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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 9 juin 2012

Sans tambours mais avec trompettes

Par Marc Chénard / 1 juin 2012

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1- Le cas Collignon : Le provocateur

Dans la faune peuplant le riche terroir jazzistique français, le trompettiste Médéric Collignon (désormais joueur de cornet de poche) compte parmi les bêtes de scène les plus indomptables. Véritable bougie d’allumage, ce musicien dans la jeune quarantaine s’est fait remarquer dans sa patrie au sein de l’Orchestre national de Jazz de France (à deux reprises), du Mega Octet d’Andy Emler et du projet Napoli’s Walls de Louis Sclavis. Depuis 2006, ce coloré personnage au verbe facile et aux propos parfois provocateurs assume ses propres destinées en se consacrant principalement à son quartette Jus de Bocse. C’est justement cet ensemble qui se produira bientôt en tournée pancanadienne incluant un arrêt à Montréal. À ce jour, cette formation a produit deux disques en hommage à Miles Davis : Porgy and Bess, suivi, en 2010, de Shangri-Tunkashi-La (v. critique dans ces pages).
Rejoint au bout du fil en mars dernier, lors d’une séance de mixage de trame sonore à Paris, Collignon explique d’abord le nom du groupe. « Il s’agit d’un jeu de mots, lance-t-il, avec le mot “box”, dérivé des anciennes boîtes sonores couplées aux vieux tourne-disques, et “boxon”, un vieux terme signifiant “fouillis” ou “désordre”. »
Après avoir revu la période plus classique du Prince Noir avec son premier disque, il récidive ici avec une version déjantée de la période électrifiée milesienne des années 1970, incluant des arrangements surprenants comportant une section de quatre cors, une idée qu’il qualifie de « vieux fantasme mahlérien ». Du même coup, ce disque, dont le titre fait allusion au mythique pays de Shangri-La et de la légende indienne de Tunkashila, est chargé d’une signification très symbolique pour lui, qui affirme ne pas faire « de la musique pour les sons, mais pour les symboles. » Interrogé à ce sujet, il dit s’intéresser principalement aux relations posées entre les sons, certes,mais aussi entre les musiciens, le contexte, le public, quitte à s’interroger toujours sur le pourquoi des choses, comme jouer telle note ou telle phrase à tel moment.
Cette recherche se traduit de manière personnelle dans son jeu de cornet (il avoue ici l’influence de Don Cherry, tant sur le plan musical que spirituel), mais aussi dans son travail de chanteur, entamé dès sa jeunesse dans des chorales, mais poursuivi de nos jours à la manière d’un instrumentiste. En ce qui a trait à son mentor Miles Davis, il le qualifie de « bon cuisinier d’ingrédients », ces derniers étant ses musiciens, à qui il demandait d’aller constamment au-delà de leurs réussites.
En concert : 23, Edmonton; 24, Vancouver; 26, Victoria; 27, Saskatoon; 28, Ottawa; 5 juil. Montréal; 6, Québec; 7, Halifax.
À lire : Entrevue complète au http://jazzblog.scena.org

2- Le cas Dörner : L’innovateur discret

Outre le fait qu’il ait lui aussi trouvé sa voie musicale par la trompette, l’Allemand Axel Dörner est à des lieues de son homologue français, et ce, à plusieurs titres. Peu disert, il semble soupeser chaque mot, livrant des phrases aussi concises que celles tirées de son biniou. Il participe volontiers aux projets des autres ou à des collectifs à responsabilités partagées. Résidant à Berlin depuis 1994, ce natif de Cologne compte en effet parmi les musiciens les plus sollicités de la scène des musiques improvisées de notre temps. Il fait partie d’une dizaine de groupes en ce moment, trios et quartettes surtout, mais également des duos ponctuels, et parfois même des concerts en solo absolu où il extirpe tous les sons imaginables de son instrument particulier, le Firebird. Trompette à pistons dotée d’une coulisse, cette pièce de collection, jadis construite pour Maynard Ferguson, permet de jouer des quarts de tons.
Travaillant essentiellement sur le Vieux Continent, il s’est aussi rendu en Asie et deux fois au Canada ces dernières années : en 2009 dans le projet Monk’s Casino (quintette jouant l’intégrale de l’œuvre du pianiste) et, l’année suivante, au sein du mythique grand orchestre de free jazz, le Globe Unity Orchestra du pianiste Alexander von Schlippenbach. Ce mois-ci, il revient chez nous comme membre du sextette de l’altiste néerlandaise Ig Henneman (groupe comprenant les Canadiennes Lori Freedman, clarinettes, et Marilyn Lerner, piano).
Dörner est identifié au domaine des musiques improvisées les plus expérimentales, basées davantage sur la pure exploration sonore que sur le développement d’un discours mélodico-harmonique, Cependant, il maîtrise tout autant le langage du jazz, dans le projet Monk bien sûr, mais aussi dans une toute nouvelle formation, Peeping Tom, un quartette d’instrumentation identique à la formation originale d’Ornette Coleman, mais qui relit des compositions de pianistes bop comme Tadd Dameron, Dodo Marmarosa, même Herbie Nichols. En même temps, il se mesure à des musiciens comme le ténor John Butcher ou le clarinettiste Xavier Charles, un trio de vents dont l’objectif premier est de soutirer des instruments tous les sons autres que les notes habituelles. Par ailleurs, il ne dédaigne pas non plus l’électronique, notamment dans un récent duo avec l’électronicien Jassem Hindi. Bien qu’il sache travailler dans des cadres plus convenus, il en voit aussi les limites. « J’ai compris après un certain temps que le système bien tempéré était trop contraignant parce qu’on arrive toujours à jouer quelque chose de familier. Après tout, il n’y a que 12 notes dans une octave, c’est inévitable, quoi. »                         
En concert : Montréal, 21 juin; Ottawa, 22; Toronto, 24; Banff, 26 et Vancouver, 28.


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(c) La Scena Musicale 2002