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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 9 juin 2012

Critiques

1 juin 2012

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Bach : Variations Goldberg
David Jalbert, piano
ATMA Classique ACD2 2557 (76 min 54 s)
5/6
David Jalbert, professeur à l’Université d’Ottawa, livre une exécution convaincante de ces Variations Goldberg si longtemps négligées, mais qui, depuis environ un demi-siècle, se sont imposées comme un pilier du répertoire pianistique. La discographie est imposante. Destinées à un clavecin à deux claviers, elles présentent des difficultés considérables lorsqu’elles sont exécutées au piano, à cause du chevauchement des mains qu’elles nécessitent alors. Notre pianiste se joue de ces difficultés sans peine, et c’est même dans les variations virtuoses qu’il brille davantage, car celles qui sont plus lentes, plus introspectives, tels certains Canons, sont moins prenantes. La succession étudiée des tempi concourt à l’unité dans la diversité, et les reprises sont partout respectées, sauf au retour de l’Aria, finale magique et apaisant. Les reprises se démarquent parfois par des ornements justes et discrets, comme la période baroque en cultivait. Et quels trilles perlés ! La seule réserve concernerait une certaine absence de fluidité, comme si la lecture verticale ou harmonique de la partition avait pris le pas sur la trame polyphonique. Alexandre Lazaridès

Berlioz : Symphonie fantastique
Orchestre de la Francophonie/Jean-Philippe Tremblay
Analekta AN 2 9998 (53 min 44 s)
4/6
La Symphonie fantastique de Berlioz est une œuvre majeure ayant marqué la musique orchestrale. Aujourd’hui, il en existe des dizaines d’enregistrements sur le marché. C’est, cette fois-ci, le jeune chef Jean-Philippe Tremblay et l’Orchestre de la Francophonie qui nous proposent leur vision de cette œuvre titanesque de cinq mouvements. En 2010, ces interprètes en avaient étonné plus d’un avec leur intégrale des symphonies de Beethoven. Seront-ils capables de nous surprendre encore une fois ? Dès les premières mesures, nous savons que nous sommes en présence d’un orchestre rempli de jeunes musiciens dynamiques et passionnés. Malgré leur jeunesse, ils nous livrent une très bonne interprétation de la symphonie du compositeur français. Cela n’aurait pas été possible sans l’excellent travail de son chef. En guidant et soutenant sa formation, du début à la fin, il arrive à tirer le meilleur de chacun de ses musiciens. Le jeu exemplaire des harpes du deuxième mouvement, ou encore l’éclatant son des timbales du dernier mouvement, en sont des exemples éloquents. La prise de son est, quant à elle, sans fautes, ce qui nous permet d’entendre et surtout d’apprécier le son de tous les instruments, si nombreux ici. Philippe Michaud

Chilcott : Requiem; Salisbury Motets; Downing Service; Pilgrim Jesus; The Nine Gifts; Jesus, springing
Laurie Ashworth, soprano; Andrew Staples, ténor; Jonathan Vaughan, orgue; Wells Cathedral Choir;
The Nash Ensemble

Hyperion CDA67650 (79 min 39 s)
5/6
Bob Chilcott est un chef de choeur anglais qui compose également ses propres œuvres depuis de nombreuses années. Comme John Rutter, Chilcott favorise une approche résolument tonale et mélodique, voire angélique, afin de toucher le plus grand nombre de personnes. Cela frôle parfois la béatitude candide, et l’ensemble ramène inévitablement à Fauré. Mais on ne peut nier la force d’attraction des atmosphères suggérées, ni leur puissance émotive lorsque entendues par monsieur et madame « tout-le-monde ». Sur ce disque, on retrouve aussi les quatre Salisbury Motets et quelques pièces indépendantes qui naviguent toutes dans cet univers musical céleste et teinté d’innocence. Les interprétations sont de très haut niveau, et la prise de son riche et ample. Frédéric Cardin

Chopin : Ballades, Nocturnes, Berceuse, Barcarolle
Louis Lortie, piano
Chandos CHAN 10714 (75 min 16 s)
4/6
Dans ce deuxième volume de l’intégrale Chopin que Chandos a demandée à Louis Lortie, volume au total moins convaincant que le premier, le programme alterne huit pièces, selon des affinités tonales quelquefois approximatives quoique toujours séduisantes, avec le massif des quatre Ballades. L’auditeur y retrouve les qualités du virtuose impeccable qu’est Lortie, pianiste partout admiré, et son souci de la qualité sonore. Si c’est donc la perfection technique qui est recherchée – et elle est nécessaire chez Chopin –, cet enregistrement plaira. Toutefois, le Chopin entendu ici est plus un maître du clavier que son poète; les notes passent ou déferlent sans réellement nous parler, comme si l’éloquence de l’émotion y était jugée de trop, à tout le moins maintenue en retrait, par pudeur peut-être. Si ce choix peut se défendre, il n’en reste pas moins que ce qui est au-delà des notes, ce qui fait le mystère du compositeur, son « âme », diraient certains, toujours à redécouvrir par les interprètes d’un génie, n’est pas présent. Alexandre Lazaridès

Christoph Graupner : Les Sept paroles du Christ en croix
Ingrid Schmithüsen, soprano; Claudine Ledoux, alto; Nils Brown, ténor; Normand Richard, basse; Les Idées Heureuses/Geneviève Soly
Analekta AN29122-3 (2 CD: 125 min 16 s)
2/6
Ce cycle de sept cantates de Graupner (1683-1760) a été exécuté pour la première fois en 1743 pendant la période du carême. Les Idées Heureuses présentent ici, en première mondiale, ces cantates méconnues. Mais l’entreprise en valait-elle vraiment la peine ? La musique de Graupner, malgré sa qualité et son bon goût, n’arrive jamais à atteindre la quintessence d’un Bach ou l’inventivité d’un Telemann. À mi-chemin entre la grande tradition allemande et le nouveau style sensible, Graupner demeure tout de même une figure importante de la musique baroque. Dans cette œuvre intime, nous sommes invités au cœur d’un service religieux où chaque parole du Christ est soulignée par une poésie bien personnelle. Ici, aucune intervention de grands chœurs dramatiques. Les effectifs instrumentaux et vocaux sont réduits à leur plus simple expression. Le tout est interprété avec soin, malgré quelques hésitations de la basse et une prise de son plutôt terne. Par ailleurs, le livret déçoit par un manque évident de moyens. Il n’y a aucune photo ou présentation des solistes qui méritent quand même mieux ! L’intégralité des textes sacrés n’est malheureusement disponible que sur le net. Bref, une production décevante de la part d’Analekta. René F. Auclair

Dvořák : Quatuor Op. 106 / 6 Cyprès / 2 Valses
Cecilia String Quartet
Analekta AN 2 9892 (58 min 4 s)
5/6
Le Cecilia String Quartet est un jeune quatuor à cordes qui a le vent dans les voiles. L’ensemble, qui a déjà récolté quelques prix prestigieux, dont le premier prix au Concours international de quatuor à cordes de Banff en 2010, nous propose un premier album chez Analekta consacré à Dvořák. Outre le Quatuor à cordes no 13 en sol majeur, op. 106, qui occupe la presque totalité de cet enregistrement de près d’une heure, on y retrouve quelques courtes pièces, Cyprès B. 152 et Valses op. 54. Il suffit d’écouter les premières minutes du disque pour comprendre pourquoi la formation, composée de quatre femmes, a été autant récompensée. Les musiciennes sont capables de s’écouter et, surtout, de dialoguer entre elles pour nous livrer une interprétation remarquable des œuvres du compositeur tchèque. Chacune d’entre elles joue avec brio, sans pour autant voler la vedette aux autres. Bref, cet album est un vrai plaisir pour les oreilles. Philippe Michaud

Johann Sebastian Bach : Nouveaux Concertos Brandebourgeois, Reconstruction de Bruce Haynes
Bande Montréal Baroque/Eric Milnes
ATMA Classique ACD2 2565 (63 min 44 s)
4/6
Ces « nouveaux » concertos sont en fait des adaptations de pièces instrumentales et vocales de Bach reconstruites par le regretté hautboïste Bruce Haynes. Ces concertos « découverts sur le Plateau Mont-Royal » (citation humoristique de la gambiste Susie Napper lors de leur création en 2011), sont loin d’être une simple plaisanterie ! Le travail méticuleux des transpositions et le choix judicieux des différentes pièces sont en continuité avec l’œuvre célèbre du Cantor. Dans ces arrangements, Haynes a respecté le schéma instrumental des six concertos originaux. Il a poussé l’audace en adaptant les parties vocales des chœurs et des solos de certaines cantates en un festin concertant particulièrement bien rendu par les vents. Les arias retrouvent ainsi une nouvelle vie. On peut citer en exemple le fameux duo de la cantate bwv 78 transformé en un joyeux dialogue pour flûtes à bec. Reconnues pour leur pouvoir chantant, les violes de gambes produisent aussi un bel effet dans le dernier concerto sur un air tiré de la cantate bwv 80. La partie d’alto de la cantate bwv 74 est complètement transformée en plusieurs voix instrumentales et on s’étonne que tout cela fonctionne à merveille ! Une très agréable réussite. René F. Auclair

Le Roi de la flûte : Musique de la cour de Frédéric le Grand
Emmanuel Pahud, flûte; Trevor Pinnock, clavecin; Jonathan Manson, violoncelle; Matthew Truscott, violon; la Kammerakad3mie Postdam
EMI Classics 50999 0 84230 2 3 (CD 1 : 67 min 56 s, CD 2 : 78 min 29 s)
5/6
Le titre de ce récent album fait allusion tout à la fois à Frédéric de Prusse, grand amateur de musique et lui-même bon flûtiste, dont 2012 est le tricentenaire de naissance, et à Emmanuel Pahud, flûtiste suisse jugé roi de son instrument par beaucoup. À ses qualités incontestées de virtuose, Pahud ajoute des dons de musicien capable de saisir non seulement le style d’une époque – disons de la fin du baroque au début des Lumières –, mais aussi celui d’un compositeur. De plus, les notes de programme qu’il a signées pour l’occasion révèlent un esprit brillant auquel les complexités de la relation entre musique et société n’échappent pas. Il a voulu le démontrer en musique et en deux CD. Le premier réunit quatre concertos. Celui de C.P.E. Bach, Wq168/H438, paraît plus plein, plus inspiré que ceux de Benda, de Quantz ou de Frédéric II qui le suivent. On y entend des accents qui annoncent d’autres temps. Pour ces œuvres concertantes, la Kammerakademie Postdam fournit au soliste un soutien solide, mais parfois raide. Le second CD regroupe des sonates tantôt pour flûte seule (C.P.E. Bach) tantôt pour flûte et basse continue (Anna Amalia de Prusse, Agricola, Frédéric II, C.P.E. Bach). Les domine de haut la sonate en trio de l’Offrande musicale dont on sait que le thème avait été fourni à Jean-Sébastien Bach par le « roi de la flûte » en 1747. Toujours égal à lui-même, Pahud aurait mérité ici une basse continue plus éloquente. Alexandre Lazaridès

Mozart : Concertos pour piano nos 20 et 21
Jan Lisiecki, piano; Orchestre symphonique de la Radio bavaroise/Christian Zacharias
Deutsche Grammophon 4790061 (59 min 35 s)
2/6
Le très jeune Canadien d’origine polonaise Jan Lisiecki et le vétéran allemand Christian Zacharias réussissent un tour de force rare, celui de banaliser deux chefs-d’œuvre de Mozart. Le fait est d’autant plus surprenant que Lisiecki, invité partout, est lauréat de plusieurs concours internationaux, et Zacharias, décidément meilleur pianiste que chef d’orchestre, un fin mozartien doublé d’un grand schumannien. Les transitions abruptes, les ralentissements et accélérations injustifiés, les phrasés banals, les arpèges sans éloquence abondent ici. Les mouvements lents en souffrent plus particulièrement. Les triolets de l’andante du K. 467 tiennent du martèlement métronomique, sans évoquer en rien la respiration, le pouls vital de cette page sublime. Dans le Concerto en ré mineur, la romance est prise si rapidement que toute émotion en est bannie, alors que sa partie médiane tourbillonne à vide, tel un exercice de vélocité. Les bois de l’orchestre sont plus aigres qu’acidulés, et les plans sonores mal définis. Tant Lisiecki que Zacharias ont fait mieux, beaucoup mieux ailleurs. Alexandre Lazaridès

Schumann : Piano Concerto
Angela Hewitt, piano; Deutsches Symphonie-Orchester Berlin/Hannu Lintu
Hyperion CDA67885 (62 min 2 s)
4/6
Mieux connue pour sa maîtrise de Bach, Hewitt se débrouille fort bien dans le répertoire romantique. Ses aptitudes personnelles s’adaptent sans effort apparent : son phrasé est clair, quoique fluide, ses tempi sont calmes et bien calculés, son timbre est doux et feutré. Peut-être même trop doux; il faut être capable de passion débridée pour exprimer avec justesse l’esprit schumannien, ce dont ses fortissimi sont exempts. Pis encore, ce défaut semble infecter l’orchestre, qui ne fait guère mieux. Admettons néanmoins que les interprètes visaient à créer un caractère intimiste, plus près de la musique de chambre. Si cette approche ne plaira pas à tous, elle réussit quand même à nous présenter les trois œuvres au programme sous un éclairage d’un raffinement sans ostentation. René Bricault

The Golden Age of String Quartets: Mozart K465 “Dissonance” / Haydn op.33 no2 “The Joke” / Beethoven op.18 no4
Windermere String Quartet
Pipistrelle Music PIPO112 (73 min 10 s)
4/6
Trois œuvres pour quatuor à cordes par trois grands maîtres de l’époque classique. Chacune d’elle porte un difficile processus de composition. Mozart a décrit ses quatuors dédiés à Haydn comme « mes six enfants […] qui sont le fruit d’un long et laborieux travail ». Haydn a attendu près de dix ans avant d’écrire son op. 33. Quant à Beethoven, il a travaillé plus de deux ans à son opus 18 avant de le publier en 1801, après plusieurs brouillons rejetés. Les musiciens du Windermere (basé à Toronto) se sont mis eux aussi à la tâche pour exécuter ces chefs-d’œuvre. Ils ont fait un travail remarquable tant au plan de l’exécution que de la compréhension musicale de ces riches partitions. Les instruments d’époque sont joués avec une précision infaillible. Chaque note est à couper au couteau et analysée scrupuleusement. Oubliez les quatuors traditionnels soulignant à gros traits rugueux chaque mesure, ainsi que les grands vibratos expressifs des cordes. Le Windermere Quartet suggère la musique plutôt que de nous l’imposer. La vision d’ensemble est éthérée et légère. Les différentes voix sont très bien captées dans l’espace sonore et clarifient les contrepoints. Un premier disque fort bien réussi. René F. Auclair

William Lawes : Royall Consorts
Consort Les Voix Humaines (David Greenberg, Indrid Matthews, Olivier Brault, violons baroques; Susie Napper, Margaret Little, violes de gambe; Stephen Stubbs, Sylvain Bergeron, théorbes)
ATMA Classique ACD2 2373 (2 CD : 129 min 30 s)
6/6
William Lawes (1603-1645) fut considéré en son temps comme « The Father of Musik ». Il composa de magnifiques pièces pour consort de violes, un genre typiquement anglais. Teintés de chromatisme et d’harmonies audacieuses pour son temps, les Royall Consorts furent les plus connus du compositeur. Les Voix Humaines ont enregistré les dix Setts qui contiennent en tout 66 pièces diverses, dans une version pour deux violons, deux basses et théorbes. Des ensembles aussi prestigieux que Hesperion XX, Fretwork ou Rose Consort of Viols ont aussi gravé ces œuvres, mais en utilisant des dessus et basses de violes. Ces instruments produisent des sonorités fragiles et austères. En jouant sur des violons et violes de gambe baroques, l’ensemble montréalais donne à ces partitions de nouvelles couleurs. Le résultat est remarquable. En fait, cette version surpasse de loin tout ce qui a été fait jusqu’à présent. Les cordes sont chaudes et expressives. La mélancolie, la tendresse, la contemplation, la joie et la danse… tout devient vivant ! On se laisse bercer par ces divertissements divins. Les voix se répondent l’une à l’autre dans un mouvement incessant. Les musiciens, au sommet de leur art, sont en fusion constante. Un album magnifique. René F. Auclair

Ysaÿe: Six Sonatas for Solo Violin op. 27
Tai Murray, violon
Harmonia Mundi (68 min 48 s)
6/6
Les six sonates d’Eugène Ysaÿe datent de 1924 et constituent un véritable monument du répertoire soliste pour le violon. Elles sont, bien entendu, un hommage à Bach, comme probablement toutes les œuvres pour corde soliste depuis. Le corpus d’Ysaÿe est une véritable étude en extrêmes émotifs. La violoniste Tai Murray aborde ces sonates avec beaucoup d’intensité. Elle mord dans les passages ardus et caresse les épisodes introspectifs. Voilà une jeune artiste qui n’a pas froid aux yeux (ces sonates sont très difficiles à jouer) et qui a raison d’être audacieuse. À surveiller. Frédéric Cardin

Air – The Bach Album
Anne Akiko Meyers, violon; English Chamber Orchestra/Steven Mercurio
One Sphere Classique SPHCD5607 (69 min 43 s)
3/6
La particularité de ce disque réside dans le fait que la violoniste a enregistré les deux parties du Concerto pour 2 violons BWV 1043, sur deux Stradivarius qui plus est ! En dehors de ce fait d’arme technologique plus qu’artistique, ses lectures du répertoire proposé ici (les concertos 1041 et 1042, en plus d’arrangements de l’Air sur la corde de sol et du largo du Concerto pour clavier BWV 1056) sont soignées et somptueuses, mais manquent d’imagination. On est en territoire archi-connu : une jeune virtuose fait étalage de son talent, de sa technique bien rodée et même d’une musicalité sensible. Mais on retient l’impression d’une recette bien apprise. La musique classique souffre de plus en plus du syndrome de l’emprisonnement entre l’arbre et l’écorce. Soit on respecte le texte, mais on a toutes les chances de n’être qu’un diamant parmi des milliers d’autres, soit on ose vraiment déranger et on risque le mauvais goût ou, malheureusement, l’éclair de génie ignoré par un establishment de puristes. En attendant de résoudre la quadrature du cercle, on ne pourra pas considérer cette lecture comme essentielle. Frédéric Cardin


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