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La Scena Musicale - Vol. 18, No. 6

Parcours d'un compositeur engagé : Hans Werner Henze (1926-2012)

Par Éric Champagne / 1 avril 2013


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Le 27 octobre 2012 est décédé, à l'âge de 86 ans, le compositeur allemand Hans Werner Henze. Ce compositeur surprenant, engagé politiquement et musicalement indépendant des esthétiques d'avant-garde, lègue des œuvres majeures dans le domaine de l'opéra, de la musique symphonique et de la musique de chambre.

Né à Gütersloh en 1926, Henze débute ses études en musique en 1942, mais il doit les suspendre lorsqu'il est enrôlé dans l'armée allemande en 1944. La même année, il est capturé par les Britanniques et ne sera libéré qu'à la fin de la guerre en 1945.

On décèle dans ses premières œuvres, notamment dans son Concerto pour violon no 1 (1946) et sa Symphonie no 1 (1947), des influences néoclassiques marquées par Stravinski et Hindemith. La maîtrise orchestrale du jeune compositeur est déjà solide et flamboyante. Il assiste dès 1946 à des cours à Darmstadt, haut lieu de l'avant-garde de l'après-guerre. En 1948, il y rencontre René Leibowitz qui l'initie à l'écriture dodécaphonique. Sa cantate Apollo et Hyazinthus (1949) marque une évolution marquée dans son discours musical : écriture atonale acide et complexe, esthétique d'avant-garde aux gestes brusques.

Henze est rapidement propulsé parmi les grands compositeurs et chefs d'orchestre de sa génération. Son goût pour les gestes mélodiques amples et les émotions plus grandes que nature le mène naturellement vers l'opéra. Créé en 1951, Boulevard Solitude, son premier chef-d’œuvre lyrique, est une adaptation contemporaine (et un peu scabreuse) de Manon Lescaut de l'abbé Prévost. L’œuvre connait un ­succès retentissant. Henze y assouplit déjà son langage musical, s'éloignant de l'avant-garde sérielle au profit d'un lyrisme rappelant Alban Berg.

En 1953, Henze quitte l'Allemagne pour l'Italie, où il vivra jusqu'à sa mort. Ce changement de pays marque aussi un changement dans sa musique : son esthétique se consolide et, bien qu'elle soit ancrée dans la modernité de son temps, le lyrisme y sera mis à l'avant-plan. Les Cinq chansons napolitaines (1956), cycle de mélodies orchestrales composées pour Dietrich Fischer-Dieskau, témoignent de l'influence de la vocalité italienne et de cette souplesse nouvelle. Les bonzes de Darmstadt ne lui pardonneront pas ce revirement stylistique. Lors de la création de Nocturnes et Arias en 1957, Boulez, Stockhausen et Nono ont quitté la salle durant l'interprétation. L'audace de l’opulence et de la consonance de cette œuvre a été perçue comme une provocation face aux dogmes de Darmstadt. De cette époque naîtront des œuvres majeures telles que l'Ode au vent d'Ouest (1953), pour violoncelle et orchestre, et les symphonies no 4 (1955) et no 5 (1962).

Artiste engagé, Henze prend souvent position de façon radicale et surprenante face à divers événements sociaux et politiques. Il est ­persuadé que la musique contemporaine se doit d'être au cœur des grands combats humanistes, sans pour autant concéder quoi que ce soit à son esthétique. Dans les années 1960 et 1970, il s'oriente vers le marxisme et affiche ses sympathies pour les mouvements sociaux allemands découlant de Mai 68. Il séjourne à Cuba en 1969 et 1970 où il appuiera la révolution castriste. C'est d'ailleurs à La Havane qu'il dirige la création de sa Symphonie no 6 (1969), l'une de ses œuvres les plus étranges et complexes du fait qu'elle oppose deux orchestres distincts (à l'orchestration peu commune, puisqu'on y retrouve, entre autres, un banjo et des ondes Martenot). À travers un langage dense, Henze cite le chant de libération vietnamien Étoiles dans la nuit et l'Hymne à la liberté de Mikis Theodorakis, tentant ainsi d'exprimer l'atmosphère fébrile de ces années révolutionnaires. « Je voulais composer une musique contre la bourgeoisie. À la place de la nostalgie et du scepti­cisme, je voulais l'affirmation, une véritable profession de foi révolutionnaire », a affirmé le compositeur à propos de cette symphonie.

L'apogée de sa période révolutionnaire est sans conteste la création de son oratorio Le Radeau de la Méduse, œuvre dédiée à Che Guevara. La première à Hambourg en 1968 fait scandale, à tel point que la police est requise pour escorter le compositeur jusqu'à son hôtel après le concert. Outre ses positions révolutionnaires, Henze milite aussi pour la cause homosexuelle. Ouvertement gay, il aborde ce sujet – directement ou en filigrane – dans plusieurs œuvres, dont certaines sont créées en collaboration avec le poète W.H. Auden.

La notoriété de Henze n'est plus à faire. Il est nommé compositeur en résidence au Festival de Tanglewood en 1983 et 1988, puis à la Philharmonie de Berlin en 1991. Son genre de prédilection est l'opéra. En effet, il crée une vingtaine d’œuvres lyriques (opéra, théâtre musical, opéra pour la radio...) dont les qualités musicales et littéraires sont indéniables. On lui doit, entre autres, Le Prince de Hambourg (1958) et Le jeune Lord (1964), sur des livrets de la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann ; El Cimarrón (1969-70), livret de l'écrivain cubain Miguel Barnet ; Élégie pour de jeunes amants (1959-61), livret de W.H. Auden; Les Bassarides (1965), d'après Euripide ; Le roi cerf (1952-55) et Le chat anglais (1980-83, révisé en 1990). Son œuvre orchestrale, fort abondante, comporte notamment 10 symphonies et des concertos (dont trois pour violon et deux pour piano), en plus de nombreuses œuvres de musique de chambre. Il est aussi l'auteur de quelques partitions pour le cinéma, collaborant notamment avec Alain Resnais et Volker Schlöndorff.

Henze a été très productif jusqu'à sa mort. Parmi ses œuvres récentes, toujours engagées, quoique moins controversées, il est à souligner la création de ses opéras L'Upupa und der Triumph der Sohnesliebe en 2003 et Phaedra en 2007, ainsi que le poème symphonique Sebastian im Traum (2004) et Elogium Musicum (2008), pour chœur et orchestre.

Avec la mort de Henze, une importante page de la musique de la seconde moitié du XXe siècle est tournée.

(c) La Scena Musicale