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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 3

Le blues du CD : Chronique d’une mort annoncée ?

Par Marc Chénard / 1 novembre 2014

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Ce n’est plus un secret : l’industrie du disque se porte mal. Très mal.Dans les années 1980, les majors proclamaient que le compact allait rayer les bonnes vieilles plaques vinyles de la carte.

Trente ans plus tard, le compact est pris d’assaut, à la fois par les téléchargements numérisés en ligne et par son prédécesseur jadis condamné, le vinyle ! Les technologies numériques émergentes de notre siècle ont tout bouleversé, mais le vinyle, lui, n’a pas été voué à l’extinction comme ses ancêtres, le cylindre et le 78-tours. N’eût été des DJ, même de cette espèce singulière que sont les audiophiles, peut-être que...

De toute évidence, les premiers touchés par cette crise sont les grandes maisons de disques. Dans les années 1990, elles ont tout misé sur la surface argentée, investissant des sommes parfois astronomiques dans leurs productions, mais ont tardé à répondre au virage numérique virtuel actuel.

Entraînées par les gros joueurs de l’industrie, les plus petites maisons de disques ont emboîté le pas, subissant elles aussi les conséquences de la nouvelle conjoncture. Dans le jazz, marché musical dominé largement par des étiquettes indépendantes, les temps sont également durs; plusieurs lancèrent l’éponge, les plus tenaces ont tenu le coup en ralentissant le rythme de production.

Pour jeter un fil de lumière sur la situation, la Scena Musicale a donc approché les directeurs de six maisons pour avoir leur son de cloche sur les trois questions suivantes :

I- Le CD est-il voué à disparaître complètement ou a-t-il encore une place dans le marché ?

II- Remarquent-ils un accroissement d’achats en ligne de leurs produits et une diminution des ventes de
disques ?

III- Si le vinyle fait son retour, sont-ils prêts à éditer des 33 tours ?

Les producteurs suivants ont été interrogés :

1-Jim West, Justin Time Records (Montréal)

2-Alain Bédard, les disques Effendi (Montréal)

3- Russ Summers, Nuscope Records (Dallas, Texas)

4- Patrik Landolt, Intakt Records (Zurich, Suisse)

5- Eric Fillion, Disques Tenzier (Montréal) – Ne produit qu’en format vinyle et en tirage limité.

6- Joe Torchinsky, Bronze Age Records (Montréal) – Produit en vinyle ainsi que des compacts, mais à des fins promotionnelles seulement.

I – Pour ce qui est de cette mort annoncée du compact, certains intervenants se montrent moins pessimistes que d’autres. Jim West, Patrik Landolt et Russ Summers estiment qu’il ne sera pas banni de manière imminente – le dernier prédisant un autre dix ans. Ils n’entrevoient pas non plus sa disparation complète, tant et aussi longtemps que les mélomanes voudront encore avoir l’objet en main. Jim West remarque que les amateurs de jazz sont encore très enclins à collectionner des disques. Alain Bédard et les deux producteurs de vinyles sont toutefois plus catégoriques. Le premier constate une baisse constante des ventes en magasin et une qualité sonore nettement inférieure du disque compact (toujours à 16 bits) – en comparaison aux technologies de haute résolution. Fillion et Torchinsky sont de ceux qui ne se sont jamais laissé éblouir par le disque argenté. Ancien musicien punk, Fillion nageait dans un milieu musical qui a toujours affectionné le vinyle, d’où son parti pris. Il a rejeté rapidement le CD en créant son étiquette en 2011, au moment où la musique numérisée prenait son essor. Torchinsky concède toutefois que le CD peut sonner aussi bien que le vinyle, mais seulement si l’on a les moyens de se procurer un système audio complet haut de gamme, chose réservée aux inconditionnels bien nantis. Pour West et Bédard, le CD a encore une place, surtout en situation de concert, le second notant qu’il a vendu quatre fois plus de disques dans les salles de spectacles que chez les disquaires (qui se font de plus en plus rares).

II – Les quatre premiers producteurs constatent une augmentation d’achats de leurs titres en ligne, bien que la progression ait été graduelle. Patrik Landolt parle de 8 % de ses ventes, chiffre encore assez modeste. Mais comme il vend par l’entremise de magasins en ligne et non sur son site, il déplore le peu de redevances, avis partagé par Alain Bédard. Ce dernier voit aussi d’un mauvais œil la pratique du streaming, nullement réglementée en ce moment et dont les recettes sont ridicules. De plus, ces magasins ne récoltent que les sous sans aucune participation à la production des albums. Jim West relativise toutefois en prenant en compte le marché international. Sans chiffres exacts en main, il estime qu’en Europe, et plus encore en Asie, les compacts sont encore très recherchés, ayant une part de marché de 70 %; en Amérique, le chiffre se situe à 40 %. Les producteurs de vinyle, enfin, ont choisi de ne pas s’engager sur cette voie; Fillion s’est essayé, sans réel succès.

III – Mais qu’en est-il donc de ce retour du vinyle ?... Bien que conscients du phénomène, nos intervenants ne s’entendent pas sur son ampleur. Les producteurs spécialisés du format l’embrassent autant pour ses vertus sonores que pour sa plus-value esthétique (pochette et graphisme, textes de présentation en plus gros format). Torchinsky croit même que cette ascension continuera jusqu’au retour du vinyle comme support musical matériel de choix. Fillion de son côté l’a adopté parce qu’il convient à sa ligne éditoriale : l’édition de musiques expérimentales inédites des années 1960 et 1970. Deux producteurs n’excluent pas toutefois la publication de microsillons. Jim West a déjà édité un album dans la dernière année et songe à en repiquer un de son catalogue en 2015. Pourtant, il croit que le vinyle occupera une part négligeable du marché. Plus prudent, Patrik Landolt le fera seulement si sa clientèle en exprime le désir. Bédard et Summers, enfin, n’ont aucune intention de s’engager dans cette voie, tous deux préférant la vente de fichiers téléchargeables en haute résolution (format WAV 1:1 par ex.). Pour le second, les frais d’expédition d’un vinyle sont exorbitants et un obstacle en soi, chose qu’un inconditionnel comme Fillion reconnaît, puisque l’envoi d’un disque en Europe lui coûte 18 $ en frais postaux, excédant le prix de production de l’objet même.  

Pour information :
effendirecords.com
justin-timerecords.com
intaktrecords.com
nuscoperecordings.com
tnzr.org
bronzeagerecords.com

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