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La Scena Musicale - Vol. 19, No. 6

L’OSM célèbre son grand orgue

Par Christine Man-Ling Lee / 1 avril 2014

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Olivier Latry, organiste émérite de l’OSM; Jacquelin Rochette, directeur artistique de Casavant Frères; et Madeleine Carreau, chef de la direction de l'OSM. Photos : Alain Lefort
Olivier Latry, organiste émérite de l’OSM; Jacquelin Rochette, directeur artistique de Casavant
Frères; et Madeleine Carreau, chef de la direction de l'OSM. Photos : Alain Lefort

Le Grand Orgue Pierre-Béique représente près de 5 ans (et pour certains, 8 ans) de travail regroupant les efforts combinés de l’OSM, d’Olivier Latry, organiste émérite de l’OSM, des architectes Diamond Schmitt + AEdifica et de Casavant Frères. Désormais, l’Orchestre symphonique de Montréal comptera un nouveau membre de la famille à la Maison symphonique : l’opus 3900 de Casavant Frères. Construit par ce facteur d’orgue de renommée internationale, l’instrument comporte 4 claviers, 109 registres, 83 jeux, 116 rangs et 6489 tuyaux. Il porte le nom de Grand Orgue Pierre-Béique pour rendre hommage au fondateur et premier directeur général de l’OSM et saluer sa contribution remarquable à la mission d’excellence de l’orchestre.

Les fidèles de l’OSM auront vu l’évolution lente de la façade de l’orgue : entre autres, l’addition de trois séries de tuyaux horizontaux et perpendiculaires au sol. Ces derniers sont des tuyaux à anche où la pression de l’air fait vibrer une languette pour produire le son, semblable à la vibration nécessaire pour faire sonner une clarinette ou un saxophone.

La façade de l’orgue n’est cependant qu’une partie de la créature géante qu’est le Grand Orgue. Derrière les quelques centaines de tuyaux illuminés par une lumière bleue se trouve une construction de quatre étages comprenant tous les autres tuyaux à bouches et à anches ainsi qu’une bonne partie de la technologie permettant l’existence d’une deuxième console, située sur la scène.

« Au sous-sol se situe la soufflerie où trois ventilateurs alimentent le besoin d’air de l’instrument. Au premier palier se trouvent la console et les tuyaux pour le deuxième clavier qui s’appelle le positif. Au-dessus de cet étage se trouvent le Grand-Orgue et le Grand-Chœur qui sont respectivement le premier et le quatrième clavier. Et par-dessus cet étage encore se trouve le récit, qui correspond au troisième clavier », explique Denis Blain, directeur technique de Casavant Frères.

Les plus petits tuyaux sont de 10-12 mm de hauteur au maximum et les plus grands font jusqu’à 32 pieds : la taille imposante de ces derniers peut être admirée sur la façade. Les tuyaux sont tous faits du même alliage de métal avec des compositions différentes d’étain et de plomb (à l’exception des tuyaux faits en bois). « Les tuyaux dont le son est plus brillant sont faits avec une plus grande concentration d’étain et pour les tuyaux qu’on veut plus doux, comme les flûtes, on utilise des alliages dont la teneur en plomb est plus élevée. Puis, les principaux sont entre les deux, avec 50 % d’alliage étain et plomb », précise Blain. Le travail en amont de cet instrument majestueux est formidable, cumulant les efforts d’une soixantaine de personnes sur une période de deux ans. « Non seulement les tuyaux sont-ils tous faits à la main, dévoile Blain, mais le métal est aussi coulé à l’atelier. »

Casse-tête acoustique

La Maison symphonique possède une des meilleures acoustiques pour orchestre à Montréal. Les réflecteurs acoustiques aident grandement à atteindre un bon équilibre sonore pour la salle. Par contre, avec l’ajout d’un nouveau membre de la famille, le Grand Orgue, ces panneaux causent quelques maux de tête à l’équipe. « Selon l’endroit où on entend l’orgue, dit Blain, le son va être différent. Par exemple, lorsque les réflecteurs se trouvent plus bas que les ouvertures des tuyaux sur la façade, le son change d’un endroit de la salle à un autre. La meilleure acoustique pour l’orgue est donc quand les réflecteurs sont au plafond. » Une période d’essai, de rodage et d’adaptation est donc essentielle pour le positionnement des réflecteurs, l’orgue, les musiciens de l’orchestre ainsi que pour le chef, Kent Nagano.

Le Grand Orgue Pierre-Béique est un orgue d’orchestre parmi les plus importants dans le monde. Non seulement est-il conçu pour suivre les nuances et les dynamiques d’un orchestre, mais il peut aussi se fondre avec le timbre et les sons de ce dernier. En fait, le son de l’orgue a été travaillé pour qu’il puisse « se modeler et faire comme l’orchestre, » comme le dit Olivier Latry, notamment en ayant cette inertie qui caractérise les attaques et le son de l’orchestre. De plus, le fait d’avoir une deuxième console au niveau du parterre aide à l’intégration entre orgue et orchestre, grâce à la globalité du résultat sonore que l’organiste peut entendre en étant au même niveau que les autres musiciens. Cette deuxième console a été installée au niveau du parterre grâce à la technologie : une transmission électronique, via un câble de réseau, contrôle un deuxième type d’action à l’intérieur de l’orgue. Le seul désavantage ? « On ne sent rien sous les doigts », dit Latry. L’organiste poursuit en expliquant que malgré ce désavantage, il préfère la deuxième console car « la globalité du son » est plus importante : « On entend pratiquement ce que les gens dans la salle entendent. » De plus, Latry trouve le contact avec les autres musiciens extrêmement précieux : « On est vraiment là, au sein de l’orchestre, à côté du chef, avec les musiciens, il y a le contact du regard, de la respiration, tout est là. » Cette console peut même être déplacée n’importe où sur la scène.

En ce qui concerne la première console, elle est attachée à l’orgue (et doit l’être, d’un point de vue mécanique) et se situe à quelques mètres au-dessus du parterre. L’organiste s’y trouve à être plus en contact avec le son et arrive à « sentir tout ce qui se passe sous les doigts », ce qui se traduit par une expérience plus agréable pour l’interprète.

Nouvelle ère

L’arrivée du Grand Orgue marque une étape franchie, un autre niveau atteint, et ce, non seulement pour l’OSM, Casavants Frères et tous les collaborateurs, mais aussi pour le paysage culturel de Montréal. « Ce sera le premier orgue symphonique installé dans une salle d’orchestre, explique Jean-Willy Kunz, l’organiste en résidence à l’OSM. Pour la première fois, à Montréal, on va pouvoir entendre du répertoire – beaucoup de répertoire – pour orgue et orchestre. »  Et ce n’est pas par manque d’efforts : « Les conditions ne s’y prêtaient simplement pas, explique l’organiste. Les orgues étant dans des églises, la disposition ne permet pas toujours d’y installer un grand orchestre. Également, les conditions acoustiques des églises ne sont pas favorables à la musique pour orchestre. »

« Ici, dans la Maison symphonique, toutes les conditions sont réunies : l’orchestre sonne magnifiquement bien dans cette salle et l’orgue aussi », poursuit Kunz. C’est donc un contexte idéal « pour faire découvrir au public beaucoup de répertoire nouveau et jamais entendu ».

Les épreuves de l’OSM

Jean-Willy Kunz a obtenu le poste d’organiste en résidence à la suite des auditions publiques tenues le 17 mars 2013. En vue de l’inauguration et de tout le travail nécessaire pour mener à terme les divers projets liés à l’Orgue Pierre-Béique, l’OSM avait lancé un appel de candidatures, presque deux ans avant la date du concert inaugural du 28 mai 2014. La recherche de l’organiste a cumulé avec des auditions finales et ouvertes au public tenues le 17 mars 2013. Le comité de sélection était composé de Maestro Kent Nagano, Olivier Latry, Pierre Grandmaison, John Grew, Jacquelin Rochette, Noël Spinelli et Patrick Wedd.

La construction et l’harmonisation

Lors de la phase de construction et d’harmonisation, Olivier Latry, titulaire des grandes orgues de Notre-Dame de Paris, a apporté une expertise et une richesse de savoir indéniable sur les orgues qui a permis la création du Grand Orgue Pierre-Béique, « un véritable instrument de musique ».

« J’ai été très impressionné, a noté Latry, par la capacité des facteurs de Casavant d’évoluer et de modifier les paramètres de l’orgue en fonction du résultat recherché », c’est-à-dire un orgue d’orchestre, capable d’offrir une « grande amplitude de nuances » ainsi qu’une vaste « palette orchestrale » au plan des timbres et de la musicalité. Latry a d’ailleurs passé quelques nuits blanches à la Maison symphonique en préparation de l’acceptation officielle de l’orgue, étape qui annonce la fin des travaux.

Acceptation officielle

Le 16 janvier 2014 a représenté une journée importante pour l’OSM et tous les participants au projet : c’était l’acceptation officielle du Grand Orgue Pierre-Béique, une procédure contractuelle qui confirme la réception de l’instrument, où une inspection rigoureuse est réalisée après l’installation complétée, et l’orgue prêt pour utilisation.

« Par cette acceptation, les travaux d’harmonisation du Grand Orgue Pierre-Béique de l’OSM sont maintenant terminés, a déclaré Olivier Latry. Cet orgue sonnera différemment sous les doigts de chaque organiste. » Il a poursuivi en expliquant que les caractéristiques uniques de l’orgue, plus spécifiquement, « sa malléabilité, la grande variété de ses timbres et leur grande musicalité seront un atout pour l’interprétation des œuvres avec orchestre et du répertoire d’orgue. »

Pour Casavant Frères, Jacquelin Rochette a reçu l’acceptation « avec joie et humilité ». « Le Grand Orgue Pierre-Béique est très certainement l’instrument le plus achevé que nous ayons eu l’occasion de réaliser », nous a-t-il confié.

Durant l’événement d’acceptation, Latry s’est mis à l’orgue pour interpréter Cortège et Litanie de Marcel Dupré, originalement pour orgue et orchestre. Alors que seul l’orgue sonnait, des cloches tubulaires et glockenspiel étaient aussi au rendez-vous, au début et à la fin de la pièce. Jean-Willy Kunz dévoile le mystère : « Il existe un jeu de cloches à l’intérieur de l’orgue, des cloches tubulaires. Les notes de deux octaves, du sol au sol au centre du clavier, sont liées aux cloches tubulaires par un mécanisme mécanique. » C’est le son qu’on entend au début de la pièce. Un deuxième son de clochettes entendu était celui du glockenspiel. « Ce sont des clochettes posées sur des cercles en métal, cercles qui tournent par le biais d’un autre mécanisme mécanique. »

Le son majestueux de cet instrument et ses secrets seront bientôt révélés mais, pour l’instant, une phase de rodage avec les musiciens de l’orchestre, Jean-Willy Kunz et Kent Nagano sera nécessaire avant l’inauguration officielle du Grand Orgue.

L’avenir du Grand Orgue Pierre-Béique

Des activités sont prévues à l’OSM pour faire rayonner l’orgue, programmées dans la saison 2014-2015, dont la série ORGUE qui inclut la première du Concerto pour orgue de Jacques Hétu, un récital où Olivier Latry sera à l’honneur, et une projection du film Le Fantôme de l’Opéra de Rupert Julian avec une improvisation musicale au Grand Orgue.

L’inauguration officielle aura lieu le 28 mai 2014. Olivier Latry interprétera des œuvres de Bach, Saariaho, Liszt, Samy Moussa et Saint-Saëns. Le programme de la semaine d’inauguration comprendra des concerts les 29 mai et 1er juin, ainsi qu’une journée portes ouvertes le 31 mai.

Une note intéressante à propos de la Symphonie no 3 de Saint-Saëns qui sera au menu à l’inauguration : elle a été créée en 1886 à Londres, au mois de mai. Alors cette présentation sera en quelque sorte le 128e anniversaire de l’œuvre. De plus, Kent Nagano travaille actuellement avec les partitions originales. Il est certain que l’inauguration du Grand Orgue Pierre-Béique constituera un moment musical incroyable. À ne pas manquer !

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