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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 2

Au rayon du disque : Mémoires d’outre-tombe

Par Marc Chénard / 1 octobre 2014

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Version Flash ici.

John Coltrane – Offering – Live at Temple University
Resonance Records B0019632-02
www.resonancerecords.com

Mort depuis 47 ans déjà, John Coltrane continue de sortir de nouveaux disques... inédits bien sûr. En novembre 1966, il se produisait à l’université Temple de Philadelphie. À cette date, il avait embrassé la cause du free jazz, pulvérisant toutes les conventions de la note bleue (et les siennes), ne retenant qu’un bref thème qu’il délaissait rapidement pour se lancer dans de longues excursions débridées. Ainsi en est-il de cette double offrande comprenant cinq pièces étalées sur 90 minutes. Outre le bref Offering (4 min 19 s), les autres titres, sauf sa ballade Naima qui, elle, ne fait que... 16 minutes, dépassent les 20 minutes, comme son thème fétiche My Favorite Things). Dans les notes du livret, un témoin se rappelle que les concerts de Coltrane de cette époque avaient des allures de ralliements politiques mouvementés – nous sommes à l’époque du radicalisme noir après tout. Outre sa femme pianiste Alice, le groupe comptait Pharaoh Sanders au ténor écorché, le batteur Rashied Ali et un bassiste de passage, Sonny Johnson, mais quelques percussionnistes et deux saxos altos locaux se font entendre furtivement. Particulièrement désarçonnantes sont les deux interventions « chantées » (mugies ? beuglées ?) de Coltrane qui, nous dit-on, battait son thorax. Pour ceux qui aiment cette période, les concerts au Japon de l’été précédent sont des documents essentiels; celui-ci, vu sa qualité d’enregistrement moyenne (un tant soit peu meilleure que dans son ultime concert en mai 1967), n’est pas indispensable.

Jimmy Giuffre 3 & 4 – New York Concerts (1965)
Elemental Records 5990425
www.elementalrecords.com

Largement mésestimé de son vivant, le saxophoniste et clarinettiste Jimmy Giuffre (1921-2008) était pourtant un réel visionnaire. Sa musique, moins spectaculaire que celle de Coltrane, était néanmoins radicale. Du musicien West Coast qu’il fut dans les années 1950, de l’arrangeur-compositeur d’œuvres parfois sans improvisation aucune, ce musicien épousa la cause du free jazz sous l’influence d’Ornette Coleman, le déclinant dans la nuance et avec une sorte de douce intensité. Les deux compacts ici proviennent de captations diffusées une seule fois à la radio de l’université Columbia à New York. L’histoire derrière ces séances est racontée en détail dans le livret, mais contentons-nous ici d’énumérer le personnel : le batteur Joe Chambers, les bassistes Richard Davis et Barre Phillips (sur le premier et second disque respectivement) et le pianiste Don Freedman (sur le second). Le propos musical est d’une étonnante actualité, si bien que ces plages auraient pu être réalisées tout récemment. Giuffre joue avec une audace peu commune pour l’époque, son jeu ressemblant par endroit à certains saxos de musique improvisée de l’heure (John Butcher, par ex.). Les notes laissent entendre que la musique devançait son temps (et Giuffre en a payé le prix, ayant été écarté de la scène et obligé d’enseigner la musique pour gagner son pain). Mais comme le disait si bien Varèse, aucune musique n’est avant son temps, ce sont plutôt les gens qui sont en retard. Près d’un demi-siècle plus tard, ce document est remarquablement plus contemporain que bien des productions jazz de récent millésime.


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