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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 7

Denys Arcand et sa passion pour l’opéra

Par Caroline Rodgers / 1 juin 2015

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Le 3 mai dernier avait lieu une activité-bénéfice au profit de La Scena Musicale afin de recueillir des fonds pour rajeunir le site internet de votre magazine. Le cinéaste Denys Arcand, fidèle ami et ambassadeur de La Scena, a généreusement accepté de donner de son temps pour participer à une causerie publique ayant pour thème l’opéra qu’il a mis en scène pour Les Violons du Roy, Zémire et Azor. Survol d’une causerie passionnante embellie par des prestations de la soprano Florie Valiquette, à laquelle ont assisté environ 180 personnes.

Wah Keung Chan, fondateur et corédacteur en chef de La Scena Musicale, et Laurent Patenaude, directeur de l’administration artistique des Violons du Roy, ont discuté avec Denys Arcand à propos de son film L’âge des ténèbres, de Zémire et Azor et de son amour pour l’opéra en général.

Wah Keung Chan : Dans L’âge des ténèbres, Rufus Wainwright interprète un extrait de Zémire et Azor, Du moment qu’on aime. Pourquoi avez-vous choisi Rufus Wainwright au lieu d’un ténor avec une formation classique ?

Denys Arcand : C’est vrai, j’aurais pu. Ce personnage de Jean-Marc, joué par Marc Labrèche, n’est pas un intellectuel et il aurait logiquement tendance à être plus familier avec des vedettes populaires. J’ai donc pensé que Rufus serait parfait, car je cherchais un chanteur populaire qui aurait de bonnes connaissances musicales, et Rufus, à cause de sa famille, a grandi en chantant. Il a déjà chanté Au fond du temple saint, le fameux duo des Pêcheurs de perles, avec le chanteur américain David Byrne, sur disque. Je savais donc qu’il était capable de le faire.

Laurent Patenaude : Ce que je trouve intéressant dans le choix de cette musique et la mise en scène, c’est que l’on entre d’emblée dans le monde fantasmé de Jean-Marc.

Denys Arcand : Oui, c’est un individu qui vit dans ses rêves et ses fantasmes. Mais de toute façon, Zémire et Azor, c’est aussi du fantasme, c’est un conte merveilleux, c’est La Belle et la Bête, qui avait été écrit au XVIIe siècle par madame Le Prince de Beaumont, et Grétry l’a mis en musique un siècle plus tard. Mais c’est un conte magique qui appartient au fond inconscient de tout le monde occidental, un peu comme Le Petit Poucet.

WKC : Zémire et Azor contient des airs bien connus qui ont fait l’objet de plusieurs enregistrements dans les années 1930, 1940 et 1950. Pourquoi croyez-vous qu’il a perdu de son intérêt par la suite ?

Denys Arcand : C’est un opéra presque impossible à mettre en scène, parce c’est un opéra comique, ce qui veut dire qu’il y a beaucoup de dialogues parlés, dont certains sont très mauvais. J’ai donc réécrit les récitatifs en gardant une partie du vocabulaire, et Mathieu Lussier a composé de la musique, et nous avons conservé seulement les arias et les nouveaux récitatifs. Je crois que le résultat est excellent, mais vous en jugerez par vous-même. Autrement, on ne peut pas mettre cet opéra en scène, le livret est trop désuet.

LP : Avant Zémire et Azor, est-ce que la mise en scène d’opéra vous a déjà tenté ?

Denys Arcand : J’y pensais vaguement. J’ai déjà reçu une offre de la Canadian Opera Company pour monter la tétralogie de Wagner. Ils avaient choisi Robert Lepage pour faire le premier, François Girard le 2e, Atom Egoyan le 3e, il manquait quelqu’un pour faire la fin, Le Crépuscule des Dieux. J’ai refusé parce que je déteste Wagner pour mourir. J’ai déjà discuté avec l’Opéra de Montréal, aussi. Mais la façon dont ça se fait à l’opéra ne me plaît pas. Si je monte une pièce de théâtre, la partie la plus importante de mon travail, c’est choisir les interprètes. Or à l’opéra, généralement, les metteurs en scène, sauf en Europe, ne choisissent pas les chanteurs. Et ça donne des situations qui ne me plaisent pas. Dans le cas de Zémire et Azor, Mathieu Lussier et moi, on a choisi tous les interprètes ensemble.

WKC : Quelle est votre vision de la légende de la belle et la bête ?

Denys Arcand : Je crois que ça a été très populaire parce qu’au Moyen-Âge et dans les périodes qui ont suivi, il y avait énormément de mariages arrangés. Les parents essayaient de marier leur fille à un homme riche et plus âgé ou un noble. Une des interprétations que l’on peut faire du conte est d’accepter l’idée que quelqu’un peut avoir une apparence repoussante et un cœur d’or, une personnalité merveilleuse.

WKC : Maintenant que vous avez goûté à la mise en scène à l’opéra, aimeriez-vous en faire d’autres ?

Denys Arcand : Si j’avais les mêmes conditions que pour celui-ci, je le referais demain matin. Mais ces conditions sont exceptionnelles. Mais qui sait, peut-être que ça pourrait être de nouveau possible.

WKC : Envisageriez-vous la possibilité d’écrire un livret d’opéra ?

Denys Arcand : J’ai déjà essayé avec François Dompierre, nous avons travaillé dessus longtemps. Mais c’est compliqué de nos jours d’écrire un opéra. Je taquinais François en disant : « Allez, Don Giovanni a été composé en trois semaines, qu’est-ce que tu attends ? » Il me répondait : « Oui, mais pour Mozart c’était facile, parce qu’il est venu après Bach et Bach a établi le canon de la musique occidentale, alors Mozart n’avait pas à s’interroger sur le style à employer. » Aujourd’hui, quelle musique écrivez-vous ? Utilisez-vous un ordinateur ? Faites-vous de la musique sérielle ? De la musique répétitive ? Un compositeur de notre époque fait face à ces questions avant même de commencer. Maintenant qu’il y a une foule de styles musicaux et une foule de chemins possibles à emprunter, c’est plus compliqué. Et François n’a jamais résolu cette question.


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