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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 7 avril 2012

Une autre microtonalité : Le système Bohlen-Pierce

Par Marc Chénard / 1 avril 2012

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Comparaison des systèmes occidentale et Bohlen-Pierce. Image par Adam Norris.


L’histoire de la microtonalité remonte peut-être jusqu’aux origines de la musique. Dans les traditions musicales non occidentales, la musique carnatique indienne ou les mélismes arabes, par exemple, la microtonalité est très répandue. La musique de concert européenne, par contre, est fondée sur des tons fixes rapprochés de pas plus d’un demi-ton et elle est maintenant jouée généralement à un tempérament égal de douze tons, ce qui a effectivement supprimé les petits écarts de tons. Bien que toujours marginale, la microtonalité est de plus en plus acceptée dans notre culture, comme on peut le voir par le nombre grandissant d’œuvres qui explorent les nuances de timbres. Le Russe Ivan Wyschnegradsky était un véritable pionnier: il a composé des pièces pour un ou deux pianos accordés en quarts de tons. De nos jours, il existe même des festivals consacrés à la microtonalité et certaines pièces demandent un accordage en huitièmes ou en seizièmes de tons!

Une découverte surprise 

Dans les annales de la microtonalité, le système de Bohlen-Pierce est une création assez récente. Tout d’abord, il a été conçu par un ingénieur, Heinz Bohlen, plutôt que par un musicien. Au début des années 1970, ce spécialiste allemand en communications et expert dans le domaine des micro-ondes avait offert ses services à la Musikhochschule de Hambourg pour enregistrer les concerts de ses étudiants et professeurs. Bohlen voulait savoir pourquoi leur musique était créée à partir d’une octave de 12 intervalles. Les musiciens, qui ne savaient trop que répondre aux interrogations de Bohlen, semblaient plus intéressés à s’en servir qu’à remettre en question ce principe fondamental.
En consultant la documentation, il trouvera sa réponse dans la relation des intervalles qui forment un rapport 4:5:6 (fondamentale, tierce et quinte). En manipulant les niveaux de hauteur et en établissant un autre rapport (3:5:7), il produit une nouvelle gamme de 13 notes échelonnées sur une tessiture de douzième, plutôt de celle que l’octave habituelle. Dans ce système, chaque intervalle de deux notes équivaut à ¾ de ton dans notre gamme diatonique. Cela veut dire que l’on requiert trois demi-tons (3 x ½) pour produire une tierce mineure (do, ré, mi b), alors qu’il ne faut que deux tons du système Bohlen-Pierce pour obtenir ce même intervalle, ou du moins quelque chose qui lui ressemble. Afin de démontrer sa découverte, Bohlen a décidé de construire un orgue électronique, mis au point après un an de travail et avec le concours d’autres ingénieurs. En 1974, il a convaincu un organiste professionnel d’essayer son prototype. Le musicien a pu trouver des accords quand même agréables à l’oreille en dépit d’un son assez primitif.  Toutefois, sa découverte n’a pas été vraiment endossée  par la communauté musicale, ne dépassant pas les pays germanophones.

Coups du hasard

Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Kees van Prooijen, aux Pays-Bas, était ingénieur comme Bohlen, mais formé en théorie musicale. En 1978, indépendamment de son homologue allemand, il a proposé une version tempérée de la même gamme qui permettait des consonances inscrites dans des harmoniques à plus haute fréquence. Étrangement, à la suite d’un curieux hasard, il ne publiera ses découvertes qu’au milieu des années 1990.
C’est à ce moment qu’entre en scène John Robinson Pierce, le deuxième découvreur «officiel» du système. Ce Californien était également un ingénieur, reconnu en fait comme le père du satellite de communication et le parrain du transistor. Mais il était armé de solides connaissances théoriques en musique et en acoustique. C’est en 1984, peu de temps après avoir publié ses recherches faisant état de la même découverte, qu’il prend connaissance du travail de Bohlen. Les deux noms seront alors associés pour désigner la gamme. Autre ironie du sort, ces trois hommes vivaient à quelques kilomètres les uns des autres, dans les environs de San Francisco, durant les années 1990. Bohlen et van Prooijen ne se sont pourtant rencontrés qu’une seule fois, en 1996, alors que Pierce a maintes fois refusé de les rencontrer pour d’obscures raisons.
Le système de Bohlen-Pierce a toutefois mis du temps avant de s’intégrer dans le champ de la création musicale. En effet, c’est en 2008, à l’Université de Guelph en Ontario, que se déroula le premier concert entièrement composé d’œuvres écrites dans le système de Bohlen-Pierce. Un des morceaux au programme était d’ailleurs signé par un compositeur et percussionniste montréalais,Todd Harrop. Pour ce qui est des instruments, un luthier de Boston fabrique des guitares accordées en Bohlen-Pierce et Stephen Fox de Toronto a fabriqué une douzaine de clarinettes, dont un modèle ténor unique en son genre et jouée par Nora-Louise Müller de Lübeck en Allemagne.


• Découvrez les clarinettes de Stephen Fox dans un article en ligne sur le blogue du magazine au blog.scena.org (en anglais).
• Découvrez l’histoire du système de Bohlen-Pierce au www.huygens-fokker.org/bpsite (anglais)
Traduction: David-Marc Newman


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