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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 5

Sean Michaels : De l’électricité dans l’air

Par Lucie Renaud / 1 février 2015

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Us Conductors by Sean MichaelsLe prix Giller demeure assurément l’un des plus convoités de la scène littéraire canadienne. Si le jury a salué au fil des ans le travail d’écrivains confirmés tels Alice Munro, Margaret Atwood, Michael Ondaatje et Mordecai Richler, cette année il a jeté son dévolu sur Us Conductors, premier opus d’un résident du Mile End, Sean Michaels.

« Il a accompli l’une des choses les plus difficiles pour un auteur : nous donner l’impression d’entendre chanter la musique des pages d’un roman », ont même souligné les jurés en remettant son prix au lauréat abasourdi, en novembre dernier.

La musique se trouve en effet au cœur de cette biographie très romancée de Lev Sergueïevitch Termen, inventeur du thérémine, l’un des instruments les plus intrigants jamais conçus, les sons étant produits sans qu’une de ses deux antennes soit touchée par les mains de l’interprète.

« J’écoutais la radio dans l’auto un soir, en 2008 je crois, se rappelle Sean Michaels. J’ai entendu ce chant magnifique et cette voix absolument superbe. À la fin du segment, l’animateur nous a révélé que nous venions d’entendre du thérémine et que personne ne chantait. Cela a changé ma perspective de l’instrument. »

Quand une amie évoqua peu après un documentaire sur l’instrument et la relation que Termen aurait entretenue avec Clara Rockmore, considérée comme la plus grande interprète de tous les temps, la graine se mit à germer et bientôt l’histoire de cette rencontre se lia tout naturellement à d’autres qui habitaient l’auteur.

« J’étais particulièrement intéressé par l’idée de l’amour vrai, mais aussi par des choses plus formelles, comme le concept de temps, la lenteur de celui-ci pouvant par exemple se juxtaposer à une scène de kung-fu; je me suis dit que cette histoire pourrait bien me permettre d’intégrer tous ces éléments. »

Si Michaels a consulté certains documents biographiques, il a choisi dès le départ de prendre une distance certaine par rapport à ceux-ci : « Je pense que, au fond de moi, je serai toujours un auteur de fiction. »

Plus intéressé par une histoire qui serait plausible que véridique, il a plutôt travaillé sur les ambiances, que ce soit la vie nocturne trépidante à New York juste avant le crash boursier de 1929 ou l’ascèse du goulag soviétique : « Je voulais comprendre l’émotion ressentie devant un coucher de soleil dans l’une de ces vallées, une chose que l’on ne peut pas vraiment tirer d’un livre. »

De la même façon, il a cherché à transmettre avec le plus de précision possible l’état si particulier dans lequel est plongé un auditeur. « Il y a une scène dans laquelle l’orchestre joue au goulag, explique-t-il, et je voulais que cette section soit écrite de façon suffisamment subtile pour ne pas donner l’impression au lecteur de vivre un de ces moments hollywoodiens à l’eau de rose; je voulais que ce soit plus ambivalent. Je n’essayais pas réellement d’écrire un livre qui donnerait l’impression d’être musical, mais j’aime la prose, la langue, des images qui chantent sur la page. »

Le rythme a lui aussi été savamment calibré : « Je voulais que le livre soit trompeur. Un narrateur qui ne dit pas la vérité tout le temps, qui tente de transmettre une version x des événements, m’intéressait particulièrement. Je voulais d’une certaine façon appâter les gens avec cette histoire d’une vie folle, excitante, ponctuée par ces soirées où se côtoieraient des inventeurs et des célébrités, avant de les emmener en Sibérie, moments passablement plus pénibles pour le personnage. »

Également fondateur du blogue Said the Gramophone, Michaels vit avec la musique au quotidien : « J’en écoute constamment, particulièrement quand je travaille. Plusieurs auteurs ont besoin de silence, mais je désire ardemment entendre de la musique, même si elle contient des paroles. Cela peut devenir un bruit blanc, quelque chose de très utile. » S’il a grandi au son de pièces classiques, particulièrement celles de Bach et Rachmaninov, la trame sonore cachée du roman fait plutôt référence aux années 1980.

« Même si elle se passe essentiellement dans les années vingt et trente, très tôt, j’ai souhaité que cette histoire d’amour, de confusion, de désir, possède une énergie plus contemporaine. Je me suis alors mis à penser au post-punk et au new wave, à des groupes tels que Cocteau Twins, Joy Division et New Order, qui intégraient des sonorités très électriques dans leurs pièces. »

Tous les chapitres portent ainsi les titres de chansons tirées de cette époque, qui ne demanderont qu’à être adaptés dans la traduction française, signée Catherine Leroux, elle-même auteure primée de deux romans, attendue d’ici un an.


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