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La Scena Musicale - Vol. 18, No. 2 octobre 2012

Critiques

1 octobre 2012

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Version Flash ici.

Aquarelles
Valérie Milot, harpe
Analekta AN 2 9986 (61 min 59 s)

5/6
Dans un précédent enregistrement consacré à la musique de chambre avec harpe, Valérie Milot avait agréablement surpris par sa virtuosité assurée. Elle faisait regretter que le répertoire soliste de son instrument, plus difficile qu’il n’y paraît, ne fût pas plus riche. Or, dans le présent CD, l’amateur trouvera des transcriptions de quelques titres célèbres pour piano – les trois Gymnopédies de Satie, le Clair de lune de Debussy, le troisième des Liebesträume de Liszt, Zaragoza d’Albéniz –, chacune évocatrice à sa manière et faisant oublier l’original, contrairement à celle de La Moldau de Smetana qui manque trop de couleur. Trois œuvres plus rares et plus complexes de la première moitié du siècle dernier font entendre un autre langage : Images, Suite no 4 (1932) en trois mouvements de Marcel Tournier, Pour le Tombeau d’Orphée (1950) de Marius Flothuit et Légende (1901) d’Henriette Rénié. Leur écriture, qu’on pourrait tenir pour plus idiomatique, exploite les ressources tant musicales que techniques d’un instrument trop souvent confiné à son immersion dans un flot orchestral. Une découverte. Alexandre Lazaridès

Amor Y Guerra
Musique espagnole de la Renaissance
Ensemble Alkemia

3/6
L’ensemble Alkemia de Montréal a enregistré à l’église Saint-Germain d’Outremont ce disque consacré au manuscrit espagnol Chansonnier du Palais. Les quatre chanteurs de l’ensemble (soprano, alto, ténor et basse) s’accompagnent eux-mêmes sur divers instruments anciens. On parle ici de flûtes à bec, chalumeaux, vielles à roue et de percussions. Le manuscrit du 16e siècle nous permet de découvrir de fort belles pièces vocales solos ou polyphoniques. L’interprétation est juste et sans faille, enthousiaste et recueillie à la fois. Mais ces artistes talentueux auraient mérité une meilleure production d’ensemble pour un premier disque. Il est quelquefois dommage d’entendre certaines textures « cartonnées » au plan des voix. Est-ce dû à la prise de son ou au montage numérique ? Un peu plus de moyens financiers aurait été bienvenu. On imagine ici quelle réussite complète aurait eu l’ensemble avec des maisons de disques prestigieuses comme ATMA, Analekta ou encore Fidélio. René F. Auclair

En rêves : mélodies de Schumann, Ravel, Ropartz et Dove
Philippe Sly (baryton-basse) et Michael McMahon (piano)
Analekta AN2 9836 (64 min 8 s)

5/6
Le baryton-basse Philippe Sly a raflé la majorité des honneurs lors de l’édition 2012 du Concours Musical International de Montréal, impressionnant tant le public que les critiques. Personnifiant Cadmus dans Semele lors de sa prestation avec le COC Ensemble Studio, il s’est distingué par sa maîtrise vocale et son charisme en scène. Il s’est joint au prestigieux Adler Fellowship de l’Opéra de San Francisco et sa carrière s’annonce des plus prometteuses. Ce premier album est une belle façon de faire connaissance avec cette voix. On y retrouve les Dichterliebe de Schumann que Sly chante brillamment et avec la sensibilité d’un poète. Pour une voix de baryton-basse, Sly fait preuve d’une belle amplitude vocale dans les aigus et sait pousser un vibrant la aigu dans Ich grolle nicht avec une aisance déconcertante. La tessiture étendue du Don Quichotte à Dulcinée de Ravel ne lui fait pas peur. Reste à voir comment évoluera la voix magnifique de ce jeune chanteur, voix qui, à présent, est qualifiée de baryton-basse. Après tout, il n’a que 23 ans ! Les autres pièces de l’album sont moins connues : six mélodies de Ropartz basées sur des poèmes de Heine, lesquels ont également inspiré Schumann pour ses Dichterliebe, et les Three Tennyson Songs composées par Jonathan Dove pour Philippe Sly. Le pianiste, Michael McMahon, joue en maître, soutenant à merveille le chanteur. Le livret contient la biographie des artistes, un essai rédigé par Lucie Renaud et quelques mots du chanteur – mais hélas, il n’y a ni les textes ni la traduction. Il s’agit vraiment de l’album révélation de 2012. Joseph K. So

Evocation
David Rogosin, piano
Taiga Records TR-112 (68 min 9 s)

3/6
David Rogosin est professeur à l’Université Mount Allison au Nouveau-Brunswick. Il est aussi pianiste. Evocation est son deuxième enregistrement sur étiquette Taiga. Le répertoire choisi est très large, parcourant à la fois le temps et l’espace dans une sorte de regard panoramique surdimensionné. L’Europe côtoie le Nouveau Monde, le baroque voisine le classicisme, l’impressionnisme ainsi que la musique contemporaine. Les trois petites sonates de Scarlatti ainsi que celle de Haydn (no 62) démontrent un bon sens de la rigueur et de l’équilibre, bien qu’aucune réelle « vision » de cette musique ne soit ici révélée. C’est compétent, sans plus. M. Rogosin (comme le laisse deviner le titre de son disque) semble plus inspiré par les atmosphères évanescentes et subtiles des univers colorés d’Albéniz (Evocacion), Mompou (La Fuente y la Campana) et, surtout, Ravel (très joli Jeux d’eau). Il donne vie avec aplomb à l’Étude de Sonorité no 2 de Morel, et est indéniablement un partisan convaincu de la musique d’Ann Southam (Simple Lines of Inquiry et Rivers) qu’il interprète avec inspiration. La prise de son manque un peu de recul, nous laissant occasionnellement submergé dans une masse sonore quelque peu opaque. Frédéric Cardin

Incandescence
David Rogosin, piano
Taiga Records TR-105 (77 min 12 s)

4/6
Le professeur de piano de l’Université Mount Allison au Nouveau-Brunswick, David Rogosin, vient tout juste de publier un enregistrement intitulé Evocation, mentionné ailleurs dans cette page. Tant qu’à faire un peu de lumière sur cet artiste canadien assez méconnu, il serait approprié de glisser quelques mots sur son enregistrement précédent, paru en 2005. Sur ce disque, enregistré en 2003 au studio Glenn Gould de Toronto, Rogosin s’attaque au répertoire qui lui sied le mieux, le romantisme et la musique du 20e siècle. Il est plutôt convaincant dans les quatre pièces de Brahms choisies ici. L’Intermezzo en si bémol op. 76 no 4 ouvre le programme avec retenue alors que le Capriccio en fa dièse mineur op. 76 no 1 le suit et révèle une belle fluidité du discours. L’Intermezzo en la, op. 118 no 2et la Ballade en sol mineur op. 118 no 3 sont particulièrement beaux et bien exécutés. Solide technique et indéniable musicalité en font deux plages à réécouter plus souvent. Les Danses populaires roumaines de Bartók bénéficient d’une lecture enjouée de circonstance alors que les Vingt regards sur l’enfant Jésus de Messiaen (7 extraits seulement) permettent à M. Rogosin de montrer l’étendue de son talent de coloriste ainsi que sa puissance sonore. Dans les Quaderno Musicale di Annalibera de Luigi Dallapiccola, Rogosin fait assez bien ressortir le lyrisme dodécaphonique particulier du compositeur italien. Frédéric Cardin

Reger : Violin Sonatas, Op. 3 & 41 - Albumblatt – Romanze
Ulf Wallin, violon; Roland Pontinen, piano
CPO (64 min 36 s)

5/6
Il y a plus de dix ans, le violoniste suédois Ulf Wallin et son compatriote Roland Pontinen ont décidé de se consacrer à l’intégrale des sonates et œuvres pour violon de Max Reger. Avec ce nouveau disque dédié aux deuxième et troisième sonates, leur voyage tire presque à sa fin. Au fil des années, les musiciens sont littéralement devenus des experts de la musique de chambre du compositeur allemand. Et cela paraît dès les premières minutes d’écoute. Il ne s’agit pas ici d’une formation créée à l’improviste, mais plutôt d’un duo solide qui a sans doute déjà passé un nombre incalculable d’heures à répéter et encore répéter. Leur jeu est précis, et ce, dans tous les mouvements. Ce disque est encore une fois un pur bonheur pour les oreilles du début à la fin. Il permet d’apprécier une formation instrumentale particulièrement prisée par Reger. La prise de son parfaite, quant à elle, aide à apprécier chaque note. Philippe Michaud

Schoenberg : Complete Songs
Claudia Barainsky et Melanie Diener, sopranos; Anke Vondung, mezzo-soprano; Christa Mayer, contralto; Markus Schäfer, ténor; Konrad Janrot, baryton; Urs Liska, piano
Capriccio 7120 (4 CD : 4 h 43 min 40 s)

6/6
Les lieder d’Arnold Schoenberg demeurent d’une quantité négligeable encore aujourd’hui sur les scènes musicales et même dans l’univers discographique. Peut-être est-ce dû à la crainte de plusieurs de se retrouver face à une multitude de Pierrot lunaire miniatures ! C’est malheureux, car ils sont pour la plupart très accessibles et ont été en majorité composés au début de la carrière du compositeur. Les styles évoqués vont du romantisme de la jeunesse au post-wagnérisme des années de formation jusqu’à la densité de l’esthétique des Gurrelieder. Quelques cycles seulement, dont le plus important est Das Buch der hängenden Gärten (le Livre des jardins suspendus), utilisent l’atonalisme comme moyen expressif, mais sont loin d’être aussi rébarbatifs que cela laisserait supposer. Dans ce superbe coffret, somptueusement documenté, on découvre une pléthore de mélodies de la fin des années 1890, en plus de la version originale des Gurrelieder, pour voix et piano, datant de 1901.  Quelques chants de cabaret, en plus de plusieurs cycles de trois à huit morceaux, complètent un parcours complet fascinant qu’il est difficile de trouver sur le marché dans une production aussi soignée. La qualité des interprètes ne fait aucun doute et la prise de son est excellente. Essentiel. Frédéric Cardin

Bach : Florilège pour clavier (« Best of Glenn Gould’s Bach »)
Glenn Gould, piano
Sony 8872421762 (2 CD : 156 min 40 s; DVD : 57 min 55 s)

5/6
Glenn Gould s’est éteint à Toronto le 4 octobre 1982, à l’âge de cinquante ans. Pour commémorer sa disparition, Sony avait récemment réuni en coffret trois DVD déjà connus, dont l’un, inoubliable, était consacré aux Variations Goldberg filmées en 1981 par Bruno Monsaingeon. Voici maintenant deux CD et un DVD glissés dans les pochettes d’un petit livre joliment relié et illustré de dix-huit photos du pianiste canadien, dont quelques-unes assez rares. Quant à la musique proprement dite, rien de bien nouveau, puisque le DVD répète les mêmes Variations Goldberg et que les CD reprennent des enregistrements anciens, dont quelques-uns apparaissent dans le coffret précité. Leur programme est certainement généreux mais plutôt fourre-tout. On y entend beaucoup d’extraits, des Inventions et du Clavier bien tempéré en particulier, mais aussi quelques œuvres en entier, comme la Première Partita, la Troisième Suite anglaise et le Concerto en fa mineur. Le survol de la carrière de Gould montre que son art était présent d’emblée, encore que ses excentricités stylistiques continuent d’en agacer plus d’un. Elles ont au moins le mérite d’obliger à écouter Bach autrement, pourrait-on dire. À côté d’une Fantaisie chromatique jouée sans état d’âme (et sans la Fugue !), que d’éblouissements tout de même ! Alexandre Lazaridès

Sons du nord : deux siècles de musique canadienne pour piano
Elaine Keillor, piano
Gala Records Gala-108 (4 CD : 5 h 2 min 19 sec)

4/6
Professeure et chercheuse à l'Université Carleton, la pianiste Elaine Keillor propose une véritable anthologie du répertoire du piano canadien, regroupant des œuvres datant de 1807 à 2010. L'entreprise est, jusqu'à un certain point, didactique, notamment parce que la quasi-totalité des trois premiers disques est constituée d’œuvres publiées par la Société du patrimoine musical canadien. Si l'ambition anthologique est en soi intéressante, le résultat musical est malheureusement inégal. Le premier disque est loin d'être exaltant (sauf pour les sympathiques ragtimes qui terminent ce volet) et les autres disques proposent un choix d’œuvres allant des plus intéressantes aux plus banales. On est d'ailleurs étonné d'y retrouver des œuvres somme toute mineures de compositeurs majeurs (telles des œuvres de jeunesse de Rodolphe Mathieu, Violet Archer et Claude Champagne) et on déplore quelques absents notoires (André Mathieu, Harry Somers, François Morel...). Néanmoins, ce voyage à travers notre répertoire national est intéressant et nous fait découvrir ici et là des œuvres qui devraient être plus souvent présentées dans les récitals. Pour le survol historique, les amateurs de piano seront ravis, de même que l'auditeur curieux de découvrir notre répertoire national. Éric Champagne

DVD

Récital : Beethoven, Chopin, Schubert, Debussy
Menahem Pressler, piano
Idéale Audience 3079664 (DVD : 88 min)

3/6
Menahem Pressler, c’est bien sûr et surtout le remarquable chambriste qui, de son clavier, pendant plus d’un demi-siècle a insufflé au Trio Beaux-Arts l’élégante brillance qui en a fait la réputation. Depuis trois ans, la formation n’existant plus, Pressler a renoué avec sa carrière initiale de concertiste. Entre autres, il donnait à Paris, le 23 mars 2011, un récital à la Cité de la musique. On est ému de voir ces mains d’octogénaire s’agiter sur le clavier. Il faut tout de même reconnaître que Pressler n’y est pas à son meilleur. La fluidité lui fait défaut, et les œuvres de longue haleine manquent de souffle sous ses doigts. La conduite de la Sonate op. 110 de Beethoven et de l’ultime sonate de Schubert laisse à désirer pour cette raison, en dépit de l’émotion que le pianiste y met. Elles semblent faites de pièces habilement cousues. Les Estampes de Debussy ne possèdent pas non plus le soyeux voulu, et les quatre pièces de Chopin s’oublient assez vite. Malgré tout, merci à Menahem Pressler. Alexandre Lazaridès

The Goat Rodeo Sessions Live
Yo-Yo Ma, violoncelle; Stuart Duncan, violon, mandoline, banjo; Edgar Meyer, contrebasse, piano; Chris Thile, mandoline, violon, guitare, banjo; Adife O’Donovan, chant
Sony Classical 88691 97465 9 (DVD : 55 min)

4/6
L’intérêt de Yo-Yo Ma pour les musiques traditionnelles du monde entier n’est plus à démontrer. Son projet Silk Road a réussi à créer des ponts autrefois à peine rêvés entre un certain esthétisme de chambre occidental dit « classique » et des traditions musicales brillantes de l’Iran à la Chine en passant par l’Asie centrale et l’Inde. Il a aussi collaboré à plusieurs reprises avec des musiciens country-folk américains. C’est ce qu’il fait ici lors de ce concert enregistré au House of Blues de Boston en janvier dernier. Toutes les compositions sont originales et de la plume des musiciens traditionnels présents (Edgar Meyer, qui est également un intéressant compositeur de musique contemporaine tout à fait « sérieuse », Chris Thile, l’un des meilleurs musiciens « bluegrass » et folk de l’heure et un virtuose du banjo, et Stuart Duncan, un « violoneux » de haute voltige et extrêmement sophistiqué). Une seule pièce est résolument classique : la Sonate pour viole de gambe no 1 de Bach. L’intelligence, le raffinement et l’ouverture d’esprit de ces musiciens transforment ce qui aurait pu devenir un ramassis de clichés populistes en une expérience renouvelée et stimulante de « musique contemporaine » d’un nouveau genre : résolument tonale, ancrée dans les racines de l’Amérique rurale, mais pas moins originale et novatrice. Si vous voulez savoir comment sonne l’une des nombreuses expressions « néo-savantes » destinées à un « public élargi » qui se dessinent dans ce monde postatonal, ce DVD devrait vous en dresser un bon premier portrait. Frédéric Cardin

Blu-ray

Tchaïkovsky : Eugene Onegin
Bo Skovhus (Eugène Onéguine); Andrej Dunaev (Lenski); Mikhail Petrenko (Prince Grémine); Krassimira Stoyanova (Tatiana); Chœur du Nederlandse Opera; Orchestre royal du Concertgebouw/Mariss Jansons
Philipp Fürhofer, décors; Gesine Völlm, costumes
Stefan Herheim, mise en scène
Opus Arte OA BD7100D (151 min + 30 min. bonus)

6/6
Cette production de 2011 du Nederlandse Opera a littéralement fait fureur. La vision originale du metteur en scène Stefan Herheim, bien que controversée pour certains puristes, a illuminé d’une manière tout à fait nouvelle le livret basé sur le classique de Pouchkine. On s’y promène comme dans un kaléidoscope temporel qui nous ramène au début du 20e siècle, pour ensuite passer à la période du communisme soviétique et se terminer à notre époque. Les costumes, somptueux et bourrés de clins d’œil, les décors, enivrants et merveilleusement colorés, et la direction des chanteurs, vivante malgré le côté statique de l’action du livret, rendent cette production inoubliable. Et comme si cela ne suffisait pas, Mariss Jansons tire de l’orchestre néerlandais des trésors de dynamiques et de flamboyance. Les voix des solistes sont impeccables. Du très très haut niveau artistique. Si vous aimez l’opéra en général, et Tchaïkovski en particulier, vous ne pouvez tout simplement pas vous passer de ce spectaculaire Blu-ray. Frédéric Cardin

Traduction : Lina Scarpellini, Jérôme Côté


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(c) La Scena Musicale 2002