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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 4

Critiques

Par René-François Auclair, Éric Champagne, & Joseph So / 1 décembre 2014

English Version...


The Wonder of Christmas
Elora Festival Singers
Noel Edison, chef de chœur
Michael Bloss, orgue
Naxos. 8.573421
***** (5 / 5)
C’est dans la charmante ville d’Elora, en Ontario, que ce chœur fut fondé en 1979 par Noel Edison. Depuis, cet ensemble reconnu et acclamé a enregistré quelques disques de grande qualité, dont The Mystery of Christmas (Naxos) paru en 1997. Aujourd’hui, il ne reste pratiquement aucun membre de la formation originale, mais le soin impeccable et la chaleur de l’interprétation sont demeurés intacts. Vu les inévitables et inutiles disques de Noël qui envahissent le marché, en voici un qui mérite toute notre attention. La tradition et l’esprit de cette fête, avant tout religieuse, sont ici parfaitement préservés. On apprécie particulièrement les richesses harmoniques, parfois audacieuses, des arrangements modernes des Carols. Ils ne viennent, en aucun cas, dénaturer leur essence. Au contraire, cela leur apporte une fraîcheur et un renouveau stimulant. Parmi les airs familiers que l’on redécouvre, quelques pièces moins connues de compositeurs contemporains apportent une belle variété à l’ensemble. En écoutant ces musiques, on comprend à quel point la voix humaine possède un immense pouvoir d’évocation. Un disque qui éveille en nous la plus belle nostalgie, mais aussi la fascination de constater qu’un tel répertoire réussit encore à nous émouvoir. Une merveille. RFA

Louis-Claude Daquin
Livre de Noëls
Vincent Boucher, orgue Beckerath
Atma Classique ACD2 2703
69 min 58 s

**** (4 / 5)
L’orgue Beckerath (1960) de l’Oratoire Saint-Joseph a été complètement restauré en 2011-2012. Ces travaux sont presque passés inaperçus pendant que l’on construisait le très médiatisé Casavant de la Maison symphonique. Ayant peu servi à l’enregistrement pendant des années, l’imposant instrument allemand de 5811 tuyaux sert ici de médium aux petits noëls de Daquin (1694-1772). On y découvre, avec joie, des splendeurs de sonorités autant dans les grands registres que dans les plus délicates intonations. Soulignons la qualité de la prise de son extrêmement bien réalisée dans cet environnement des plus grandioses. Car heureusement, les colossales structures de béton de l’Oratoire ne viennent jamais perturber la beauté d’ensemble ! Vincent Boucher a choisi des timbres des plus séduisants dans la panoplie des 78 jeux que l’orgue met à sa disposition. Pourtant, malgré toute la variété que l’on puisse employer, cette musique finit par lasser. Ces airs familiers, presque toujours traités en variations par Daquin, ne demeurent, en fin de compte, que de charmantes pastorales. Il y manque sûrement une pointe d’exubérance, de ce caractère « bouillant » reconnu du compositeur, que l’on ne ressent pas ici. Un peu plus de contrastes entre les parties flamboyantes et contemplatives aurait fait toute la différence. RFA

Jocelyn Morlock : Cobalt
Orchestres, ensembles, solistes et chefs d’orchestres multiples
Centredisques CMCCD 20014 (66 min 38 s)
***** (5 / 5)

Originaire du Manitoba, mais œuvrant à Vancouver, Jocelyn Morlock compose une musique qui exploite avec une grande habileté une expression idiomatique foncièrement traditionnelle et tonale, mais dans un discours contemporain incisif et perspicace. Le tout est particulièrement frappant dans Music of the Romantic Era, qui ouvre l’album. Ce quasi-concerto pour piano et orchestre est tonal et s’amuse à citer, directement ou plus subtilement, les grands canons de la musique romantique, et plus particulièrement la musique de Tchaïkovski. Cobalt et Solace, deux duos concertants, sont probablement les œuvres les plus accomplies du disque. Leurs sonorités riches et envoûtantes, voire enivrantes, se déploient dans un geste musical ample et enveloppant. Les influences sont parfois explicites (Chostakovitch dans Asylum, Messiaen dans Oiseaux bleus et sauvages, Josquin dans Solace), mais il n’est pas question de pastiche. Morlock est plus subtile et plus espiègle qu’on pourrait le croire et son œuvre démontre non seulement un métier solide, mais une pensée musicale autant lyrique que goguenarde. Il y a là un souffle très « West Coat » qui anime la grande beauté de sa musique. À découvrir pour cet esprit de liberté et de sensualité qui règnent en maîtres sur cette œuvre foncièrement personnelle. ÉC

Nicole Lizée : Bookburners
Ensembles et solistes multiples
Centredisques CMCCD 20514
(CD – 45 min 58 s. DVD – 35 min 23 s)

***** (5 / 5)
Nicole Lizée est un peu la vilaine fille de la musique contemporaine canadienne. Imprégnée de la techno et la culture pop, le beat et « l’impur », sa musique possède un caractère un tant soit peu rock. Il n’est donc pas surprenant que pour ce second CD consacré à la compositrice, Centredisque propose un album qui ressemble à ce que l’on retrouve dans le monde de la musique commerciale : un doublé CD/DVD et en prime une carte pour télécharger deux pièces supplémentaires ! Vous avez dit rock-star ? L’œuvre de Lizée explore divers rhizomes entre technologie et culture pop. Hitchcock Études en est un exemple magnifique : en exploitant des images et des sons provenant de divers films d’Hitchcock, la compositrice crée un nouveau matériel sonore qui est développé dans une partition pianistique couplée aux images. Une expérience visuelle et auditive stupéfiante qui est complétée par une œuvre pour violoncelle et table tournante, mettant en vedette le jeune Stéphane Tétreault. Sur le CD, trois œuvres fort intéressantes dont White Label Experiment est certes le moment fort. Pour sortir des sentiers battus et pour le plaisir de l’exploration intelligente, ce disque de Nicole Lizée saura combler les attentes des auditeurs aventureux ! ÉC

Strauss : Don Juan – Four Last Songs – Also sprach Zarathustra
Erin Wall, soprano
Melbourne Symphony Orchestra / Andrew Davis, chef d’orchestre
ABC Classics ABC 481 1122 (73 min 46 s)

**** (4 / 5)
Cette année, à l’occasion du 150e anniversaire de naissance de Richard Strauss, les enregistrements de ses œuvres sont encore plus nombreux qu’à l’habitude. Parmi eux, ce nouveau CD de deux de ses poèmes symphoniques les plus prisés et, sans doute, son cycle le plus connu de lieder orchestraux constitue un ajout fort bienvenu. Il s’agit de la première d’une série d’enregistrements auxquels participent sir Andrew Davis et le MSO. La soliste – l’une des meilleures sopranos straussiennes de la jeune génération – est la Canadienne Erin Wall. Le cycle Vier letzte Lieder (Quatre derniers lieder) fait depuis longtemps partie de son répertoire, car je me souviens très bien de ses débuts à Toronto dans ce cycle avec le Royal Conservatory Orchestra au George Weston Recital Hall il y a dix ans. J’avais d’ailleurs écrit un article à son sujet dans Opera Canada. Si à 39 ans, Mme Wall n’est pas encore la référence en matière de profondeur d’interprétation, son timbre magnifiquement éthéré et son souffle prodigieux ne manquent pas de rendre justice à ce cycle automnal de poèmes qui constitue aujourd’hui sa carte de visite. Rehaussée du magnifique violon solo, son interprétation de Beim schlafengehen est particulièrement ravissante et tout au long, la soprano bénéficie de l’excellent soutien du maestro Davis à la tête du Melbourne Symphony Orchestra. S’il est un seul détail qui puisse inspirer certaines réserves, ce serait l’emplacement du micro qui, en raison de sa trop grande proximité avec la cantatrice, met sa respiration un peu trop en évidence. Un des plus grands spécialistes de Strauss de notre époque, sir Andrew maîtrise parfaitement les deux poèmes orchestraux, livrant une interprétation pétillante des imprévisibles rebondissements de Don Juan et faisant admirablement ressortir la majesté de Also sprach Zarathustra. Le catalogue des œuvres de Strauss abonde déjà en excellents enregistrements de ces compositions, mais cette récente parution mérite de faire partie des meilleurs. Joseph So

Shoka : Chants japonais pour enfants
Diana Damrau, soprano
Orchestre symphonique de Montréal / Kent Nagano, chef d’orchestre
Analekta AN2 9131
***** (5 / 5)
Cet enregistrement de 22 chants japonais pour enfants est un pur ravissement et maestro Kent Nagano en est le seul instigateur. Le livret qui l’accompagne raconte en détail les recherches que monsieur Nagano, Japonais californien de troisième génération, a entreprises sur ces mélodies après avoir entendu son épouse les chanter à leur fille. D’une beauté troublante, ces chants nouvellement orchestrés ont d’abord été interprétés lors de deux concerts donnés à la salle Wilfrid-Pelletier de Montréal, en février-mars 2010, mais c’est en Allemagne, en juin de l’année suivante, que la partie soliste a été enregistrée. Maestro Nagano n’aurait pu choisir meilleure chanteuse ou interprète plus brillante que Diana Damrau. En 2011, Mme Damrau vivait concrètement l’expérience de la maternité avec ses deux enfants Alexander et Colyn. De sa très belle voix, elle insuffle à ces chansons un amour et une tendresse d’une telle sensibilité qu’on peut l’imaginer les fredonnant à ses propres enfants. Lors de la tournée du Metropolitan Opera au Japon, en 2011, juste après le séisme et tsunami de Tohoku, Mme Damrau avait connu un grand succès comme interprète de Lucia, et j’imagine que cette visite l’a incitée à réaliser cet enregistrement. Pourtant, la langue japonaise a dû constituer un réel défi pour la soprano allemande. Évoquant l’empire du Soleil levant de la fin du 19e siècle à 1930, ces chansons ont une teneur sentimentale exprimant la nostalgie du passé qui n’a plus rien à voir avec le Japon du 21e siècle. D’ailleurs, elles ne sont plus guère chantonnées par les enfants japonais d’aujourd’hui, mais on peut tout de même encore applaudir l’interprétation qu’en font les artistes professionnelles, particulièrement les sopranos, et elles sont toujours populaires auprès des personnes d’âge moyen et âgées. Le Chœur des enfants de Montréal chante magnifiquement et Kent Nagano dirige l’OSM avec beaucoup d’affection. Joliment présenté et très bien documenté, le livret comprend plusieurs essais en plus des paroles des chants en français, anglais et japonais. Plus qu’une simple curiosité, ce disque qui trône au sommet des meilleures parutions canadiennes de 2014 mérite d’être découvert par tous les mélomanes. Joseph So

Traduction : Véronique Frenette

René-François Auclair recommande ce disque pour le temps des fêtes ici.


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