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La Scena Musicale - Vol. 18, No. 1 septembre 2012

Debussy : entre impressionnisme et symbolisme

Par Emmanuelle Piedboeuf / 1 septembre 2012

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Si l’on demandait à un mélomane quel compositeur a le plus fortement influencé la musique classique au 20e siècle, il est fort probable qu’il répondrait Stravinski ou Schoenberg. Et sans que cette réponse soit fausse, il ne faut pas oublier que le compositeur qui a fourni la libération stylistique qui a permis à ces compositeurs de créer quelque chose de différent, c’est Claude Debussy, dont nous avons célébré le 150e anniversaire le 22 août.

Ce n’est qu’à partir du moment où il gagnera le prestigieux prix de Rome, en 1884, que Debussy sortira de l’ombre. En effet, ce prix s’accompagnait d’un séjour de trois ans à la Villa Médicis, au cours duquel il devait soumettre une œuvre au Conseil des Arts pour exécution. Au terme de deux ans, il soumettra Le Printemps, œuvre qui sera refusée par le Secrétaire de l’Académie avec une lettre le mettant en garde contre «l’impressionnisme, le plus dangereux ennemi de la vérité artistique». C’est cette mention qui étiquettera Debussy comme un impressionniste aux yeux de l’Europe entière, étiquette contre laquelle il se battra toute sa vie. À sa sortie de la Villa, Debussy fréquentera beaucoup les cercles d’écrivains symbolistes, dont Mallarmé et Pierre Loüys, avec lesquels il partagera plusieurs idéaux. C’est pourquoi François de Médicis, Ph.D. et professeur de musicologie à l’Université de Montréal, croit que «même si Debussy a été associé très tôt à l’impressionnisme musical dans l’imaginaire collectif [et] qu’il appartient à ce mouvement par les thèmes qu’il aborde, […] il est plus près du parti symboliste qu’impressionniste».

Transcendant à la fois l’impressionnisme et le symbolisme, le langage musical de Debussy s’inscrira dans la modernité par son «souci constant d’originalité [et par] le fait qu’il cherchera continuellement à aller de l’avant». Mais cette originalité sera loin d’être irréfléchie puisque, ayant étudié au Conservatoire, le compositeur s’appuiera sur les techniques des maîtres anciens pour soit les pousser à leurs limites, soit les rejeter. C’est ainsi qu’il utilisera le pentatonisme, les gammes par ton et les dissonances non résolues en les sortant du cadre de la tonalité, suspendant de cette façon «le fait de la musique tonale». Ayant voyagé en Russie étant jeune, Debussy présentera aussi «beaucoup d’affinités avec la musique extra-européenne». Ce sont probablement ces voyages qui l’auront préparé pour l’Exposition universelle de 1889, où le gamelan japonais et le théâtre annamite seront pour lui des révélations. En intégrant ces éléments dans son langage, il parviendra à créer un son jusqu’alors inconnu, s’inscrivant à la fois dans « la mouvance de la tradition russe» et dans la lignée de Wagner et donnant l’élan à quelque chose de nouveau, le modernisme.

C’est à la suite de l’Exposition universelle que Debussy écrira l’Après-midi d’un faune et Pelléas et Mélisande, deux œuvres sur des textes symbolistes qui contribueront à le faire connaître à travers l’Europe. Il décidera ensuite de se lancer dans une œuvre plus personnelle, La mer, «[ayant] toujours eu un amour passionné» pour celle-ci. Sous-titrée Esquisses symphoniques et adoptant une forme en trois mouvements, l’œuvre ne rencontrera pas le même succès que Pelléas, en partie à cause d’une mauvaise exécution lors de la première en 1905. On lui suggérera même de ne jouer que le deuxième mouvement, offre qu’il déclinera avec fermeté. Le succès viendra tout de même par la suite et l’œuvre sera acclamée pour sa grande maturité. Aussi caractéristique pour son timbre brillant que pour son aspect mélodique plus étoffé que dans les œuvres de jeunesse de Debussy, La mer apparaît maintenant régulièrement au programme des orchestres symphoniques.

Comme plusieurs compositeurs, Debussy était rarement satisfait de lui-même. Mais il était aussi très exigeant avec les interprètes qu’il choisissait pour ses œuvres et très critique si un détail ne lui convenait pas. Aux répétitions de La mer, il aurait expliqué ce phénomène au chef par le fait «[qu’il] ne sentait pas la musique de la même façon tous les jours». De Médicis explique que contrairement à beaucoup de musiques antérieures, «la musique de Debussy n’a pas de proportion absolue». Elle exige donc à la fois «une grande présence de l’interprète [et] d’être très sensible à l’acoustique». Les interprètes peuvent toutefois se fier aux indications très précises que Debussy a la plupart du temps laissées dans la partition pour avoir une idée de ce qu’il avait en tête. Ce qui n’empêche pas les différences d’interprétation, le meilleur conseil étant alors celui de Debussy, soit de «sentir» la musique, «[puisqu’il] n’y a pas besoin […] que la musique fasse penser les gens».

Bien qu’il se soit battu toute sa vie pour qu’on ne lui attribue pas d’étiquette l’associant aux peintres impressionnistes, c’est probablement cette dénomination qui aura contribué à sa popularité. N’est-il en effet pas plus intéressant d’entendre une impression de la mer peinte en touches de musique qu’une simple mélodie dénuée d’expression?


La mer et Pelléas et Mélisande de Debussy. OSM/Jacques Lacombe, le 13 et 14 septembre. www.osm.ca
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