comprend les célèbres quintettes de Mozart et Beethoven, qui trouvent ici une interprétation tout en clarté et en grâce. Le troisième CD comprend le Sextuor de Ludwig Thuille, aux larges gestes et à l’ambition symphonique notoire, couplé au Quintette de Rimski-Korsakov (sans hautbois), d’une écriture vive et légère, pétillante et espiègle. Les amoureux des vents pourront se régaler dans ce programme des plus gargantuesques ! CR

Lectures de vacances

Roman
Les premiers de leur siècle
Christophe Bigot
Éditions de La Martinière
413 pages
Né en Allemagne mais ayant vécu en France pendant la majeure partie de sa vie, le peintre Henri Lehmann, élève d’Ingres et professeur de Georges Seurat, a côtoyé les plus grands de son époque. Il fut un ami proche de Franz Liszt et de sa maîtresse, la comtesse Marie d’Agoult, dont il fit les portraits. Il rencontra aussi Chopin, George Sand, Balzac, Delacroix, Stendhal et bien d’autres. Dans ce roman en forme de passionnants mémoires imaginaires, l’auteur se concentre surtout sur la relation entre Lehmann et Marie d’Agoult. Le peintre fut témoin de l’agonie de ses amours tumultueuses avec Liszt, devenant même le parrain de leur fils Daniel. À travers le regard du peintre, on suit les intrigues de salon des artistes et de leur entourage, dont les rivalités entre Marie d’Agoult et George Sand et entre Ingres et Delacroix. S’oubliant lui-même et négligeant son œuvre, Henri Lehmann se met au service de la comtesse et vit par procuration, ballotté au gré des caprices de la grande dame et prenant soin du petit Daniel, négligé par ses illustres parents. Sous la plume fluide d’un Christian Bigot fort bien documenté, on découvre un univers où le génie artistique côtoie la frivolité et l’ingratitude de personnages plus grands que nature qui s’avèrent être des humains parfois bien mesquins, voire pitoyables, mais dont les aventures sont toujours captivantes. CR

Extrait 
L’adagio, cependant, me parut d’une gravité plus pesante que séduisante.
Peut-être Liszt était-il moins à l’aise dans les impalpables dentelles sonores que dans les mouvements rapides et violents. Peut-être aussi ce second mouvement résonnait-il dans mon cœur avec la lourdeur d’un glas. Pendant que s’en déroulait l’écheveau péniblement mélancolique, j’eus l’audace d’étudier Mme d’Agoult. Ne se sachant pas observée, elle avait abandonné le masque de stridente gaieté qu’elle avait emprunté au cours du dîner. Elle avait au coin de la bouche un pli amer. Son regard était d’une infinie tristesse.

Essai
Dictionnaire amoureux du piano
Olivier Bellamy
Plon
704 pages
Malgré son titre, l’approche de la collection des dictionnaires amoureux est assez éloignée de celle des dictionnaires traditionnels. Il s’agit plutôt d’essais sur de vastes sujets allant du golf à la médecine en passant par la gastronomie, rédigés par des passionnés. Avec ce Dictionnaire amoureux du piano, paru en 2014, le journaliste et animateur de radio français Olivier Bellamy nous parle de l’instrument cher à son cœur sous toutes ses coutures et au gré de sa fantaisie. Les rubriques sur l’histoire, les compositeurs, les grands pianistes et leurs anecdotes croustillantes se succèdent sans autre règle que celle du plaisir de raconter. Ce qui en fait aussi un grand plaisir de lecture, que l’on suive l’ordre alphabétique ou que l’on triche en choisissant d’abord les chapitres qui piquent le plus notre curiosité. Grand érudit, mais surtout bon raconteur, Bellamy donne toujours de quoi se mettre sous la dent. L’humour et l’ironie ne sont jamais loin et l’on se surprend souvent à sourire au détour d’une phrase. Les amoureux du piano dévoreront ce « dictionnaire » comme un roman. CR

Extrait 
Lang Lang est une rock star avec des doigts de virtuose, un ego de ténor et un mental de sportif. Il dégage un enthousiasme naïf (sauf pour ses contrats), un narcissisme décomplexé, une confiance en l’avenir qui est le pur produit de l’Amérique d’hier et de la Chine d’aujourd’hui. Lang Lang incarne finalement l’illustration contemporaine du kitsch. Comme l’ont démontré Hermann Broch et Milan Kundera, le kitsch ne se qualifie pas forcément par le mauvais goût, mais par « le besoin de se regarder dans le miroir du mensonge embellissant et de s’y reconnaître avec une satisfaction émue ».


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