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La Scena Musicale - Vol. 19, No. 4

Natalie Dessay réinventée

Par Wah Keung Chan / 1 décembre 2013

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Nathalie Dessay

En octobre, après sa dernière performance de Manon de Massenet à l’Opéra de Toulouse, Natalie Dessay a fait ses adieux à la scène lyrique, semant la consternation parmi ses admirateurs. « Ce n’est pas moi qui laisse l’opéra, c’est l’opéra qui me laisse », affirme la colorature française, faisant allusion à l’évolution de sa voix qui met désormais hors d’atteinte les envolées stratosphériques.

À 48 ans, elle n’est ni triste, ni nostalgique. Clôturant sa carrière lyrique dans la maison toulousaine où elle a fait ses débuts de choriste il y a 25 ans, elle a le sentiment d’avoir bouclé la boucle. Ne dit-on pas que quand une porte se ferme, une autre s’ouvre ? La diva se réinvente une triple identité : chanteuse de pop, chanteuse de mélodies classiques et actrice de théâtre en France.

« La musique de Legrand, c’est aussi beau que la mélodie classique, souligne-t-elle. Ses chansons sont extrêmement bien construites, avec des mélodies incroyables, des harmonies magnifiques, et Michel est un splendide orchestrateur. Je les chante parce que cela me plaît autant que la musique de Mozart et Poulenc. »

Il lui a fallu tout réapprendre : « Je chante avec ma voix normale, que je n’ai jamais travaillée ni exploitée. Dans les trois dernières années, il a fallu apprendre comment se servir du micro, changer la voix et chanter deux octaves plus bas. Il faut créer une intimité avec le public. J’ai dû tout changer : de la voix de tête, gorge ouverte, à la voix de poitrine, gorge fermée. Le mélange est différent. Ni mieux, ni moins bien. Un autre métier. »

Les résultats sont tout à fait remarquables (voir la critique de Norman Lebrecht à la fin de l’article).

À part les nouveaux projets de chansons avec Michel Legrand, la prima donna entame une carrière de récitaliste, quelque chose qu’elle rechignait encore à faire lorsque nous lui avions parlé en 2004. « À l’époque, je n’avais pas le temps, mais maintenant je l’ai », explique-t-elle. L’année dernière, elle a sorti Clair de lune, un disque de mélodies de Debussy avec le pianiste Philippe Cassard (EMI B006PYZ9Q0, 2012). Un deuxième disque consacré à des mélodies de Poulenc, Duparc et Fauré sortira sous étiquette Erato en 2014. En concert, elle élabore un programme franco-allemand comprenant des mélodies de Poulenc, Duparc, Fauré, Clara Schumann, Brahms et Strauss, ainsi qu’un programme franco-russe de duos avec la mezzo Stella Grigorian.

« Je trouve assez amusant de pouvoir jongler avec les deux voix, dit-elle. J’ai appris à aimer le récital de mélodies grâce à la chanson. Les mélodies sont comme des chansons, il faut arriver à créer cette intimité. On n’a pas de micro, on est obligé d’utiliser la même voix opératique, mais il faut essayer de raconter une histoire. » Dessay aime chanter dans les petites salles de concert qui lui permettent de déployer ses aptitudes naturelles pour la scène.

Le théâtre et la scène étaient le premier amour de Dessay : jeune, elle rêvait d’être actrice et ballerine. Pendant ses deux années d’études en art dramatique, ses professeurs ont découvert qu’elle avait de la voix et l’ont encouragée à suivre des cours de chant. Ses premiers prix au concours Les Voix nouvelles et au Concours international Mozart ont lancé sa carrière. Les amateurs d’opéra ont appris à l’aimer pour la virtuosité de sa voix de colorature et aussi pour son intense présence scénique. Comment s’étonner dès lors qu’elle ait envie de retourner sur scène, dans le théâtre français ?

« À 18 ans, mon but dans la vie était de jouer. J’ai fait de l’opéra parce que j’allais pouvoir jouer, peut-être plus rapidement et plus souvent que si j’étais comédienne, car il y a plus de travail dans l’opéra. L’opéra est d’abord du théâtre, même s’il doit être au service de la musique. » Et quels rôles la font rêver ? « Ce ne sont pas les rôles qui m’intéressent. C’est rencontrer des metteurs en scène et des acteurs partenaires avec qui on va pouvoir construire quelque chose. Théâtre classique ou contemporain, pourvu que ce soit un bon texte, un texte fort. Dans mon répertoire d’opéra, les livrets sont souvent un peu idiots. » Même si rien n’est encore signé, la diva évoque des projets dans un an sur les scènes françaises, lui permettant de travailler chez elle dans sa propre langue.

Au lieu d’être sur la route les trois quarts du temps, elle peut maintenant rester aux côtés de son mari, le baryton-basse Laurent Naouri et de leurs deux enfants adolescents.

Beaucoup de chanteurs d’opéra se tournent vers l’enseignement après leur retraite, mais cela ne l’intéresse pas du tout. « Pour être un bon professeur, cela prend de la patience et un très grand intérêt pour la technique, dit-elle, mais la technique, ça m’emm... J’ai énormément travaillé, mais ce n’est pas quelque chose qui me passionne. Je n’ai pas la patience pour faire une bonne prof. » Mme Dessay ne refuserait pas de donner des cours de maître, mais pour parler d’art, pas de « comment former un son ».

Elle a néanmoins des conseils à donner aux jeunes chanteurs. « Trouver un bon professeur avec qui on peut avoir une relation particulière. Un prof qui me convient ne convient pas à d’autres. Il y a de bons professeurs partout. Travailler les cinq langues : l’italien, l’anglais, le français, l’allemand et le russe. Faire du théâtre pour savoir comment jouer et comment travailler avec l’espace scénique, travailler le corps par le yoga, la danse et le sport ».

Elle a également une mise en garde : « C’est extrêmement difficile pour les jeunes de démarrer une carrière aujourd’hui, il n’y a pas assez de travail. Il y a de moins en moins de productions et de représentations. C’est un problème partout dans le monde. Il faut être sûr de vouloir faire ça, avoir la passion, la discipline, toutes les qualités qu’il faut, parce que c’est difficile. »

J’ai demandé à Natalie Dessay de faire le point sur la situation du chant en France, puisque à part elle et le ténor Roberto Alagna, il n’y a pas d’autres vedettes de l’opéra dans son pays de nos jours. « La France n’est pas un pays de chanteurs, c’est plus un pays d’instrumentistes, a-t-elle répondu. C’est un petit pays, et il y a un déficit d’intérêt pour le chant. Le Québec est davantage un pays de chant. »

Dans une vie idéale, comme elle l’a déclaré au Figaro l’an dernier, sa voix aurait été plus dramatique ; au lieu des soubrettes, elle aurait aimé incarner Tosca et Salomé, des rôles féminins dramatiques qui conviennent mieux à son tempérament. Ses admirateurs peuvent se consoler en se disant qu’elle troque une scène pour une autre. En écoutant Le dernier concert, une chanson déchirante qui clôt son CD Legrand, on ne peut s’empêcher de ressentir la tristesse de son départ. Mais elle corrige : « Non, cette chanson représente le dernier concert de tous », et je me rends compte que tout n’est pas perdu.

Traduction : Anne Stevens


Entre elle et lui
Natalie Dessay, voix
Michel Legrand, piano et voix
Erato B00EAH3D6C

Lorsqu’une chanteuse d’opéra commence à interpréter des musiques de films, on a tout lieu de penser que sa motivation première n’a rien à voir avec l’art. Dans le cas de Natalie Dessay, qui s’est toujours considérée plus comme une actrice chantante que comme une diva, et dont les intérêts personnels n’ont rien à voir, comme pour d’autres, au fait de posséder une grande tessiture ou de présenter un ego surdimensionné, ce changement est beaucoup moins suspect.

Ce que Dessay chante ici, comme elle le dit elle-même, c’est la bande sonore de sa vie. Le monde entier connaît Michel Legrand pour sa chanson The Windmills of Your Mind (Les Moulins de mon cœur) du film l’Affaire Thomas Crown, mais en France, il fait partie du patrimoine national, et ses créations musicales dominent le cinéma français depuis un demi-siècle. La première fois que Dessay l’a entendu, elle avait six ans. Leur rencontre était inévitable, et le disque qui en résulte, un incontournable.

Certains des morceaux de ce disque sont d’un intérêt très local et vous auriez du mal à les trouver dans les banques de données internationales, tandis que d’autres relèvent d’une simplicité toute domestique. Une recette de gâteau, interprétée avec Patricia Petibon, appartient à ces deux catégories. Mais on y retrouve également une version ensorcelante de La Valse des lilas et, quand Natalie se laisse aller dans des airs inoubliables d’Hollywood – la prière de Streisand dans Yentl, le fameux What are you doing the rest of your life de Sinatra ou encore les Moulins de mon cœur avec Legrand –, elle est tout simplement irrésistible. Et puis il y a le fameux duo des Parapluies de Cherbourg qu’elle interprète avec son mari, Laurent Naouri. Écoutez-le. Moi, je ne peux plus m’arrêter. - Norman Lebrecht

Debussy : Clair De Lune
Natalie Dessay, soprano
Philippe Cassard, piano
EMI B006PYZ9Q0

(Album Lebrecht 2012)

On n’a pas beaucoup entendu parler de Natalie Dessay cette année. L’actrice-soprano française a dû annuler plusieurs représentations à l’opéra et a été affectée par le décès de son agent Herbert Breslin. Au début du printemps, elle a néanmoins lancé, sur étiquette Virgin, un récital de mélodies de Debussy, et je crois bien que c’est la meilleure version qu’il me sera jamais donné d’entendre.

Tout dans cet album est superbe : le pianiste, Philippe Cassard ; la qualité du son ; l’ordre des mélodies, sans oublier la superbe couverture teintée qui nous plonge immédiatement au cœur du monde de Debussy – et nous sommes irrémédiablement envoûtés par Dessay. D’aucuns trouvent Debussy froid et intimidant. Dans l’interprétation de Dessay, à la fois passionnée et d’une précision clinique, les petites mélodies immaculées de Debussy fascinent et nous laissent cloués sur place, comme devant la vitrine d’un grand couturier des Champs Élysées - Norman Lebrecht

Traduction : Brigitte Objois


Nous aurons l’occasion d’entendre Natalie Dessay deux fois en trois mois au Canada :

• En tournée avec Michel Legrand. Québec (12, 13, 19 déc.), Toronto (15 et 16 déc.) et Montréal (20 et 21 déc.) avec Les Violons du Roy. Ottawa (23 déc.) avec Legrand seulement

• En récital avec Philippe Cassard. Montréal (1er mars), Québec (5 mars)

www.natalie-dessay.com ; www.glatzconcerts.com ; www.violonsduroy.com ; www.promusica.qc.ca ; www.osm.ca ; www.clubmusicaldequebec.com


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(c) La Scena Musicale