Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 18, No. 6

Alexandre Côté : Profession compositeur

Par Marc Chénard / 1 avril 2013


Version Flash ici.

Alexandre Coté et son groupe

Saxophoniste de métier, Alexandre Côté estime toutefois que l’écriture est le lieu privilégié pour vraiment développer sa propre musique. « Je le dis à tous mes collègues : écrivez votre musique. Des bons saxos, il y en a à tous les coins de rue, mais je pense que tu te découvres vraiment en composant et les autres te découvrent aussi. Quand on te reconnaît comme compositeur, les gens te respectent davantage parce que tu ne fais pas que jouer et cela te donne un peu plus de notoriété. »

Depuis son arrivée sur la scène montréalaise, ce musicien à l’orée de la quarantaine a démontré sa compétence instrumentale dans des formations d’allégeance hard-bop et mainstream contemporain (dont deux disques à son nom sur Effendi Jazz). À titre de compositeur et d’arrangeur, il fait preuve d’un très bon savoir-faire en plus d’une belle imagination, deux atouts caractérisant son orchestration du thème fétiche Lonely Woman d’Ornette Coleman pour l’ensemble Lettingo du guitariste Gary Schwartz (voir chronique dans la page suivante de cette section).

Membre de l’Effendi Jazz Lab, collectif de huit musiciens du label, Côté y a contribué des arrangements pour ses enregistrements, mais c’est avec une formation légèrement modifiée qu’il publiera en mai son œuvre la plus ambitieuse à ce jour : Portraits d’ici. Répartie en huit mouvements et trois brefs interludes, cette suite orchestrale d’un peu moins d’une heure est une musique programmatique tirant son inspiration de ses nombreux voyages en province. Comme il l’explique lors d’une conversation récente : « Mon but était de mettre en musique des images mentales précises de certains paysages ou lieux au Québec. Il se trouvait que le bassiste et producteur Alain Bédard voulait commander une œuvre pour le groupe et c’est là que j’ai avancé mon idée. »

La première, présentée au Gesù en novembre 2011, marquait l’aboutissement d’un travail herculéen de cinq mois totalisant 1328 mesures couchées sur 193 pages. En avril 2012, un ensemble au personnel légèrement modifié par rapport au concert consignait l’œuvre à la postérité, cette fois-ci sous le nom du saxophoniste.

Portraits d’Ici

Effendi FND 128

1-Nord Perdu
2-Rangs de garnottes et espaces vides
3-Les Hautes-Gorges
Interlude I
4-À l’est du Bic
5-Interlude 2
6-L’Île d’Entrée oubliée
7-Paysages laurentiens
Interlude 3
8-Métropolitaine

Notes du compositeur

1- « Je ne me suis jamais rendu dans ce nord lointain, mais une fois à la Baie-James. À défaut d’y avoir été, je me suis imaginé des paysages glaciaux et périlleux. Plus abstrait musicalement, ce mouvement a des relents de musique contemporaine avec ses accords en grappes (clusters). Je tiens aussi à dire que la suite a été conçue en fonction des musiciens, chacun d’eux étant mis en évidence comme soliste dans un mouvement, le batteur Rich Irwin dans celui-ci. »

2- « Le titre le dit : il s’agit de chemins de campagnes non asphaltés qui mènent partout et nulle part en même temps. On est dans les champs, loin de tout, comme dans le vide. J’exprime cette sensation par un jazz de facture modale assez insistante, très coltranienne quoi, le saxo ténor s’imposant comme instrument solo. David Bellemare fait un merveilleux travail ici ; c’est un musicien de grand talent qui mérite une plus grande visibilité sur nos scènes. »

3- « Je mets en musique mon impression de ces montagnes situées dans la région de la Malbaie. Elles sont comme les Rocheuses : à couper le souffle. Ce mouvement prend la perspective d’un oiseau qui les survole et j’ai pensé à Aron Doyle qui y prend un solo de trompette bien aérien. »

Interludes 1, 2, 3

« Trois variantes en autant de tonalités sur un thème de moins d’une minute. Chaque interlude, sans improvisation aucune, est inséré entre deux mouvements contrastants, assurant une certaine continuité dans la suite. Mon inspiration ici n’est pas géographique, mais musicale, soit les trames sonores de films muets. Je crois avoir bien passé mon intention parce que les musiciens ont fait le lien sans que je leur dise. »

4- « Plus reposante, cette section dépeint les paysages le long du fleuve entre Bic et Mont-Joli. La musique, elle, a des allures d’une ballade ECM, jouée en croches égales, apparentée à celle de Keith Jarrett. Il allait de soi que le soliste soit le pianiste du groupe, Jon Roney. »

5- « C’est la ballade triste du disque. J’ai voulu faire le portrait d’une île au large de l’archipel des Îles de la Madeleine que personne ne fréquente. On n’y accède que par petit bateau et sa population périclite, les jeunes la quittent par manque de travail. Dave Grott, le tromboniste, évoque l’ambiance du lieu avec un lyrisme à la fois sobre et poignant. »

6- « Je suis Beauceron et ce morceau est dédié aux gens de mon coin qui sont ainsi nommés à cause des sols noirs qui salissent leurs jambes. Ils sont reconnus pour avoir du caractère, à la fois fiers et orgueilleux. Le saxo baryton de Bruno Lamarche (autre musicien sous-estimé) exprime parfaitement cette mentalité : costaud et imposant de nature. »

7- « Ici, j’ai une image précise en tête, celle de survoler ce territoire en petit avion et d’en admirer ses magnifiques paysages. Pour moi, la contrebasse (assurée par Dave Watts) était l’instrument à mettre en vedette ici, je le savais au moment d’écrire le thème. »

8- « Ce mouvement, je l’avais composé avant tous les autres. Il figure sur le disque précédent du Jazz Lab (OctoPortraits) et s’intitule Phil Spirit, en hommage à M. Woods bien sûr. Je voulais le réutiliser ici et j’ai remanié l’arrangement un brin. Le titre fait référence à l’autoroute, mais je pense aussi aux Jeux Olympiques, le côté festif et joyeux représenté par un emploi d’intervalles justes (quartes et quintes) dans le thème. Même si j’ai tout composé, je prends un solo comme tout les autres, filant à toute allure... comme sur notre voie rapide ! »

Pour Alexandre Côté, la composition signifie construire avec une certaine logique musicale, mais plus encore véhiculer une émotion, sinon plusieurs. Et pour lui donner le dernier mot : « Je n’ai pas voulu réinventer la roue ici, ou faire quelque chose de kétaine, mais beau tout simplement ! »

À découvrir au rayon du disque
Gary Schwartz and Lettingo » Placé sous la direction de Gary Schwartz, l’ensemble de 12 musiciens montréalais de ce disque offre un programme de trois originaux de ses membres et quatre adaptations de thèmes d’Ornette Coleman, dont le célèbre Lonely Woman (un arrangement fort habile signé Alex Côté). Disque en hommage au saxo noir texan, cet album réussit bien à donner quelques épaisseurs de plus à une musique essentiellement mélodique et linéaire. Évitant l’exercice de style ou le simple pastiche, les pièces originales s’inspirent de l’esprit libertaire de son dédicataire. On appréciera aussi l’instrumentation atypique du groupe, comprenant violon, deux batteries, deux claviers, une trompette, clarinette basse et saxos, sans oublier la guitare aérienne de son chef. Du beau travail sur toute la ligne.  MC
(c) La Scena Musicale