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La Scena Musicale - Vol. 18, No. 5 février 2013

Le Parsifal de François Girard au Metropolitan Opera de New York

Par Daniel Turp / 1 février 2013


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François Girard. photo L’année 2013 pourrait bien s’avérer pour François Girard le moment de consécration du metteur en scène d’opéra qu’est devenu celui qui est connu dans le milieu culturel surtout comme le réalisateur des films Thirty Two Short Films About Glenn Gould, Le Violon Rouge et Soie. La reconnaissance du talent de François Girard à l’opéra devrait survenir au lendemain de la présentation du Parsifal de Richard Wagner au Metropolitan Opera de New York dont la première est prévue pour le 15 février 2013. Si le public  de la célébrissime compagnie lyrique new-yorkaise n’est jamais conquis d’avance, il y a fort à parier qu’il réservera à la nouvelle production du festival scénique sacré (Bühnenweihfestspiel) conçu par Richard Wagner à la fin de sa vie un accueil aussi enthousiaste que celui qu’il a reçu à l’Opéra de Lyon en mars 2012.

François Girard ne tient pourtant rien pour acquis. « Mettre en scène Parsifal est un exercice d’humilité, car le dernier opéra de Richard Wagner est un véritable monument musical », me confie-t-il lors d’un entretien dans son studio du boulevard Saint-Laurent à Montréal à la fin de l’année 2012. Il n’hésite d’ailleurs pas à affirmer lors de cette entrevue que cet opéra testamentaire du maître de Bayreuth est la plus grande œuvre musicale de l’humanité. Il faut dès lors, dit-il, prendre acte « des influences qui ont marqué Wagner et qu’il a télescopées dans une œuvre qui s’appuie tant sur les racines chrétiennes du compositeur que l’impact qu’ont eu sur lui les théories du nihilisme ou la philosophie de Schopenhauer ». Il faut ainsi aller « à la rencontre de l’œuvre » et « faire parler les personnages » dans le processus d’interprétation qu’est la mise en scène. Pour lui, le grand défi est d’ordre dramaturgique. Pour rendre hommage à l’œuvre, il faut en explorer les abysses, illustrer les contradictions qui animent les protagonistes, traduire au plan théâtral les émotions portées par les leitmotivs de Wagner et aller en définitive au-delà de la musique comme Wagner l’a fait lui-même dans Parsifal.

Pour celui qui reconnaît la parenté esthétique du cinéma et de l’opéra, l’œuvre doit aussi être servie par l’image. Et la présence du sang, « le sang sacré qui s’embrase » (Das heil’ge Blut erglüht), qu’évoque Parsifal au deuxième acte en présence de Kundry qui l’invite à accueillir « avec faveur la femme aimante qui s’approche » (Blick’ auf, sei hold der Huldin Nahn !), est appelée à marquer cette mise en scène de Parsifal dont on a d’ailleurs dit à Lyon qu’elle était d’une «beauté sanglante ». Cette image, comme tant d’autres, n’ira pas sans inspirer Barbara Willis Sweete, responsable de la transmission de Parsifal destinée au public du MET Live in HD et qui sera projetée le samedi 2 mars 2013 dans 64 pays et plus de 1900 salles de cinéma.

L’exercice d’humilité et la rencontre de l’œuvre n’empêchent pas pour autant François Girard d’avoir une vision pour Parsifal. Cette vision s’incarne notamment dans le choix d’inviter le public à se reconnaître dans les thèmes qu’aborde Wagner dans son opéra, qu’il s’agisse de spiritualité, de compassion, d’amour ou de rédemption. Et le public sera interpellé dès le début de l’opéra à travers un effet de rideau-miroir lui permettant de se voir sur scène et de s’identifier aux personnages, voire de les habiter tout au long de la représentation.

Après avoir travaillé avec le chef japonais Kazushi Ono et une distribution essentiellement allemande et russe à l’Opéra de Lyon, François Girard prépare actuellement la production du Metropolitan Opera avec le chef italien Daniele Gati. Et il pourra compter sur une autre distribution internationale et notamment sur les deux grands chanteurs allemands Jonas Kaufmann dans le rôle-titre et René Pape dans celui de Gurnemanz. Deux artistes lyriques de Suède, la soprano Karanina Dalayman (Kundry) et le baryton Peter Mattei (Amfortas), ainsi que le baryton-basse russe Yevgeny Nikitin (Klingsor) compléteront cette prestigieuse distribution. Comme pour la production de l’Opéra de Lyon et d’autres productions lyriques dont il a assuré la mise en scène, François Girard fait équipe avec le dramaturge québécois Serge Lamothe.

Après avoir mis en scène Oedipus Rex d’Igor Stravinski et Siegfried de Richard Wagnerà la Canadian Opera Company à Toronto ainsi que Le Vol de Lindbergh/Les sept péchés capitaux de Kurt Weill et Émilie de Kaija Saariaho à l’Opéra de Lyon, quel projet pourrait – après Parsifal – s’avérer un nouveau défi lyrique pour François Girard ? « Le Pierrot lunaire d’Arnold Schoenberg m’attire, révèle-t-il en fin d’entrevue. S’attaquer à cette œuvre parlé-chanté (sprechgesang) pour soprano et huit instruments solistes composée en 1912 serait d’ailleurs une suite intéressante à la réflexion que j’ai entreprise pour Parsifal. Schoenberg est sans doute celui qui a le mieux répondu à l’appel de Richard Wagner et consommé la rupture avec le langage musical de la période postromantique ».

Ne serait-il d’ailleurs pas temps qu’une compagnie lyrique d’ici lui propose de monter ce Pierrot lunaire ? Après l’annulation par l’Opéra de Montréal de son Oedipus Rex dont la présentation avait été prévue pour la saison 2005-2006, les lyricomanes du Québec ont de bonnes raisons de revendiquer le droit de voir une production d’opéra conçue par François Girard. Une mise en scène signée par celui dont on doit s’enorgueillir du succès sur notre planète lyrique ne serait-elle d’ailleurs pas la bienvenue au Festival d’opéra de Québec ? À Grégoire Legendre, le très dynamique directeur général et artistique de l’Opéra de Québec et de son festival lyrique estival dont les deux premières éditions ont également été couronnées d’un grand succès, d’agir et d’inviter l’artiste, qui a grandi à Charlesbourg dans la région de la Capitale nationale, à déployer son grand talent de metteur en scène lyrique !


François Girard mettra en scène l’opéra Parsifal de Richard Wagner au Metropolitan Opera de New York. La première aura lieu le 15 février 2013 et six autres représentations sont prévues les 18, 21 et 27 février ainsi que les 2, 5 et 8 mars 2013. L’opéra sera radiodiffusé et présenté dans le cadre de la série MET Live in HD le samedi 2 mars 2013 à compter de 12 h.
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