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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 7 avril 2012

Une histoire condensée du contre-ténor

Par Daniel Taylor / 1 avril 2012


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Dans les archives : LSM 7.7 Avril 2002

Malgré la confusion qui semble régner à l’égard de la définition de la voix de contre-ténor, le dictionnaire Oxford Concise Dictionary la décrit de façon assez claire: «n. Voix aiguë, à ne pas confondre avec la voix masculine alto, de fausset ou de castrat, et dotée d’une forte pureté de ton, presque instrumentale.»

L’utilisation du terme «contre-ténor» remonte à de nombreux siècles. Au treizième siècle, le cantus était la deuxième ligne de chant juste sous le tenor, tandis que la voix la plus aiguë s’appelait le superius. Au quatorzième siècle, on ajouta un contrepoint mélodique dit «contratenor». Au milieu du quinzième siècle, on divisa le contratenor en contratenor bassus (voix basse) et contratenor altus (voix plus aiguë), et à l’aube du seizième siècle le terme contratenor était devenu obsolète. C’est à cette époque que le latin commença à perdre de sa popularité et par la suite, le contratenor devint haute-contre en France et alto en Italie, tandis qu’en Angleterre le terme contre-ténor fut adopté.

Il y a une soixantaine d’années, Alfred Deller et Russell Oberlin ont ravivé l’importance de la contribution et du rôle des contre-ténors dans l’interprétation des répertoires des dix-septième, dix-huitième et vingtième siècles. Suivant les conseils du compositeur britannique Michael Tippett, Alfred Deller fut celui qui décida d’utiliser le terme contre-ténor pour décrire sa voix étonnante, qui atteignait une tessiture d’alto.

Deux approches principales

Comme dans toute catégorie de voix, les chanteurs ont la possibilité d’utiliser des approches très différentes dans leurs productions vocales. Aujourd’hui, il existe essentiellement deux types de contre-ténors; le premier est basé sur le chant de fausset alors que le second ne l’est pas. Le terme «fausset» fait référence à l’effet produit lorsque la circulation d’air crée un trou au milieu des cordes vocales. On utilise surtout les sinus qui servent de foyer pour la résonance et le son est ensuite produit par la vibration des tissus situés de part et d’autre des cordes vocales (se référer au livre de Peter Giles sur les techniques de base du contre-ténor). D’autres contre-ténors font vibrer leurs cordes vocales de la même façon que le font la plupart des autres chanteurs. Afin d’illustrer ce phénomène, Andreas Scholl et moi nous sommes fait filmer les cordes vocales à l’aide d’un laryngoscope. Dans notre cas, comme dans celui de tout autre type de voix, les sons sont produits lorsque les cordes vocales sont étirées, et donc amincies, au fur et à mesure que la hauteur tonale augmente, ce qui permet une plus grande étendue de la voix normale.

On établit généralement le développement des deux approches aux influences anglaise et nord-américaine. En 1970 en Angleterre, James Bowman est monté pour la première fois sur les planches du London’s Coliseum avec une apparence distinguée, incarnant Athamas dans le Semele de Hændel. Il a amené un fausset caractéristique produit environ une octave au-dessus de sa voix parlée. Pendant la même décennie en Amérique du Nord, le son très guttural de Jeffrey Gall a caractérisé l’approche américaine de la voix de contre-ténor. Sa voix est produite en ramenant la majorité des cordes vocales ensemble et en leur permettant de vibrer. Il a été le premier grand contre-ténor à paraître au Metropolitan Opera (d’ailleurs, au faîte de sa carrière il rivalisait avec Marilyn Horne) et ce faisant, il fit comprendre que les contre-ténors n’étaient plus cantonnés à de minuscules théâtres. Drew Minter, autre Américain très prolifique dont la technique ressemble davantage à celle de Bowman qu’à celle de Gall, a prêté son intelligence artistique à des douzaines d’enregistrements d’Harmonia Mundi et a redonné sa vitalité à la voix de contre-ténor en Amérique du Nord. Nous avons maintenant en Amérique du Nord des chanteurs tels que David Daniels, Derek Ragin, Bejun Mehta, David Walker et Brian Asawa. En Europe et en Asie, nous assistons aux prouesses des Michael Chance, David Cordier, Yoshikazu Mera, Andreas Scholl, Jochem Kowalski, Gerard Lesne, Carlos Mehna et la liste est longue encore.

Au Canada, Theodore Gentry (davantage un son mezzo) a beaucoup accompli pour les jeunes contre-ténors d’opéra en tirant grand parti de son imposante présence sur scène et de sa voix frappante. Le pays a ensuite eu le bonheur d’entendre la voix magnifique d’Allan Fast–une carrière au potentiel énorme, tragiquement écourtée par sa mort prématurée. Allan Fast avait un instrument de sensibilité et de gloire. Il était peut-être le premier Nord-Américain à tenter de marier les goûts vocaux des deux continents en faisant alterner une richesse dans le vibrato et un timbre direct. On se souvient de lui pour son expressivité ardente dans l’enregistrement de cantates de Bach par Rifkin chez Decca.

Le vibrato dans la musique baroque

Tout chanteur, avec de la pratique, peut chanter un vibrato. La faculté de produire ce qui est essentiellement une note tremblante contrôlée peut se développer à l’aide de certains exercices, comme on peut le faire pour un non-vibrato direct. Il est en fait question de circulation d’air.

Nombreux sont ceux qui ignorent que le vibrato est une technique qui se produit de façon naturelle. L’appliquer à la musique correspond, pour le peintre, à mettre de la couleur sur son canevas. Il revient à l’artiste de sélectionner les couleurs à utiliser, et l’intensité de ces couleurs. Une chanson qui exprime la pureté de l’intention ou du désir pourrait être interprétée avec moins de vibrato, alors que le sommet de l’extase pourrait être chanté avec davantage de vibrato. Mais d’autres chanteurs pourraient ressentir exactement l’effet inverse, et c’est là où la sensibilité artistique entre en jeu. L’aria Aus liebe, pour soprano et flûte, est souvent mieux exprimée sans vibrato (écoutez Emma Kirkby ou Nancy Argenta), tandis que certaines arias de Hændel semblent demander davantage de vibrato (écoutez Ewa Podles ou Anne Sophie Von Otter). Ce qu’il convient de se rappeler, c’est qu’aucune version n’est «exacte». Tout chanteur qui possède une bonne technique peut ouvrir ou fermer le vibrato. Un vibrato constant n’est pas nécessairement synonyme de qualité d’un chant, mais un chant complet sans vibrato ne reflète pas l’étendue d’une bonne technique de baryton. Ce qui compte en général, c’est l’intention et l’exactitude de l’intonation.

Une bonne technique mène au talent artistique, l’oreille et la motivation du chanteur guidant la phrase musicale. Le chanteur ne devrait pas tant écouter sa voix que se concentrer plutôt sur une plus grande conscience de ce qui doit s’exprimer à travers la musique.

Concernant le talent de chanteur

Y a-t-il une façon particulière de chanter pour obtenir le son de contre-ténor? La simple réalité est que, comme pour toutes les autres voix, un bon chant de contre-ténor se fonde sur les principes de base d’un chant sain: respiration «vitale», articulation naturelle, bonne utilisation du corps combinée avec la liberté et la · · facilité que nous associons à une communication efficace et profonde. L’objectif est d’aller au-delà de nos limites physiques afin d’atteindre le juste milieu entre humanité et vérité. Cela ne revient pas à dire que le chant est un phénomène purement spirituel, car évidemment la voix est également un instrument acoustique et physique qui repose sur la coordination de la résonance, de l’air et des vibrations des cordes vocales.

Voici ce vers quoi nous travaillons:

  1. La clé réside dans une bonne inspiration: un sens accru de la respiration qu’on obtient par la diminution de la tension du torse et par une meilleure élasticité et une coordination grâce à des exercices de base d’inspiration et d’expiration (cela donnant la respiration «vitale»);
  2. La prévention d’attaques en coup de glotte spécifiques qui provoquent une fatigue vocale;
  3. La combinaison d’un bon usage du diaphragme, de l’espace intercostal et de la clavicule;
  4. Une utilisation stable de l’appareil vocal (c’est-à-dire la relaxation de la tension du cou, du visage et de la mâchoire);
  5. Une aisance dans l’utilisation des registres vocaux (c’est-à-dire que chaque note a son propre registre). On ne devrait pas encourager les étudiants à éviter une méthode garantie au profit d’une autre (autrement dit, il faut s’éloigner du professeur qui jure qu’il n’y a pas de «masque» ou de «voix de poitrine»).

Ce qu’il y a de si remarquable à propos de la voix de contre-ténor est que malgré toutes ces différences, l’ambition de produire de beaux sons et une belle musique demeure au cœur du processus créatif.

Traduction: Marie Line Perrier Legris


(c) La Scena Musicale 2002