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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 4

Jazz : Au rayon du disque

Par Marc Chénard / 1 décembre 2014

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Effendi en Rafale

Quinze ans et près de 140 titres plus tard, les disques Effendi marquent leur anniversaire cet automne avec une manne de nouveautés, incluant deux nouveaux venus dans son catalogue.

Félix Stüssi & Ray Anderson – Arrabbiata (FND 133)

Pour son troisième disque sur l’étiquette, le pianiste Félix Stüssi revient à la charge avec son sextette, incluant une fois de plus son invité de marque, le tromboniste Ray Anderson. Fidèle à lui-même, le pianiste campe sa musique dans un langage jazzistique familier (accents de blues, tournures monkiennes), mais aime l’organiser de façon inhabituelle, soit en alternant des passages d’ensemble avec des interludes d’improvisation, le plus souvent en duo. L’invité spécial est particulièrement mis en évidence, alors que les deux saxos (Alexandre Côté et Bruno Lamarche) n’ont que deux solos chacun dans ces 58 minutes de musique, produite en concert en 2013. Du travail bien fait, quoi.

Tevet Sela – Lying Sun (FND 134)

Un nouveau venu chez nous, le saxophoniste alto israélien Tevet Sela est un instrumentiste au son assez brillant. À l’écoute, il ne semble pas de ces saxos qui se disent plus influencés par les ténors – chose que l’on entend assez souvent des altistes –, d’où son timbre perçant, mais pas acidulé, comme au soprano d’ailleurs, que l’on entend furtivement sur cet album. Son jeu délié est informé par le bop, mais ses pièces révèlent des tournures mélodiques et harmoniques de sa propre culture. Sans être une révélation, ce musicien se situe dans la bonne moyenne des saxos mainstream de notre temps.

Michel Morissette – Nothing Toulouse (FND 136)

Nouveau venu à l’étiquette, le guitariste Michel Morissette n’en est pas à ses premières armes en musique, si l’on en juge par son look de rocker des années 1970 et sa crinière blanche. Parlant rock, sa sonorité distordue (à la manière d’un Sonny Sharrock, mais en moins extrême) offre un contraste bienvenu au reste du groupe, au son soigné et résolument acoustique. Et quel départ en trombe avec cette pièce-titre en calembour avec, en prime, un André Leroux particulièrement féroce au saxo ténor, et ce, malgré une prise sonore qui ne rend pas tout à fait justice à sa sonorité volumineuse. Les climats varient et les tempos aussi, mais le guitariste assure la signature de cet album.

Samuel Blais David Liebman – Cycling (FND 137)

Quel honneur pour un musicien d’enregistrer avec son professeur, ce qui est le cas ici pour Samuel Blais. Ce jeune saxo se livre ici à sept excursions musicales avec le vétéran Dave Liebman, les deux appuyés par la basse de Morgan Moore et la batterie de Martin Auguste. Blais, aux saxos baryton, alto et soprano, Liebman, surtout au soprano, mais un peu de ténor, se laissent aller dans des dialogues parfois assez explosifs, appuyés d’une assise rythmique efficace. Dans ses notes, Blais explique que le titre du disque dénote la fin d’un cycle et le commencement d’un autre : en se basant sur ses efforts précédents (et actuels), on ne peut qu’avoir hâte de voir ce que l’avenir lui réserve.

www.effendirecords.com

Trompettes en direct et sur disque

Andy King Group – Modern Fiction
Disques MCM 009
www.andykingmusic.com
En concert en octobre, le quintette d’Andy King (avec un percussionniste en sus) a offert une prestation assez décapante. Électrifiante et électrique, sa musique versait souvent (parfois un peu trop) dans le bouillon Miles Davis, époque Bitches Brew. Le disque, lancé ce soir-là, se détache davantage de l’influence du Prince noir, sauf dans le dernier morceau Time Traveller, dont la ligne mélodique rappelle un autre opus milésien, Sanctuary. On apprécie surtout l’énergie débordante de la pièce maîtresse de l’album dépassant les 18 minutes, genre de suite rappelant un rock acéré plutôt qu’un jazz binaire trop formaté. Tout à fait tonifiant, du moins pour les oreilles musclées.

Rachel Therrien – Home Inspiration
Production d’artiste
www.racheltherrien.com
Deux jours après le lancement de disque de son confrère, la jeune Rachel Therrien présentait le sien en scène. Trois ans plus tôt, elle mettait au monde son premier album (On Track), une offrande coulée dans le moule d’un hard bop à la Freddie Hubbard des années 1970. Moins convenu que son prédécesseur, ce nouvel enregistrement, en quintette comme le premier, mais avec un nouveau saxo (Benjamin Deschamps à l’alto) laisse entrevoir que la musicienne essaie de se dégager de ses influences, tant dans ses compositions que dans son jeu, plus affirmé ici. On salue aussi le fait que trois des musiciens ont contribué au répertoire, évitant une trop grande uniformité dans l’écriture. À quand la suite ?...

Marianne Trudel – La vie commence ici
Justin Time JTR 8588-2
www.justintimerecords.ca
Voici un disque représentatif du jazz enregistré de notre temps : cinq musiciens qui ont joué en différentes combinaisons se retrouvent ensemble en studio pour une première fois pour réaliser un disque « à froid ». Dix mois plus tard, ils jouent quatre concerts pour le lancer, offrant une belle complicité, avec quelques étincelles de plus. Autrefois, les musiciens peaufinaient leur répertoire en scène pour l’enregistrer; aujourd’hui, par contre, les disques sont des outils servant à décrocher des concerts et tournées. Trudel est pianiste, mais elle met en vedette la trompettiste Ingrid Jensen, tellement même que le saxophoniste Jonathan Stewart, au son large et volumineux sur scène, est sous-représenté dans ce programme de dix compositions originales de la pianiste. Si seulement ce quintette avait eu la chance de faire son disque à l’ancienne...

Jacques Kuba Séguin – L’élévation du point de chute
Oddsound ODS 13
www.oddsound.ca
Le 25 octobre, au lendemain du lancement de Trudel et compagnie, Jacques Kuba Séguin réchauffait son public pour son lancement de disque. Cet enregistrement au titre un peu ampoulé nous donne l’occasion d’entendre son groupe phare (Odlot), un sextette avec deux de nos grosses pointures du saxophone, André Leroux et Jean-Pierre Zanella. Comme chez Andy King, le spectre de Miles planait sur la musique de Séguin, moins dans les thèmes, (évitant bon nombre des écueils stylistiques de la musique fusion) que dans le développement de ses solos. Même si le disque n’a pas tout à fait la même urgence que la prestation, le haut calibre des musiciens assure tout de même un certain mordant dans le rendu des pièces. Séguin ne nie en rien ses modèles, mais il a une maturité qui lui permet de les assumer tout en sachant comment les tenir à distance.


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