Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   
La Scena Musicale - Vol. 2, No. 10 Juillet-Août 1997

La musique canadienne et la musique contemporaine de l'OSM: parti I - 1935-84

(Extrait tiré du livre La petite histoire de l'Orchestre Symphonique de Montréal avec l'aimable permission de l'auteure Agathe de Vaux.)

«Quelle admiration le donateur du «Prix Jean-Lallemand» n'a-t-il pas suscitée pour avoir secoué la torpeur justifiable de nos compositeurs?» Ce bout de phrase, recueilli dans un article des années trente, résume toute la portée de cette autre initiative fulgurante des premières années de la fondation des Concerts Symphoniques: le Concours Jean-Lallemand. À New York, le concours de composition Leventritt existait déjà. Madame David entrevoyait la possibilité de faire la même chose aux Concerts Symphoniques. Elle en parla donc à monsieur Lallemand qui accepta son offre et dota alors son blason de «l'un de ses meilleurs titres au mécénat musical».

À cette époque, la situation de la composition musicale au Canada n'était pas reluisante. Il fallait agir si on voulait inscrire au programme des Concerts Symphoniques des oeuvres canadiennes dont on serait fier. «Non partisans de la création spontanée, ils (les Concerts Symphoniques) savent bien que les chefs-d'oeuvre ne vont pas leur tomber dans la main, comme ça, sans crier gare, du jour au lendemain. Ces chefs-d'oeuvre devant lesquels le monde s'inclinera, ils les attendent, ils en souhaitent la venue et ils veulent même les aider à naître. Le Prix de composition Jean-Lallemand n'a pas d'autre but.» (Léo-Pol Morin, Le Canada, 20 juin 1936)

Ce concours d'envergure nationale s'adressait à tous les compositeurs du Canda. Les manuscrits*, coiffés de pseudonymes, étaient expédiés à des juges dans les neuf provinces canadiennes. Il y eut aussi, dans le jury, un représentant des États-Unis, le compositeur et critique newyorkais, monsieur Deems Taylor. Le jury montréalais, plus important, comptait cinq membres. Les oeuvres qui avaient récolté le plus de votes étaient jouées en première aux Concerts Symphoniques durant la première partie d'un concert hors série; cette portion du concert était radiodiffusée en direct à travers tout le pays. Les jurés des autres provinces écoutaient les oeuvres à la radio puis rendaient leur décision par télégramme, afin qu'elle soit annoncée dans la salle même du Plateau. Le gagnant se voyait décerner une bourse, «bien sonnante» pour l'époque, de 500$. Les récipiendaires du Concours Jean-Lallemand furent Henri Miro pour Scènes Mauresques (1935-36), Hector Gratton pour Légendes (1936-37), et Graham George pour Theme and Variations (1937-38). Les oeuvres primées étaient ensuite reprises à la fin de la saison dans la série régulière des concerts.

En février 1939, peu de temps avant la date limite fixée pour la remise des manuscrits, on apprit avec stupeur la dissolution du Prix Jean-Lallemand. Dans les journaux, on rapporte que le concours tomba pour des raisons «multiples» et «incontrôlables». On remit le prix 1938-39 au ténor canadien Raoul Jobin qui menait déjà une carrière internationale. Dans le journal Le Canada du 20 février 1939, on fit une véritable oraison funèbre au Concours Jean-Lallemand:

«Ce Prix meurt sans élégance et mal à propos. Il avait déjà un tel rayonnement à travers le pays qu'on devait le protéger contre une chute verticale dans une caisse béante. Il meurt au moment où son action allait porter des fruits sérieux, au moment où de nouveaux candidats, aiguillonnés par la récompense et par le plaisir de s'entendre jouer, s'étaient décidés à écrire des oeuvres qu'hier encore il eût été téméraire d'entreprendre.»

Après le Concours Jean-Lallemand, il faudra attendre la fin des années cinquante avant que la musique canadienne ne reprenne un peu de vigueur à l'OSM. Le système de commandes, qui stimulait la création artistique aux États-Unis, pénétra alors au Canada. Dès ses débuts, en 1957, le Conseil des Arts du Canada suscita par ses initiatives, la création de plusieurs oeuvres par l'intermédiaire de diverses sociétés symphoniques canadiennes. Simultanément, le Comité des Jeunes de l'OSM élabora un concours de composition annuel, à l'étendue du pays, dont la formule était encore inédite au Canada. L'OSM remettait ainsi une bourse de 1 000$, que le Comité des Jeunes s'était chargé de recueillir, à un compositeur sélectionné par voie de concours. Celui-ci recevait alors de l'OSM la commande d'une oeuvre créée par la suite en première mondiale. Ce concours fut l'amorce d'une carrière pour des compositeurs ajourd'hui chevronnés. À la disparition de ce concours à la fin des années soixante, l'OSM commanda et créa des oeuvres canadiennes, grâce au Conseil des Arts du Canada.

Commandes et créations d'oeuvres canadiennes grâce au Concours du Comité des Jeunes de l'OSM:

1957-58 Harry Somers Fantasia
1958-59 Jean Papineau-Couture
Pièce concertante no 3
1959-60 François Morel Boréal
1960-61 Alexander Brott Spheres in Orbit
1961-62 Roger Matton Mouvement symphonique II
1962-63 Oscar Morawetz Concerto no 1 pour piano
1963-64 André Prévost Fantasmes
1964-65 Pierre Mercure Lignes et Points
1965-66 Oscar Morawetz Sinfonietta
1966-67 Clermont Pépin Quasars, Symphonie no 3
1967-68 Serge Garant Phases II
1968-69 Murray Schafer Son of Heldenleben

Commandes et créations d'oeuvres canadiennes par l'OSM grâce au Conseil des Arts du Canada:

1969-70 Micheline Coulombe Saint-Marcoux Hétéromorphie
1970-71 Jacques Hétu Passacaille
1973-74 Clermont Pépin Prismes et cristaux
1976-77 Gilles Tremblay Fleuves
1980-81 Claude Vivier Orion
1981-82 Harry Freedman Royal Flush
1982-83 Sydney Hodkinson Bumberboom: scherzo diabolique
1983-84 Clermont Pépin Implosion, Symphonie no 5

Commande et création d'une oeuvre canadienne par l'OSM grâce au Ministère des Affaires culturelles du Québec:

1979-80 André Prévost Le Conte de l'oiseau
(Paule Tardif Delorme)

Sans être des commandes, d'autres oeuvres canadiennes ont également été créées à l'OSM.

[Pierre Béique, administrateur de l'OSM 1937-70] affirme que son rêve le plus cher a toujours été de trouver des oeuvres canadiennes qui ne soient pas des créations mort-nées, des oeuvres qu'il pourrait répéter tous les deux ans avec l'approbation du grand public. Si des oeuvres contemporaines canadiennes ou autres ont parfois su se faire apprécier — on peut penser à Fantasmes d'André Prévost — le public de l'OSM reste plutôt conservateur, et en cela il ne diffère pas du public américain. Des auditeurs réguliers de l'OSM acceptent à peine les oeuvres de Bartok. Et pour donner un exemple de ce qui est souvent la réaction du public et de la critique devant une musique plus actuelle encore, on peut rappeler à ce propos un concert dont la première partie était consacrée aux oeuvres du compositeur polonais Penderecki. Une dame s'était écriée dans la salle durant une de ses oeuvres: «Horrible, horrible», faisant ainsi sursauter autour d'elle ceux qui écoutaient religieusement aussi bien que ceux qui s'étaient endormis. Le ton moqueur de la critique de Maureen Peterson dans The Gazette du lendamin (28 mars 1979), pouvait choquer ceux pour qui la musique de Penderecki est abordable. Elle décrivait ainsi un passage de l'oeuvre Anaklasis: «Alors, on entendit dégringoler le long d'un escalier dénudé, comme des tas de boîtes de conserves et de contenants vides qui sortiraient d'un sac à ordures. Son article se terminait avec amertume:

«Après l'entracte, Penderecki retourna sur la scène pour diriger la Symphonie no 6, opus 54, de Chostakovitch, mais il était déjà trop tard. Le mal était irréparable et la soirée gâchée, et sincèrement, je ne sais pas si je dois rire ou pleurer.

À ceux qui se sont écriés «bravo», je peux seulement répondre «félicitations», vous êtes sûrement plus évolués que moi. Mais, à ceux qui ont applaudi sans toutefois rien y comprendre ou pire, tout ce que je peux dire, c'est que vous méritez qu'on vous en fasse entendre davantage.»

Il ne sert à rien à l'OSM d'effaroucher son public. Il doit plutôt l'apprivoiser en suscitant chez lui une curiosité et un enthousiasme pour la musique actuelle d'ici et d'ailleurs.

L'OSM ne représente pas une société de musique contemporaine. Et il faut bien le confesser, la formation du chef d'orchestre et des musiciens ne les porte pas vers la musique contemporaine récente: Boulez, Messiaen ou Stockhausen, pour ne nommer que ceux-là. Le répertoire du grand orchestre symphonique restera toujours la musique orchestrale du XIXe siècle. Aussi, les sophistications instrumentales de plusieurs oeuvres d'avant-garde — une de ces oeuvres, par exemple, peut demander un seul violon, quantité de percussions et bande magnétique — rebutent également à ces grands orchestres dont le bon fonctionnement coûte déjà les yeux de la tête. Mais il reste que cet argument ne peut s'appliquer à toute la musique actuelle.

Les oeuvres contemporaines exigent des répétitions supplémentaires. Dernièrement, en février 1983, l'exécution de Cantique de durées de Gilles Tremblay, une oeuvre de près de vingt minutes, demanda environ douze heures de répétitions, ce que l'orchestre avoue ne pouvoir se permettre souvent à cause des restrictions budgétaires et de la présente marge déficitaire de l'orchestre. Une fois, à un concert au Chalet de la montagne, au début des années cinquante, l'exécution de l'oeuvre canadienne au programme tourna à la catastrophe à cause du manque de répétitions. La moitié de l'orchestre joua à deux temps, et l'autre moitié à quatre temps. Au bout de vingt mesures, régna une cacophonie épouvantable. Le chef d'orchestre garda son sang-froid. Il arrêta l'orchestre et se tourna vers le public: «Mesdames et messieurs, vous parlez tellement fort qu'on ne peut pas se concentrer sur la musique.» Faisant de nouveau face à l'orchestre, il fit signe aux musiciens de jouer à quatre temps.

Le chef d'orchestre n'a pas toujours le temps de «digérer» et de déchiffrer suffisamment ces partitions compliquées. Même les plus légers écarts des partitions standards peuvent faire l'objet de négligences. Le compositeur français Darius Milhaud ne disait-il pas: «Subir perpétuellement la trahison fait partie de la destinée du compositeur.» Ce fut le cas pour une oeuvre canadienne qui demandait des trompettes en do. La section des trompettes joua avec des trompettes en si bémol. Le compositeur, qui était présent, pas plus que le chef d'orchestre et les musiciens, ne s'en rendirent compte. Le soir du concert, au Plateau, les trompettes jouèrent encore avec des trompettes en si bémol et tout le monde paru content. De nos jours, l'orchestre a toutefois atteint un niveau qui l'empêcherait de commettre de telles erreurs.

Avec la musique contemporaine, on prend des libertés. Zubin Mehta, qui répétait une pièce canadienne, dit au compositeur: «Il y a un passage que je n'aime pas.» «Changez-le, changez-le», lui répondit ce dernier. Otto Joachim ne fut pas aussi souple. À la demande de Mehta qui devait diriger une de ses oeuvres, Otto Joachim la répéta une première fois avec l'orchestre. À la fin, le deuxième violon jouait un petit solo. «Pourquoi ne changez-vous pas ça?» suggéra Mehta. «Écoutez, Zubin, lui répondit le compositeur, c'est écrit comme ça, et ça va rester comme ça.»

Un compositeur canadien de renom et à l'esprit perspicace fit cette observation: «On nous considère comme des coupables qui doivent prouver leur innocence.» Eric McLean écrivait aussi dans The Montreal Star du 11 février 1961: «... même si on les (les oeuvres canadiennes) joue à l'occasion, c'est trop souvent à contrecoeur, comme si c'était un devoir national ou l'impôt à payer.» C'est un peu ce qui se passe aujourd'hui avec les dix p. cent de représentation canadienne dans le répertoire recommandé par le Conseil des Arts du Canada. L'orchestre se retrouve toujours face au même dilemme. Monsieur Béique, qui gardait toujours une oreille inquisitrice aux entractes, tentait de satisfaire «les préférences des vieux abonnés, la prédilection du grand nombre pour les oeuvres faciles, le goût audacieux des plus jeunes...» (Claude Gingras, La Presse, 26 mai 1956) Si l'OSM ne peut vider ses salles, il ne peut davantage s'emmurer et ignorer la création musicale actuelle car le public comme les musiciens doivent évoluer. Mais il y aura toujours divergence entre ceux qui trouvent que l'OSM n'accueille pas assez la création actuelle, et ceux qui lui prêtent une vocation conservatrice. On ne peut pas toujours contenter Dieu et son père.

La musicologue montréalaise, Agathe de Vaux, a écrit une chronique sur les premiers orchestres symphoniques à Montréal dans la revue Variations de l'OSM 1978-80; une thèse intitulée L'Orchestre symphonique de Montréal 1934-67: Analyse du répertoire et évaluation critique (Université McGill, 1981); et La petite histoire de l'Orchestre Symphonique de Montréal, Éditions Louise Courteau 1984. Agathe de Vaux travaille présentement sur un nouveau livre, dont le sujet reste "top secret".

(c) La Scena Musicale