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La Scena Musicale - Vol. 18, No. 2 octobre 2012

Le point de vue parental : La persévérance en musique

Par Shira Gilbert / 1 octobre 2012

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Dans l’édition de La Scena Musicale du mois dernier, la lectrice Denise Lai a posé une question qui doit concerner beaucoup de gens. Ses deux jumelles de 11 ans ont suivi des cours de piano depuis l’âge de 5 ans. Aujourd’hui, bien que leurs parents aiment la musique classique et en jouent à la maison, les enfants sont devenus indifférents et vont prendre leurs leçons à contrecœur. Faut-il les attacher au banc du piano ou bien faut-il relâcher la pression et les laisser s’intéresser à d’autres choses ?

Comme nous aimerions façonner nos petites têtes blondes selon notre bon désir ! Mais si les parents aiment la musique classique, cela doit-il être aussi le cas pour leurs enfants ? Les amis et professionnels de la musique que j’ai consultés ont été sans équivoque : il faut persévérer ! Faites de l’étude de la musique une part entière de leur éducation. (Avertissement : une crème glacée ou une nouvelle paire de jeans sera peut-être nécessaire pour éviter de rectifier vos attentes.) Combien d’adultes connaissez-vous qui regrettent aujourd’hui d’avoir laissé tomber leurs leçons de piano quand ils étaient plus jeunes ? (Je vois deux personnes qui lèvent la main là-bas.)

Liz Parker enseigne le piano de façon privée depuis 28 ans. En tant que plus jeune sœur des célèbres pianistes canadiens Jamie et John Kimura Parker, elle a eu la chance de grandir dans une famille où la musique avait une place prépondérante. Selon elle, c’est la combinaison idéale entre ses parents (une « mère Tigre » qui la forçait à prendre des leçons et un père canadien facile à vivre qui emmenait ses enfants à des concerts) qui a été la clé. « Pour nous, abandonner n’était pas une option, dit Parker. Si on ne s’exerçait pas, on ne mangeait pas. Si on ne s’exerçait pas, c’était la fin des privilèges. » Aujourd’hui, elle leur en est profondément reconnaissante. « Je dis à mes élèves que je sais que ce n’est pas marrant de s’exercer, mais qu’ils me remercieront plus tard. Tout ce qu’ils apprennent maintenant [à travers les leçons de piano] leur servira plus tard quand ils seront adultes. » Elle met en relation la discipline et la confiance en soi qui viennent à travers le piano avec le fait de respecter un délai fixe pour payer son loyer ou faire une présentation devant un public.

Cela ne doit pas être non plus une besogne, souligne Parker, qui donne généreusement du chocolat à la fin de ses récitals en studio. « Emmenez-les à des concerts, inscrivez-les à des cours de musique où ils peuvent s’amuser sur une batterie et se faire des amis, apprendre à faire un jam, suggère-t-elle. Prévoyez des moments où les autres enfants qui prennent des leçons peuvent se rencontrer et faire les idiots ensemble sur un piano. » La motivation de Parker se trouve dans la fierté de sa lignée et de son entraînement : « La musique est ma vie et ma religion. C’est la raison pour laquelle je respire. Je veux transmettre cette émotion à mes élèves. »

Scott Feltham, contrebassiste à l’Orchestre symphonique de Montréal depuis 1999, est lui aussi strict sur le fait que ses enfants soient assidus. « Aucun enfant n’a envie de pratiquer, dit Scott. Ils commencent à moins détester ça quand ils voient des résultats. Tout a changé pour moi quand je suis devenu un assez bon pianiste pour jouer du Bach. » C’est un point intéressant : si on persévère assez longtemps, la musique devient sa propre récompense. Au sujet des filles de Lai, il dit : « Si elles prennent des leçons depuis six ans, elles sont probablement proches de pouvoir jouer de la vraie musique » plutôt que des versions édulcorées d’œuvres classiques. « Elles ne connaissent même pas encore la musique, sa profondeur émotionnelle. »

Les parents et les professeurs partagent le même rôle, à savoir garder l’enfant motivé et mettre en avant ses réussites. « La musique est incroyablement complexe, dit Feltham. C’est difficile pour des enfants de savoir où ils vont. » Il suggère de mettre en place un objectif, comme le certificat de niveau 8 du Conservatoire royal de musique ou la fin du secondaire, avant de les autoriser à laisser tomber.

J’ai également demandé à mon amie Dorothy Stavrinos, qui enseigne le piano de façon privée depuis plusieurs années et qui est mère de deux adolescents. En tant qu’aînée parmi quatre filles, les leçons de piano étaient obligatoires jusqu’à la fin du secondaire. « C’était simplement quelque chose que l’on faisait, quel que soit notre talent », dit-elle. Elle a aujourd’hui fondé sa propre famille et elle joue et écoute régulièrement de la grande musique dans sa maison. L’apprentissage de la musique est ainsi devenu une « extension naturelle » pour ses enfants. Sa fille est restée au piano tout en ajoutant le violon, et son fils s’est épanoui à travers la guitare et le saxophone. Maintenant, elle a du mal à le faire arrêter de jouer.

Même si Stavrinos n’est pas du genre à aimer les transcriptions simplifiées pour piano de chansons populaires, elle en voit néanmoins l’utilité lorsqu’un de ses élèves apporte une chanson d’Avril Lavigne ou Adele. « L’élève n’a peut-être pas envie d’être identifié à la musique classique parce que ses amis ne le sont pas. » Mais plutôt que de jouer simplement la partition, elle les met au défi. « Essayons de la faire à l’oreille. Chante-la moi et on va essayer de trouver comment la jouer au piano ensemble. »

Il est également possible d’alléger le rythme. « Les adolescents veulent beaucoup en peu de temps, dit Stavrinos. Proposez-leur de ne pas s’exercer aussi longtemps chaque jour, mais de continuer à aller prendre leurs leçons. Demandez au professeur s’il est d’accord avec ça. »

Finalement, comme Feltham le dit : « Apprendre à jouer de la musique est un don que vous faites à vos enfants. Vous leur donnez la chance d’exprimer différemment ce qu’ils ressentent. » Voilà peut-être la meilleure raison qui soit pour continuer de prendre des leçons de musique, surtout pendant ces années d’adolescence.

Traduction : Fabrice Petit


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(c) La Scena Musicale 2002