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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 5

Suggestions d'écoute : l'Amour transfiguré

Par René François Auclair / 1 février 2015

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À l’occasion de la Saint-Valentin, fuyons les romances à l’eau de rose et allons au cœur des vrais sentiments. Les plus grands compositeurs se sont emparés de l’amour pour nous livrer des musiques éternelles. Voici des suggestions à écouter autour de la fête des amoureux.

Les derniers lieder
Richard Strauss (1864-1949)
Jessye Norman, soprano. Orchestre du Gewandhaus de Leizig. Kurt Masur. Decca. 1983. 475 8507. 46 min 5 s.

Un an avant sa mort, Strauss compléta les Vier letzte Lieder qui ont été, depuis leur création, considérés comme ses chefs-d’œuvre. Strauss se reconnaissait dans ces poèmes crépusculaires dont les thèmes reliant la nature, l’amour et la mort sont soutenus par une musique d’une grande beauté expressive. Dans cette dernière œuvre, Strauss rend aussi hommage à son épouse, la soprano Pauline de Ahna, présence fidèle à ses côtés pendant plus d’un demi-siècle. À la mort du compositeur, elle ne lui survivra que de quelques mois, accablée de douleur.

Au disque, plusieurs grandes voix ont gravé des versions « de référence ». Schwarzkopf (1966), Janowitz (1974), Jessye Norman (1983), Felecity Lott (1992), Renée Fleming et récemment Anna Netrebko. Ici, comme pour beaucoup de mélomanes, Jessye Norman est une référence hautement recommandée. Une voix chaude, expressive et puissante, soutenue par un orchestre au souffle profond. Kurt Masur prend le temps qu’il faut pour nous conduire vers la béatitude. Un sommet.

Les Symphonies
Gustav Mahler (1865-1911)
Concertgebouw Amsterdam. Bernard Haitink. Philips.

Pour Mahler, la musique est une déclaration d’amour à l’univers. Elle doit l’embrasser, rien de moins. On n’est pas étonné alors que ce compositeur si romantique ait eu une relation complètement passionnée avec Alma Schindler Mahler. Il eut pour elle une affection sans borne. Cet amour servit d’inspiration à plusieurs de ses pages symphoniques.

En 1995, Philips mit sur le marché une compilation des plus beaux mouvements lents des symphonies. Intitulé Adagietto, Music for love, cet album somptueux contenait un fac-similé de quelques lettres de Gustav et Alma. Ce disque n’est malheureusement plus disponible. Mais il reste l’intégrale de Bernard Haitink, qui demeure une référence de style. Le chef néerlandais propose un Mahler très lyrique et d’une intensité romantique qui se démarque foncièrement des autres versions.

Pure
Maria Callas (1923-1977)
Warner Classics. 2014. 0825646339945. 77 min 56 s.

La diva a eu une vie amoureuse mouvementée, digne des plus grandes stars d’Hollywood. Après une carrière au destin tragique, elle meurt à seulement 53 ans, laissant derrière elle une grande quantité d’enregistrements que Warner a remasterisés dernièrement. Un an de travail aux studios d’Abbey Road : le résultat est renversant. La voix de Callas nous atteint comme jamais. Une voix imparfaite, unique et sidérante qui fait encore fondre les pierres. Elle seule chante l’amour de cette façon : désespérée, entière, comme si le monde entier devait souffrir avec elle ! Brava !

Sonates pour violon
Johannes Brahms (1833-1897)
Augustin Dumay et Louis Lortie. Onyx. 2014. 4133. 77 min.

Brahms a toujours voué une grande affection à Clara Schumann, de quatorze ans son aînée. À la mort de Robert, leur liaison s’intensifia, mais sans jamais se réaliser complètement. Cependant, Brahms resta en contact avec la grande musicienne pendant toute sa vie. Il lui envoyait de temps à autre ses compositions et, à son insu, quelques revenus provenant de ses commandes. Les deux vécurent longtemps à distance, mais toujours liés par l’amour de la musique. Brahms, le grand romantique, l’amoureux fou, se dévoile comme jamais dans ces sonates pour violon, probablement les plus accomplies de tout le répertoire du 19e siècle. Augustin Dumay en fait une interprétation à fleur de peau, sensible, soutenue par Lortie, humble et réservé. Admirable.

Wagner en Suisse
Richard Wagner (1813-1893)
Orchestre Symphonique Bienne. Thomas Rösner. Atma Classique. 2012. ACD2 2580. 71 min 21s.

Le matin du 25 décembre 1870, Wagner offrit à Cosima pour son anniversaire le plus beau cadeau musical de tout le répertoire romantique. Cette Idylle de Tribshen avec chant d’oiseau de Fidi et lever de soleil orange fut exécutée par treize instrumentistes dans l’escalier intérieur de la villa. On y découvre une fort belle évocation du bonheur conjugal. L’écriture est raffinée et expressive. Ce disque contient aussi un extrait vidéo de la première reconstitution de la sérénade, à l’endroit même au Cosima Wagner fut tirée de son sommeil. La villa de Tribshen à Lucerne est aujourd’hui devenue le Musée Richard Wagner.

La Nuit Transfigurée op. 4
Arnold SchoenberG (1874-1951)
Orpheus Chamber Orchestra. DG. 1990. 429233-2. 69 min 27s.

Tiré d’un poème de Dehmel (1863-1920), Verklärte Nacht est une étrange histoire d’amour en musique, un opéra sans parole, dont l’originalité rejoint l’expressionnisme allemand du début 20e siècle. C’est l’œuvre la plus connue de Schoenberg et sa plus accessible. Le jeune compositeur, alors amoureux de la sœur de Zemlinsky, y a tissé une polyphonie musicale intense, troublante, dont les images nous parviennent comme sur l’écran d’un film muet. Ce chef-d’œuvre fut par la suite remanié par Schoenberg en version pour orchestre à cordes. Karajan (DG.1974) y a insufflé un élan dramatique impressionnant, dans une acoustique presque irréelle, insaisissable. Par contre, l’Orpheus, ensemble jouant sans chef, semble s’être totalement investi dans l’œuvre. En résulte une lecture vibrante, où chaque groupe d’instruments est admirablement bien reconstitué par une prise de son de haute qualité.


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