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La Scena Musicale - Vol. 19, No. 3

Critiques

Par Charles-David Tremblay, Phillipe Gervais, Paul E. Robinson et Joseph So / 1 novembre 2013

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Version Flash ici.

R. Murray Schafer :
Quatuors 8-12, Quatuor Molinari
ATMA ACD2 2672

En résidence au Conservatoire de musique de Montréal, le Quatuor Molinari entretient une étroite collaboration avec Raymond Murray Schaefer et nous propose cette fois un enregistrement de son dernier cycle de quatuors, nos 8 à 12.
Reconnu pour la cohérence de ses exécutions, le Molinari a déjà créé quatre des six derniers quatuors de Murray Schaefer. Avec maîtrise, l’ensemble met en valeur ce cycle de quatuors qui n’est pas sans rappeler ceux de Hans Werner Henze ou de Krzysztof Meyer.
L’écriture oscillant entre atonalité et modalité est convaincante. Les œuvres sont unifiées par des leitmotive se répondant d’un quatuor à l’autre, comme celui du dernier mouvement du huitième quatuor ouvrant aussi le neuvième. En plus de la continuité thématique, la narration présente dans le dixième quatuor permet d’explorer une structure de chambre révisée : la présence de voix d’enfants enregistrées dans le neuvième quatuor est une autre distinction dans l’instrumentation.
Le souci contrapuntique mine ici l’articulation d’un langage harmonique unique. En effet, les quatuors se ressemblent sommairement par leur écriture horizontale et d’avant-garde. Des éléments de microtonalité et de polyrythmie sont également employés, mais n’accroissent pas les idées musicales.
La forme est également un souci esthétique et pratique dans le travail de Murray Schaefer. Il construit ses quatuors selon une architecture claire qui permet de se situer dans les développements parfois abstraits. En contrepartie, la redondance des mouvements uniques des neuvième, dixième et douzième quatuors nuit aux relations de fond et de forme, l’affirmation de l’espace acoustique se faisant parfois au détriment des idées musicales.
Les derniers quatuors à cordes de Murray Schaefer forment indéniablement un cycle important dans le répertoire du compositeur. Forts d’une interprétation remarquable, les textes sont riches d’une structure encadrante et d’une écriture efficace.  CDT

Robert Aitken volume 1
J.S. Bach : Sonates pour flûte et clavecin BWV 1030/1031/1032 (enregistrées en 1979)/ Partita pour flûte et clavecin BWV 997 (enregistrée en 1969)
Robert Aitken, flûte / Greta Kraus, clavecin
C.P.E. Bach : concerto pour flûte en ré mineur Wq 22
Robert Aitken, flûte / Orchestre de chambre de Vancouver / John Eliot Gardiner (enregistré en concert, Vancouver, 1981)
DOREMI DHR-6611 (76 min 20 s)

Sans aucun doute, Robert Aitken est un des meilleurs flûtistes à avoir été enregistré au Canada. S’il voulait un contrat avec un orchestre, il lui suffisait de le dire. Il pouvait choisir tous les engagements qu’il voulait. Dans la vingtaine, il était première flûte pour l’orchestre symphonique de Vancouver et pour celui de Toronto. Par la suite, il a choisi de se consacrer à une carrière de soliste et est devenu le maître d’œuvre derrière les New Music Concerts, une des plus vieilles organisations œuvrant en « nouvelle musique » au pays.
Aitken s’est souvent exécuté à Toronto avec la claveciniste Greta Kraus (1907-1998), toujours avec succès. Cet enregistrement les présente au plus fort de leur excellence, bien que le son du clavecin paraisse éloigné, comme s’il était joué d’une pièce voisine.
L’interprétation du C.P.E. Bach est sensationnelle et nous permet de profiter d’une précieuse collaboration entre Aitken et John Eliot Gardiner, pendant les quelques années (1980-1983) où le chef dirigeait l’orchestre de chambre de la CBC à Vancouver. Gardiner apporte sa touche imaginative à ce magnifique concerto, qu’Aitken interprète avec une technique magique et un timbre superbe. Il est difficile de croire qu’il s’agit ici d’un enregistrement en concert.  PER

Haydn : Concertos pour piano nos 3, 4 et 11
Marc-André Hamelin, piano
Les Violons du Roy / Bernard Labadie
Hyperion CDA67925 (61 min 42 s)

Cet enregistrement offre un curieux contraste. Alors que le soliste joue sur un Steinway mo-derne, l’orchestre joue de manière très respectueuse de l’époque. En effet, les cordes adoptent une légèreté étudiée et n’utilisent que peu ou pas de vibrato. Hamelin n’a de toute évidence pas l’intention que son Steinway sonne comme un clavecin, l’instrument pour lequel Haydn a composé ces trois concertos. Au contraire, il tire plein profit du vaste registre de nuances que permet son piano.
Peu importe. Ces interprétations sont méticuleusement préparées et livrées avec goût et musicalité. Hamelin avait déjà démontré sa connaissance de Haydn avec trois de ses sonates enre-gistrées précédemment sur Hyperion. Il réussit à faire ressortir l’humour et la capacité de surprendre de ces concertos, deux éléments que certains des meilleurs pianistes avaient esquivés. Je me rappelle particulièrement un enregistrement de Michelangeli, stoïque au point d’en être absurde.
Hamelin utilise les cadences de Wanda Landowska dans le Concerto en ré majeur et ses propres cadences dans les autres. Celle du premier mouvement du Concerto en sol majeur est délicieusement originale.  PER

Jean-Sébastien Bach
Œuvres pour clavier
Hank Knox, clavecin
Early-music EMCCD-7775

Hank Knox a abordé avec succès, ces dernières années, des pans inconnus du répertoire pour clavecin, proposant entre autres, chez Early-music, d’étonnantes transcriptions d’opéras de Haendel réalisées en Angleterre au XVIIIe siècle. Il s’attaque maintenant à quelques œuvres célèbres de Bach, dont la Toccate en mi mineur, la Fantaisie chromatique et fugue et la grande Ouverture à la française, avec son exceptionnel cortège de danses (gavottes, passepieds, bourrées…). Certes, la concurrence ici est forte, au piano comme au clavecin, mais Hank Knox tire habilement son épingle du jeu. Placé sous le signe de la virtuosité, le programme permet un parcours diversifié à travers toute la carrière de Bach. L’instrument choisi, copie d’un clavecin flamand de Dulcken, possède une sonorité à la fois ronde et brillante qui sied parfaitement à cette musique. Soutenu par une excellente prise de son, Hank Knox offre une interprétation souple et sobre et parvient à une lisibilité exemplaire dans les passages fugués.  PG

Les opéras russes
CD : enregistrements en direct des Soirées de musique russe (1972)
DVD : Boris Godounov (Mort de Boris) de la Société Radio-Canada, Les Beaux dimanches (1983)
Joseph Rouleau, basse
Analekta AN 2 9223-4 CD (39 min 9 s) / DVD (27 min 30 s)

Le québécois Joseph Rouleau, basse, est un modèle dans le domaine de l’opéra qui ne se démode pas. Né en 1929 à Matane, au Québec, il a commencé sa carrière en 1950. Il est maintenant âgé de 84 ans et chante toujours ! Dans une entrevue qu’il a donnée à Radio-Canada, l’an dernier, il explique le secret de sa longévité. Ici, on vous offre une performance inédite d’airs russes, présentée en direct à Radio-Canada en 1972.
Huit arias, de Prince Igor à Eugène Onegin, représentent le cœur de ce répertoire. Une sonorité riche, une puissance impressionnante et une verve incroyable, une gravité que seule une grande voix de basse profonde peut évoquer, voilà l’interprétation de Joseph Rouleau. Les notes graves de l’air Iolanta donnent de grands frissons. Rouleau est un grand verdien – un inoubliable roi Philippe –, mais nombreux sont ceux qui considèrent qu’il est né pour chanter le répertoire russe. Un expert de l’opéra, consulté pour cette critique et locuteur natif russe, confirme que la prononciation du russe de Rouleau est impeccable. Il souligne aussi une étrangeté, soit l’air de Dosifei, interprété par Khovanshchina, avec accompagnement de piano (une piste de la BBC) qui est chantée avec un accent russe… qui sonne très anglais ! Il est dommage que le CD ne dure que 39 minutes, mais l’inclusion en prime d’un DVD de la Mort de Boris (1983) compense un peu. Seule critique à formuler, la documentation est insuffisante. En effet, dans les notes du disque, le chef de la prestation de 1972, Jean Deslauriers, donne peu d’explications et ne fait aucune mention des collaborateurs qui ont œuvré dans la vidéo de la Mort de Boris. L’audio et la vidéo datent des années 1970. Le livret ne contient qu’une biographie succincte et un court article. Ni texte ni traduction. Il s’agit tout de même d’un indispensable pour les fans de Rouleau et des voix de basse.  JS

Sospiro
Alessandro Grandi Complete Arias
Bud Roach, ténor et guitare baroque
Musica Omnia MO 0506 (70 min 34 s)
www.musicaomnia.org

En cette année anniversaire célébrant Verdi et Wagner, l’abondance d’une telle musique, d’une ampleur inégalée, peut devenir épuisante. Ce qui fait de ce disque, mettant en vedette un répertoire à l’opposé de ces deux grands, de par sa période et son style, une découverte appréciée. Il s’agit du premier enregistrement de la collection complète des arias, volume III (1626) du maître italien de la période baroque, Alessandro Grandi (1586-1630). Le ténor canadien Bud Roach chante et s’accompagne lui-même à la guitare baroque.
Les 23 arias sont interprétées avec une sonorité exemplaire, avec style et bon goût, sans compter la beauté de la voix de Roach. Compte tenu de l’esthétique italienne baroque, on ne peut espérer un registre étendu, stylistiquement ou émotionnellement. Les airs sont surtout en mineur et ne parlent que d’amour non partagé.
Le timbre de la voix de haute-contre de Roach, doux, délicat et possédant une flexibilité excellente, est idéal pour ce répertoire. Même dans l’aigu, on ne sent pas de vrai falsetto. Au contraire, Roach possède une voix mixte.
Pour les amateurs de baroque, il s’agit d’un disque génial, superbement rendu, avec un son chaleureux et pur. Les novices de ce répertoire voudront peut-être écouter d’abord quelques pièces à la fois plutôt que tout le disque, pour éviter l’inévitable redondance. Le livret, joliment produit, présente un essai instructif et très bien écrit sur Roach. Je recommande fortement cette parution aux amateurs de baroque.  JS

Traduction : Anne-Marie Trudeau


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