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La Scena Musicale - Vol. 19, No. 6

L’air du mois : Nessun Dorma

Par Wah Keung Chan / 1 avril 2014

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Version français disponible en PDF

Nessun dorma partition

Turandot, le dernier opéra de Puccini, contient de nombreux airs populaires, mais Nessun dorma au début du troisième acte est sans contredit le plus mémorable. Après avoir deviné les trois énigmes et gagné la main de Turandot, la princesse désemparée, Calaf, le héros inconnu, lui propose de la libérer de son engagement à se marier si elle parvient à deviner son nom avant l’aube. La cruelle Turandot ordonne que personne ne dorme durant la nuit jusqu’à ce que le nom du prince soit révélé.

Le troisième acte débute au cours de cette nuit, alors que Beijing est en proie à l’agitation. Calaf chante Nessun dorma (Que personne ne dorme), faisant écho à l’ordre lancé par la princesse de glace.

Nessun dorma, Nessun dorma!
Tu pure, o Principessa,
nella tua fredda stanza,
guardi le stelle
che tremano d'amore e di speranza.
Ma il mio mistero e chiuso in me,
il nome mio nessun sapra!
No, no, sulla tua bocca lo diro'
quando la luce splendera'!
Ed il mio bacio scioglierà il silenzio
che ti fa mia!
Que personne ne dorme ! Que personne ne dorme !
Toi aussi, Ô Princesse,
Dans ta froide chambre
Tu regardes les étoiles
Qui tremblent d’amour et d’espérance...
Mais mon mystère est scellé en moi,
Personne ne saura mon nom !
Non, non, sur ta bouche, je le dirai,
quand la lumière resplendira !
Et mon baiser brisera le silence
Qui te fait mienne.
(Il nome suo nessun saprà!
e noi dovrem, ahime, morir!)
(Personne ne saura son nom...
Et nous devrons, hélas, mourir !)

Dilegua, o notte!
Tramontate, stelle!
Tramontate, stele!
All'alba vincerò! Vincerò! Vincerò!

Dissipe-toi, Ô nuit !
Dispersez-vous, étoiles !
Dispersez-vous, étoiles !
À l’aube je vaincrai ! Je vaincrai !
Je vaincrai !

Il y a deux points culminants. Le premier, lié aux paroles « sulla tua bocca lo dirò », est souligné par une ligne vocale longue, presque sans fin, typique de Puccini. Le second est atteint dans la dernière strophe, avec « All’alba vincerò ». En concert, le dernier « Vincerò » (« Je vaincrai ! ») est clamé sur un si aigu, maintenu avec puissance, suivi de la note la, tenue encore plus longtemps, bien que dans la partition originale de Puccini, la note si corresponde à une croche et la note la, à une ronde. La difficulté de cet air est lié au passaggio (ou transition), à la montée effectuée par le ténor pour arriver au fatidique si sans que la voix ne flanche.

On compte au fil des années de très belles interprétations de cet air (voir l’appréciation des critiques ci-dessous). L’enregistrement de 1972 par Luciano Pavarotti a été choisi par la BBC comme chanson thème de la Coupe du monde de soccer de 1990 en Italie. Nessun dorma est alors devenu un véritable succès pop mondial. Cet air célèbre est souvent chanté par des concurrents à diverses émissions de téléréalité, comme Paul Potts dans The X Factor.

Puccini n’aura pas eu le temps d’achever Turandot, composé entre 1921 et 1924, puisqu’il succomba à un cancer du poumon. Enrico Caruso, le ténor privilégié par Puccini pour tenir le rôle de Calaf, meurt hélas en 1921.

Choix des critiques

JOSEPH SO
Quand on parle de Nessun dorma, je dirais qu’il est question de voix, que tout est dans la voix. Bien sûr, le chant est héroïque. Les notes aiguës doivent être retentissantes, la voix puissante. Si le ténor prolonge la note fatidique, eh bien soit ! Le public n’en sera que plus enthousiasmé.
Premier choix : je préfère les ténors du passé comme Franco Corelli, que j’ai vu sur scène, à la voix puissante et vibrante. Corelli est le meilleur dans ce rôle en raison de sa belle présence sur scène, de la puissance et de la projection de sa voix.
Deuxième choix : j’aime bien Jussi Bjoerling pour la beauté de sa voix, son chant élégant et raffiné.
Troisième choix : Mario Del Monaco, pour sa voix puissante et claironnante bien que manquant de finesse.

RICHARD TURP
Comment ne pas accorder une place à Corelli, mais voici mes deux premiers choix (ex æquo) : Francesco Merli, le prince Calaf dans le premier enregistrement intégral de Turandot avec Gina Cigna et Magda Olivero. C’est justement le type de voix requis pour ce rôle : une voix de ténor lyrico-dramatique, puissante, virtuose dans l’aigu et alliée à une riche palette expressive. Un ténor au style raffiné, à la musicalité hors pair, qui interprète la montée lyrique telle qu’elle a été écrite par Puccini sans maintenir indûment le contre-si. Mentionnons un artiste oublié, Antonio Salvarezza, qui a enregistré l’air peu de temps après la Deuxième Guerre mondiale. Une voix radieuse, pleine de soleil et de chaleur, avec des notes finales puissantes. Il chante l’air avec une incroyable désinvolture et aisance vocale.

NORMAN LEBRECHT
Je ne suis pas plus amateur de Puccini que Richard Strauss lui-même ne l’était. Quant à Turandot, je considère que c’est un pastiche quelque peu condescendant de la culture chinoise. Oublions « Big Lucy » (surnom de Luciano Pavarotti), les Trois Ténors, Corelli, Björling et compagnie ! Surtout, n’évoquez même pas Paul Potts, Amira Willighagen et tous ceux qui aspirent à chanter cet air dans les concours de chant télévisés comme X Factors. Le seul Nessun dorma que je suis prêt à écouter est celui interprété par Aretha Franklin, lorsqu’elle a remplacé au pied levé Pavarotti lors de la cérémonie des Grammys en 1998. La 18e merveille du monde.


Turandot de Puccini. Opéra de Montréal. 17, 20, 22 et 24 mai 2014. www.operademontreal.com

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Traduction par Lina Scarpellini


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(c) La Scena Musicale