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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 1

Va Pensiero…  cet air de la liberté si connu !

Par Marc-Olivier Laramée / 1 septembre 2014


Version Flash ici.

Nabucco au MET en 2011

Pour nombre d’entre nous, Nabucco, de Verdi, est associé au célèbre chœur du Va Pensiero, aussi appelé chœur des Hébreux. Sa mélodie accrocheuse s’imprègne facilement dans nos mémoires. Il n’est donc pas surprenant d’apprendre qu’il s’en est fallu de peu pour que cet air verdien ne devienne l’hymne national italien. Tout comme c’est le cas chez nous pour la chanson Gens du Pays, de Gilles Vigneault, ces deux hymnes ont un effet rassembleur, voire patriotique.

L’opéra Nabucco tire ses origines de l’épopée de Nabuchodonosor. S’inspirant de faits mentionnés dans la Bible, ce prince tyran et bâtisseur, roi de Babylone, fut associé à la défaite des Égyptiens en 605 av. J.-C. Son pouvoir grandissant s’étendra sur la Syrie et la Palestine tout juste avant qu’il s’empare de Jérusalem, et qu’il organise la déportation des Juifs. L’opéra se construit autour d’une histoire amoureuse entre Fenena et Ismaël. Ils forment un couple uni malgré leurs confessions religieuses discordantes et un conflit entre le roi Nabucco et un prophète juif, Zaccaria. L’élément perturbateur sera incarné par la jalouse Abigaïlle, personnage dont seule la mort apaisera les tourments de tous.

Lors de la première représentation en mars 1842 au Teatro alla Scala de Milan, Verdi n’eut jamais comme intention de créer ce qui allait devenir un hymne patriotique au sens particulier. Le contexte historique entourant le conflit entre l’Autriche et l’Italie sera le moteur contribuant à l’appropriation quasi automatique de l’air Va Pensiero par les Italiens. Dans l’opéra, la libération du peuple hébreu sera associée à l’Italie et son ennemi juré, l’Autriche. Le sentiment unificateur de ce chœur rejoindra le désir que l’Italie mette fin aux conflits intraterritoriaux pour laisser place à l’unification du pays.

À la première, l’enthousiasme débordant du public mènera à bisser l’air qui deviendra plus tard l’hymne de la Ligue du Nord, parti politique milanais de droite. L’explication de cet effet n’est toutefois pas facile à déterminer. Nous pourrions dire de même lorsque, pour une raison inconnue, le public lui fit une ovation. On peut parler d’un effet d’entraînement, mais aussi d’un désir profond que l’auditeur exprime. Une musique le touche droit au cœur et c’est pour lui impossible de le cacher. Ce coup de foudre, Verdi ne s’y attendait pas !

Beaucoup de musicologues qualifient Verdi de spécialiste des chœurs. Impossible de les contredire en observant la démarche musicale du compositeur. Dans Nabucco, la tension créée par ce maître de la voix transparaît à travers sa musique. La douleur du peuple hébreu opprimé ira rejoindre le public.

Sur le plan strictement musical, dès les premières notes des cordes dessinant des arches graves, l’auditeur perçoit cette tension voulue et mesurée par le compositeur. Vient tout juste après l’arabesque jouée à la flûte, préparant cette chute vertigineuse qu’on pourrait appeler le précipice. La table est mise pour ce qui deviendra l’un des chœurs d’opéra les plus connus. L’entrée sotto voce du chœur à l’unisson frappe par sa douceur et son unité, « Va, pensiero, sull’ali dorate » voulant dire : Va, pensée, sur tes ailes dorées. Une ligne mélodique simple mais qui porte loin. Tout semble calme jusqu’au grand réveil associé aux mots « Oh, mia patria sì bella e perduta ! » ce qui signifie  : Oh ma patrie, si belle et perdue. Puis, le grand cri du cœur où le chœur brise l’unisson pour la polyphonie et clame « Arpa d’ôr dei fatidici vati » (harpe d’or des devins fatidiques). Le soulèvement des Hébreux est en germe, ici associé à celui des Italiens face à l’Autriche. Puis tout juste avant la fin de l’air, tout redevient calme. Le peuple hébreu exprime sa douleur et ses lamentations par une douceur avec des staccatos légers et doux chers à Verdi, que nous retrouvons maintes fois parmi ses œuvres musicales. C’est en répétant en quatre plans sonores «  Che ne infonda al patire virtù !  » (Qui nous donne le courage d’endurer nos souffrances) que le chœur termine à mi-voix cet air marquant de l’opéra.

L’Opéra de Montréal présentera Nabucco de Guiseppe Verdi les 20, 23, 25 et 27 septembre prochains à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.

www.operademontreal.com

(c) La Scena Musicale