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La Scena Musicale - Vol. 18, No. 1 septembre 2012

La rencontre de Bach et Chostakovitch : une interprétation d’un chef-d’œuvre qui sort de l’ordinaire

Par David Henkelman / 1 septembre 2012

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Ensemble Caprice
Ensemble Caprice. Photo Ragnar Müller Wille

Selon Matthias Maute, directeur artistique de l’Ensemble Caprice, les Concertos brandebourgeois représentent, à l’instar du mont Everest, un sommet de la musique instrumentale du 18e siècle. Cet ensemble de six remarquables concertos pour instruments variés constitue un monument de l’art baroque. Leur omniprésence s’explique par le fait qu’il s’agit de la suite de concertos qui, sans conteste, compte le plus grand nombre d’enregistrements, mis à part les Quatre Saisons de Vivaldi, et ce, peu importe la période musicale. Lorsque Analekta a proposé à l’Ensemble Caprice de les enregistrer, Maute s’est vite emballé. «Ils nous ont fortement suggéré d’enregistrer l’intégrale des brandebourgeois, rapporte Maute. C’était merveilleux. Comme si c’était Noël!»

Toutefois, les ensembles instrumentaux qui enregistrent ce célèbre ensemble de concertos de Bach se retrouvent indubitablement confrontés à un défi de taille: présenter les concertos de façon vivante en réinventant plutôt qu’en imitant simplement les enregistrements précédents. La solution proposée par l’Ensemble Caprice est novatrice: ponctuer chaque concerto d’une transcription d’une fugue ou d’un prélude de Dmitri Chostakovitch, un compositeur du 20e siècle, et jouer avec les instruments de la période baroque. Cette approche non seulement insuffle de l’originalité aux concertos, mais elle dévoile un paradoxe perpétué à l’insu du « mouvement» de la musique d’époque: en fait, le courant selon lequel on ne doit considérer qu’une certaine période musicale contredit le contexte historique dans lequel ont évolué ces compositeurs. «Cela va à l’encontre de la situation qui a prévalu à l’époque, avance Maute. En ces temps-là, vous deviez vraiment être à l’affût de nouvelles idées, interpréter des œuvres innovatrices et jouer des instruments alors en vogue. Donc, j’ai l’impression que notre perception de la musique d’époque est biaisée.»

Ce projet force les auditeurs à remettre en question leurs idées sur la façon d’interpréter la musique d’époque. Maute est hautement conscient de l’importance de garder en tête cette nouvelle orientation en matière d’interprétation: «Cette “révolution” (le courant d’interprétation authentique de la musique ancienne) est devenue la norme en quelque sorte. Désormais, nous devons être novateurs et trouver de nouvelles réponses aux perpétuelles questions afin de renouveler la musique. À mon avis, il ne suffit pas de regarder le passé.»

À cette fin, l’Ensemble Caprice utilise à bon escient les tempos rapides dans sa version des Concertos brandebourgeois. «Pour moi, il est important que le tempo reflète ce que je ressens et que j’éprouve une connexion», dit Maute. Par ailleurs, il souligne que nombreux sont les enregistrements des Concertos brandebourgeois qui ne respectent pas l’indication alla breve. Par conséquent, le premier mouvement du troisième concerto ainsi que le dernier mouvement du quatrième sont souvent joués trop lentement. «Si on regarde l’arrangement, il y a l’indication alla breve. Pourquoi diable ne ferais-je pas ce qui est écrit ?» se demande Maute.

En plus d’accélérer le tempo, l’ensemble sait restituer avec éclat la dynamique de l’œuvre. Aux dires de Maute, la musique de Bach se distingue par l’articulation rhétorique du discours musical et la répétition de motifs rythmiques. Une des façons de varier les motifs consiste à utiliser la dynamique: «Les figures rhétoriques sont vouées à exprimer une idée, un concept et je crois que chaque figure rhétorique vient avec sa propre dynamique», explique-t-il. Par exemple, le thème d’ouverture du premier mouvement du troisième concerto fait un emploi vivant des différences d’intensité. «Avec une seule ligne musicale, on obtient un dialogue», explique Matthias Maute. À son avis, c’est ce qui explique pourquoi ces concertos possèdent une telle profondeur:«C’est comme une image en trois dimensions. La découverte de la perspective a apporté au monde des arts ce que la dynamique a contribué au monde de la musique.»

Interrogé sur ce qu’il entrevoit dans l’avenir, Maute exprime la nécessité pour les musiciens d’expérimenter diverses approches. «Nous devons trouver quelque chose de nouveau, dit-il, même si nous ignorons pour l’instant ce que ce sera exactement.» En dépit des incertitudes qui planent sur le mouvement de retour à la musique ancienne (ou peut-être à cause de celles-ci), l’Ensemble Caprice poursuit sa mission à caractère poétique: créer des liens et mettre en évidence des points communs là où il ne semblait pas y en avoir. Cette approche, adoptée par certains, décriée par plusieurs, ne peut laisser personne indifférent. En créant quelque chose de nouveau, l’Ensemble Caprice a toujours su réussir brillamment.

www.ensemblecaprice.com


Bach Brandenburg Concertos/Shostakovich Preludes from Op. 87
Ensemble Caprice/Matthias Maute
Analekta
5/6

L’Ensemble Caprice a su faire preuve de créativité et susciter la réflexion en interprétant les Concertos brandebourgeois de Bach, le maître du baroque, en juxtaposant des pièces de Chostakovitch. Ce dernier brille de façon inattendue grâce aux instruments d’époque. Les harmonies, agréables, éthérées, y sont accentuées; la similitude entre les voix et la superposition des lignes mélodiques devient merveilleusement apparente. On peut les apprécier notamment durant le premier mouvement du deuxième concerto où la flûte à bec, le violon, le hautbois et la trompette se livrent à un brillant dialogue. Certes, il faut garder à l’esprit que les tempos vifs sont tout à fait inhabituels. Alors que certains jugeront la vitesse d’exécution des pièces trop rapide, d’autres verront leur oreille s’habituer au point d’apprécier certains aspects de la musique de Bach tels que l’étendue des dynamiques et le discours musical. L’Ensemble Caprice nous invite à remettre en question nos idées sur la façon d’interpréter ces sublimes concertos. L’écoute de cet enregistrement requiert une ouverture d’esprit. Une fois que l’auditeur accepte de faire abstraction des précédentes interprétations, il saura indéniablement apprécier plusieurs éléments dans cet enregistrement imaginatif et puissant.

Traduction : Lina Scarpellini


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