Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 20, No. 2

Sauvons les conservatoires

1 octobre 2014

English Version...


Version Flash ici.

En soutien aux Conservatoires du Québec, La Scena Musicale présente la lettre du chef d’orchestre Jacques Lacombe, suivie d’extraits des lettres des chefs Yannick Nézet-Séguin et Alain Trudel.

Monsieur le Premier Ministre, Madame la Ministre de la Culture,

C’est en pleine répétition de l’opéra Carmen que je dirige présentement à Vancouver que j’ai pris connaissance des rumeurs de fermeture des Conservatoires de musique du Québec en région. Pour être honnête avec vous, j’en ai presque échappé ma baguette !

Comme chef d’orchestre diplômé des Conservatoires, l’enseignement que j’y ai reçu me permet de poursuivre une carrière épanouissante sur les plus grandes scènes du monde, d’être devenu le premier québécois nommé à la tête d’un orchestre américain, celui du New Jersey, tout en conservant mes racines dans ma ville natale, en tant que directeur artistique de l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières. À ce titre, je joins ma voix au récent concert de protestations et j’appuie sans réserve la sauvegarde de cette institution unique qui fait la fierté et la richesse culturelle de notre société distincte.

Grâce au réseau des Conservatoires, les jeunes talents musicaux d’ici bénéficient d’une relation exceptionnelle avec leurs professeurs, et ce, de la plus tendre enfance jusqu’au niveau universitaire à la faveur d’un cursus continu, allant bien au-delà de l’apprentissage de l’instrument, ce que ni le secteur privé ni le secteur public ne peuvent offrir. Les Conservatoires constituent un véritable patrimoine humain d’une richesse inestimable. L’idée qu’une décision administrative puisse en un instant détruire une telle institution de savoir, que nous avons mis des décennies à construire, me fait frémir.

Je comprends que votre gouvernement fait face à de nombreux défis. Cependant, je pense à ceux, autrement plus dramatiques, auxquels ont été confrontés les dirigeants européens au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Vienne, qui fut sévèrement touchée par les affres de la guerre, a vu son Opéra National reconstruit avant même le parlement et l’hôtel de ville. Les dirigeants de l’époque avaient compris qu’un peuple se définit d’abord et avant tout par sa culture, et que c’est précisément durant ces moments difficiles que le peuple a le plus besoin d’art et de culture.

Or, si la situation financière du Québec est à ce point difficile, cette leçon d’histoire devrait peut-être servir d’inspiration. La décision de fermer une institution en raison d’un déficit budgétaire peut aisément être prise par un simple logiciel comptable. Par contre, la décision de donner les moyens de s’épanouir à une institution aussi importante que le Conservatoire ne peut venir que d’un grand chef d’État. Souhaitez-vous que vous et votre gouvernement passiez à l’histoire comme les fossoyeurs de la culture de notre société distincte et de ses institutions, ou plutôt comme de véritables leaders et bâtisseurs visionnaires et inspirés ? Vos décisions à venir répondront sans doute à cette question…

- Jacques Lacombe, C.M., C.Q.

Yannick Nézet-Séguin (extrait)

Vous savez tout comme moi que ce réseau, qui s’étend de Val-d’Or à Québec, de Rimouski à Gatineau, en passant par Saguenay, Trois-Rivières et Montréal, a donné et donne encore au Québec un rayonnement exceptionnel, et ce, même au niveau international, grâce à des artistes tels que Karina Gauvin, Marie-Nicole Lemieux, Marie-Josée Lord, David Jalbert, Marc Hervieux, Angèle Dubeau, Jacques Lacombe, Alain Trudel, pour n’en nommer que quelques-uns.

Peu importe l’endroit où ces grands artistes se produisent, ceux-ci se font le porte-étendard de cette grande institution qui assure, rappelons-le, une formation professionnelle continue, allant du niveau élémentaire à la maîtrise universitaire. Il faut aussi reconnaître que le milieu musical québécois est largement constitué d’artistes ayant eu le privilège de fréquenter l’un ou l’autre des Conservatoires ; plusieurs y enseignent désormais et contribuent ainsi au renouvellement des musiciens professionnels de demain.

Il faut non seulement préserver et assurer la pérennité de cette grande institution, mais aussi lui permettre de se développer, de s’épanouir et permettre enfin à ses artisans de se concentrer sur autre chose que leur simple survie. Ils pourront ainsi rassembler leurs énergies et se concentrer ensemble sur l’essentiel : l’enseignement aux élèves.

La culture, c’est notre plus grand trésor. C’est notre futur qui se souvient de son passé. La qualité de vie de toute notre société est en jeu.

Alain Trudel (extrait)

Pour ma part je n’aurais jamais pu poursuivre mes études, n’eût été un conservatoire. Et je suis loin d’être un cas unique, enfant d’un certain talent, issu d’un milieu monoparental très modeste. Jusqu’à maintenant nos valeurs collectives font en sorte que des jeunes comme moi, et croyez-moi il y en a encore plus aujourd’hui, peuvent espérer qu’avec du talent, doublé d’un travail acharné, il n’est pas obligatoire d’être né dans un milieu privilégié pour avoir la possibilité de réussir.

La force des Conservatoires réside non seulement dans la qualité exceptionnelle de leur enseignement transmis de génération en génération, mais aussi dans l’importance du nombre d’institutions de ce réseau.

Ne fermez pas la porte aux grands artistes de demain.


English Version...
(c) La Scena Musicale