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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 4

Écoute comparative de neuf versions du Cantique de Noël

Par Eric Légault / 1 décembre 2014

English Version...


(1996, revu 2014)

Il existe de nombreux enregistrements du Cantique de Noël, en plusieurs langues et plusieurs styles. Nous avons choisi d’évaluer neuf enregistrements faits par des chanteurs d’opéra, en français.

Enrico Caruso (1873-1921), le ténor des ténors, la première vedette du phonographe, a chanté sur toutes les grandes scènes du monde, même à Montréal en 1920. Le son est relativement bon pour un enregistrement de 1916. La réputation du chanteur se voit justifiée entre autres par l’égalité des registres et son contrôle du souffle et du volume, bien qu’il craque légèrement dans le dernier mot. Son français est plutôt bon, mais le style musical n’est pas très français : les glissandi abondent, telle une barcarolle. Il fait les deux gruppetti et toutes les appogiatures habituelles; il en fait même une sur « Chré-tiens », ni bien ni mal, mais surprenant, d’autant plus que c’est au tout début de la pièce. Le ton est plutôt doux et intime. L’accompagnement orchestral est discret; il n’y a ni chœur ni reprise.

Rodolphe Plamondon (Montréal, 1876-1940) fut le premier ténor canadien à chanter à l’Opéra de Paris. L’enregistrement (1924 Starr 18005; Les grandes voix du Canada, Analekta) comporte beaucoup plus de bruit de surface que celui de Caruso (1916). La voix est belle, mais il a le vibrato rapide des chanteurs comme Fernando De Lucia. Il ne chante que la première strophe, mais nous donne quand même le si bémol aigu. Ses notes graves sont faibles et manquent de justesse. Il fait beaucoup moins de glissandi que Caruso, mais il a encore un pied dans la barque. Il souligne à gros trait la virgule dans « Minuit, Chrétiens ». Il est accompagné par Rex Battle au piano et un altiste non identifié qui nous fait un contre-chant original mais parfois distrayant.

Le ténor français Georges Thill (1897-1984) a fait une brillante carrière en France et enregistré de nombreux 78 tours. Son enregistrement du Cantique (1932; Col LFX 275) est l’une des meilleures versions sur le plan vocal : facilité dans les aigus et prononciation parfaite. Le ton est enthousiaste et puissant. Il trouve un compromis original sur le « Chrétiens » : il glisse vers le haut pendant le « chré ». Il chante « ceux qu’enchaînait le fer » vers le haut. Il est accompagné par un orchestre peu puissant, un grand orgue, des cloches d’église et un chœur, le tout dirigé par Armand Bernard. Le rythme est joyeux, il n’y a pas de pause entre les phrases, ni même entre les deux strophes. Le chœur chante la reprise du « Peuple à genoux », et marmonne quelques « Noël » à la fin; on l’entend mal (sauf une des sopranos) et on ne comprend pas les mots.

Raoul Jobin (1906-1974), un de nos plus célèbres ténors, a chanté à l’Opéra de Paris, à l’Opéra-Comique et au Metropolitan. Dans son enregistrement (1945, RCA), la voix est puissante et nerveuse. Sa diction est naturelle et claire, il grasseye (un généreux roulement uvulaire voisé, et même chanté !) plutôt que rouler les r à l’italienne comme la plupart des chanteurs, et ses voyelles sont très ouvertes (parfois trop : « Peuple à gêna »). Il ne fait jamais « Noél » vers l’arrière comme tous les autres ténors, c’est toujours un è, même celui sur le si bémol aigu, ce qui est très impressionnant. (En fait, c’est un peu « Noheul », voilà le truc ! C’est peut-être pour ça aussi que son è/e sur si bémol est plus stable que ses è sur sol.) La dynamique se veut variée, le ton est doux dans les couplets, et héroïque dans les refrains. À part la reprise chorale, l’œuvre est chantée assez rapidement, avec un tempo joyeux, presque dansant, et on raccourcit les pauses entre les couplets. Le jeu à l’orgue est très ordinaire; le diminuendo subit avant chaque strophe est quasiment comique. Les Disciples de Massenet entrent violemment à la reprise de « Peuple debout », avec un phrasé différent de celui du soliste, certaines voix ressortent. Le ténor revient juste à temps pour nous faire réentendre son si bémol, au cas où on l’aurait manqué, mais il est englouti par le chœur.

Le ténor lyrique québécois Richard Verreau (1926-2005) a chanté sur plusieurs grandes scènes du monde, mais il s’est retiré relativement jeune. Dans son récital À l’église (c.1960, RCA), il a une voix superbe, son aigu final est puissant et sans tension, mais la phrase dans le grave (« ceux qu’enchaînait le fer ») est détimbrée. Le style se veut calme, puissant et solennel. Les Disciples de Massenet se sont améliorés depuis 1945 (ainsi que les techniques d’enregistrement); ils font leur entrée glorieuse au « Peuple debout » (que le ténor ne chante pas), ils sont puissants mais n’enterrent pas le soliste, les voix sont plus fondues. Il n’y a pas de reprise; le soliste chante seul le dernier « Noël, Noël ». L’accompagnement d’orgue est très sobre, bien préférable à l’accompagnement orchestral grandiose et mélodiquement impertinent dans son autre récital de Noël (Concert, c.1960, RCA), mais où il chante toujours aussi bien.

Michel Dens (1911-2000) était un baryton léger français spécialiste de l’opérette. Dans son enregistrement (Noël !, 2 CD, 1993 EMI France), il nous donne, comme toujours, une leçon de diction : la prononciation est pointue, chaque syllabe est parfaitement énoncée. Il n’y a pas de glissando. La voix est belle, le souffle bon, mais les ornements ne sont pas son point fort. Dans la deuxième moitié, il chante « De notre foi … les chefs de l’Orient »
au lieu de « Le Rédempteur a brisé … ceux qu’enchaînait le fer »; suivi du restant de la strophe 3 habituelle; c’est un choix bizarre. L’accompagnement (Orchestre de l’Association des Concerts Colonne, dir. René Challan) est très bon, plutôt grandiose, mais le chœur est parfois agaçant et encombrant.

Dans son enregistrement de 1963 (repiqué sur étiquette Fonovox), la basse québécoise Yoland Guérard (1923-1987) a une belle voix naturelle; aucun problème dans les aigus, mais les graves sont légèrement détimbrés; la diction est parfaite. Son ton sévère ne fléchit pas; il avance vaillamment tel un général au champ de bataille, ne reculant point devant la menace lointaine des timbales tonitruantes, soutenu tendrement par les arpèges pizzicato. L’accompagnement clair-obscur très original est assuré par l’Orchestre Jean Larose; en plus des timbales et des cordes pizzicato, il semble y avoir un petit orgue et une clarinette.

Très peu de chanteuses ont enregistré le Cantique de Noël en français. La version de Lyne Fortin (1962-), soprano québécoise, est une grande réussite (1992, Analekta) : belle voix, beau style (mais certaines consonnes sont trop effleurées, même en forte), riches palettes dynamique et émotive (le plus beau « meurt » dans cette liste). Bel accompagnement orchestral (Orchestre symphonique de Québec, dir. Pascal Verrot), arrangement intéressant avec harpe, cuivres et cordes; mais c’est un peu étiré.

Dans son premier album classique (Le Premier Noël, ATMA, 2009), le ténor québécois Marc Hervieux (1969-) nous offre un chant tout en puissance et en sobriété; la voix est belle, lisse, stable, égale du grave à l’aigu, sauf les è tendus au-dessus du mi. Il grasseye (de type fricatif) au lieu de rouler les r à l’italienne. Certaines consonnes sont appuyées inutilement (« deSCendit », « eFFaCCer », etc.). Quelques syllabes dans la strophe 2 sont légèrement au-dessus de la note. L’arrangement est classique, avec choeur et orgue (le plus beau son d’orgue dans cette liste); le style est sérieux, dépouillé (sans appogiatures, ni gruppetti); le tempo est particulièrement lent. Les Disciples de Massenet (dir. Lucie Roy) chantent le « Peuple à genoux… », et deux fois le « Peuple debout… »; leur chant est doux et presque sans vibrato, comme des anges planant sous les nuages. Tous chantent « ré-d’homme-teur » au lieu de « Rédempteur ».

Paroles de Placide Cappeau
Roquemaure, 1808-1877

(La coutume est de chanter les strophes 1 et 3.)

Minuit, Chrétiens, c’est l’heure solennelle
Où l’Homme Dieu descendit jusqu’à nous,
Pour effacer la tache originelle
Et de son Père arrêter le courroux.
Le monde entier tressaille d’espérance
À cette nuit qui lui donne un Sauveur.
Peuple, à genoux ! Attends ta délivrance.
Noël ! Noël ! Voici le Rédempteur !

De notre foi que la lumière ardente

Nous guide tous au berceau de l’Enfant,

Comme autrefois une étoile brillante

Y conduisit les chefs de l’Orient.

Le Roi des rois naît dans une humble crèche;

Puissants du jour, fiers de votre grandeur,

À votre orgueil, c’est de là que Dieu prêche.

Courbez vos fronts devant le Rédempteur !

Le Rédempteur a brisé toute entrave,
La terre est libre et le ciel est ouvert.
Il voit un frère où n’était qu’un esclave,
L’amour unit ceux qu’enchaînait le fer.
Qui Lui dira notre reconnaissance ?
C’est pour nous tous qu’Il naît, qu’Il souffre et meurt.
Peuple, debout ! Chante ta délivrance !
Noël ! Noël ! Chantons le Rédempteur !


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