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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 4

L’art et la philanthropie

Par Brigitte Des Rosiers / 1 décembre 2014

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Les petits organismes culturels

La philanthropie et l’art font-ils bon ménage ? Pour certains, l’entente est bonne. Les orchestres symphoniques et les musées nationaux profitent déjà d’une tradition philanthropique bien implantée avec leurs grands dîners, leurs bals et leurs galas et l’appui qu’ils reçoivent de donateurs majeurs. Mais comment un petit organisme artistique, sommé par le système de financement actuel d’augmenter ses revenus, peut–il développer cette culture alors que ses dirigeants n’ont pas toujours l’habitude de fréquenter le grand monde ?

Selon Joanne Villemaire, de la firme conseil KCI, il faut d’abord regarder près de soi, ses membres, ses amis, les donateurs actuels qui seraient prêts à donner un peu plus à la cause. Un changement d’attitude est nécessaire. Pour Mme Villemaire, les organismes doivent passer du mode transactionnel à celui de relations beaucoup plus personnalisées. Selon le mode transactionnel, le processus de donation se limite à un échange fermé débutant par le don et se concluant généralement par un remerciement. Le mode relationnel s’étire dans le temps. Il demande que l’on s’intéresse davantage aux donateurs et que l’on instaure avec eux une relation durable : « Il faut trouver les passionnés et renforcer le lien qui les unit à la cause, il faut savoir les inspirer. »

Un petit organisme doit bien s’entourer. Les membres du conseil d’administration doivent être les premiers donateurs et faire la promotion de l’organisme dans leurs réseaux : « On amène un comptable ou un avocat, mais on oublie parfois qu’on a besoin de gens qui sont bons dans la communication, le marketing et la collecte de fonds », dit Mme Villemaire. Tout cela demande de l’investissement. En raison des bas salaires, le roulement de personnel est important et les relations s’interrompent parfois entre le donateur et l’organisme.

On observe dernièrement un autre changement. « Les entreprises ne veulent plus qu’on parle de philanthropie corporative. Elles veulent des partenariats qui sont mutuellement bénéfiques, explique Mme Villemaire. La contribution peut prendre diverses formes, mais c’est un partenariat. Ceux qui réussiront seront ceux qui auront cette ouverture et cette souplesse. »

Les petits organismes ne risquent-t-ils pas alors de perdre le contrôle ou de voir leur mission se transformer ? Pour intéresser les entreprises soucieuses de se positionner socialement, les organismes artistiques devront-ils nécessairement mener des activités à vocation sociale ou éducative ? Selon madame Villemaire, ces activités sociales pourraient être une voie à emprunter. Ce sont des transformations auxquelles les organismes doivent réfléchir, sans pour autant mettre en péril le cœur de leur mission.

Il est avantageux de donner au Québec

Les donateurs ne doivent pas hésiter à demander tous les crédits d’impôt auxquels ils ont droit. Le Québec a mis en place les mesures fiscales les plus généreuses au pays, afin sans doute de créer cette culture philanthropique qui nous ferait encore défaut.

Tout donateur canadien a droit à des crédits d’impôt qui abaissent le prix réel de son don. Le fédéral offre en effet 15 % de crédit sur les premiers 200 $ du montant total, et 29 % sur les tranches suivantes. Un don de 500 $ se voit donc attribuer un crédit de 117 $. À cela s’additionnent les mesures fiscales diversement avantageuses de chaque province. Le Québec fait bonne figure : un don y coûte le moins cher (20 % pour les premiers 200 $ et 24 % pour les tranches suivantes). Pour un don de 1000 $ au Québec, le donateur reçoit un crédit d’impôt de 450,77 $ (après abattement fiscal offert au Québec par le féderal), alors que ce crédit est de 450 $ en Alberta, 422,80 $ au Manitoba, 389,72 $ en Colombie-Britannique et 361,38 $ en Ontario.

Le super crédit

Le fédéral a récemment mis en place le « super crédit d’impôt pour premier don de bienfaisance » qui ajoute 25 % de crédit supplémentaire aux crédits déjà existants. En 2014, plus de 95 000 donateurs auraient déduit 20 millions de leur impôt grâce à ce super crédit.

Par exemple, vous voulez faire un don pour la première fois et donner 1000 $ à l’ensemble musical de votre choix ou… à votre revue préférée ! En profitant du super crédit, vous pourriez encourager la cause qui vous tient à cœur et profiter des avantages que certains organismes culturels accordent aux donateurs de 1000 $ : adhésion annuelle, participation à des événements spéciaux, privilège d’assister à des répétitions, etc., alors que ce don vous coûtera probablement autour de 300 $ !

Pour Imagine Canada, la portée de cette mesure est cependant trop restreinte. L’organisme lance une campagne pour que le fédéral adopte le « crédit d’impôt allongé ». Cette mesure vise à augmenter le crédit d’impôt si le montant donné dans une année dépasse le maximum donné antérieurement. Pour moins de 200 $, si le don a augmenté par rapport au don de l’année précédente, le crédit augmenterait de 15 à 25 %. Cette mesure favoriserait les petits donateurs, et on a vu plus haut combien ils étaient importants pour les petits organismes culturels. À suivre !

Madame Villemaire était conférencière invitée de la journée de la philanthropie le 13 novembre organisée par le Fondation du Grand Montréal. www.imaginecanada.ca/fr/credit

Le mécénat au Québec
par Marcel Lemay

Certaines mesures ont été introduites dans la Loi sur les impôts du Québec par le gouvernement précédent. Le but était de créer une véritable philanthropie, très peu présente en matière de culture, et d’encourager le mécénat. La mesure qui risque d’être la plus populaire est un crédit provincial supplémentaire de 25 % pour un premier « don important » à un organisme culturel effectué entre le 3 juillet 2013 et le 1er janvier 2018. À cette fin, un don important est un don d’au moins 5000 $ et d’au plus 25 000 $ effectué une fois dans la même année. Ce crédit supplémentaire réduit le coût d’un don de 5000 $ à 1371 $ et même jusqu’à 1162 $ si le contribuable a également droit au crédit fédéral pour un premier don. Les contribuables auront donc intérêt à regrouper leur don en un seul organisme culturel. D’autres mesures encourageant le mécénat ont été annoncées dans le même document, notamment un crédit d’impôt de 30 % pour un don d’au moins 250 000 $ effectué à un organisme culturel, de même que des crédits majorés pour les dons d’œuvres d’art et une bonification des règles entourant le don d’immeubles destinés à des fins culturelles.

Déductibilité d’abonnement à des concerts

Lorsque des billets de manifestations sportives ou artistiques sont achetés et utilisés à des fins de représentation par un contribuable dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise, la règle générale veut que seulement la moitié du coût de ces abonnements soit déductible dans le calcul du revenu. Or, lorsqu’il s’agit d’abonnement (trois spectacles ou plus) à des concerts d’un orchestre symphonique ou d’un ensemble de musique classique ou de jazz, à des spectacles de danse, d’opéra ou de théâtre ou de l’achat en bloc de la totalité ou presque (90 %) des billets pour une des manifestations précédemment mentionnées, la totalité du coût de ces abonnements sera déductible – au Québec seulement. Cette mesure constitue une bonne façon d’inciter les gens d’affaires à consommer des produits culturels d’ici à des fins de représentation. En matière d’outils de représentation, il n’y en a pas seulement que pour le Canadien de Montréal finalement.

Mais au-delà des coûts et des mesures d’encouragement, la population et le monde des affaires doivent réaliser que notre culture nous appartient et qu’il dépend de nous tous d’assurer qu’elle soit forte et en santé. Nous en sommes responsables collectivement. Elle ne survivra pas toute seule aux lois du marché et à la libre concurrence. C’est la responsabilité de tous de la faire progresser. Et à tous ceux qui croient qu’il faut couper en culture pour faire notre « effort de guerre », je réponds par cette citation apparemment faussement attribuée à Churchill lors de la Seconde Guerre mondiale : « Then, what are we fighting for ? »

Marcel Lemay FCPA, FCA
Président du conseil d’administration
Orchestre symphonique de Laval
Associé – service de fiscalité
Hardy, Normand et associés SENCRL
Comptables professionnels agréés


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