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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 4 décembre 2011

Critiques

1 décembre 2011

English Version...


Version Flash ici.

A Napoli
Marc Hervieux, ténor; Louise-Andrée Baril, piano et arrangements orchestraux
ATMA Classique ACD2 2620

L’un des ténors aux talents les plus variés du Canada, Marc Hervieux est à l’aise dans plusieurs styles, de l’opéra et l’oratorio à la musique populaire, en plus de s’être illustré dans la superproduction de l’opéra rock Starmania. Il a enregistré chez ATMA un disque d’airs d’opéra avec Yannick Nézet-Séguin et un album de Noël. Celui-ci est son troisième, une collection de quinze chansons napolitaines accompagnées par dix musiciens québécois dirigés par Louise-Andrée Baril. Ces chansons lui vont comme un gant, étant donné son timbre de ténor robuste et absolument italien qui parfois nous rappelle un jeune Domingo. Non, tout n’est pas parfait, les passages et les aigus peuvent sembler un peu inconfortables, même que, parfois, il chante en « crooner », mais il interprète tout avec passion et enthousiasme, deux qualités bienvenues dans ce répertoire. Mme Baril s’occupe des arrangements orchestraux. Quelques fois, on frise le sirupeux et le sentimental, mais c’est très napolitain ! Au fait, Hervieux a dédié l’album à Jacqueline Desmarais, philanthrope musicale dont il fut l’un des protégés depuis le début de sa carrière. Les admirateurs de Hervieux trouveront que ce disque est fort divertissant et qu’il ferait un excellent cadeau de Noël. Joseph K. So

Bach : Cantates BWV 54 et 170/Suite en la mineur BWV 1067/Double Concerto BWV 1060
Daniel Taylor, contre-ténor; Tafelmusik/Jeanne Lamon
Analekta AN 2 9878 (68 min 46 s)

Analekta nous offre ici deux des plus belles cantates pour alto de Bach. « Repos béni » BWV 170 pour hautbois d’amour, orgue obligé et cordes, nous fait immédiatement entrer dans un état de grâce qui se prolongera jusqu’à la fin de ce disque magnifique. Quelles belles sonorités, ombres et lumières qui caressent l’âme, larmes et joies inspirées par un moment divin! Daniel Taylor chante avec grand art et une maîtrise parfaite de sa voix pure. Le contre-ténor semble s’abandonner complètement à la musique. « Résiste au péché » BWV 54 est traitée avec le même soin. Plus de staccato des cordes aurait mieux souligné le texte, mais la richesse sonore nous envahit et la raison capitule. La suite BWV 1067 est ici interprétée dans une version pour violon et cordes. Quelle grâce dans le rondeau ! Quelle tendresse dans la sarabande ! Jeanne Lamon conduit son ensemble (un instrument par parties) avec tant de savoir-faire qu’on en oublie complètement la version pour flûte traversière. Le BWV 1060 est aussi tout à fait superbe. Soulignons par contre la piètre qualité visuelle de la pochette, pas du tout à l’image des interprètes qu’elle représente. René F. Auclair

Bartók: Violin Concerto No. 1/Violin Concerto No. 2/Viola Concerto
James Ehnes, violon et alto; BBC Philharmonic/
Gianandrea Noseda
Chandos CHAN 10690 (77 min 45 s)

Le violoniste canadien James Ehnes s’est rapidement hissé au rang des plus grands violonistes du monde. Il se sent à l’aise dans un vaste répertoire et joue avec autant de maturité que de virtuosité. Cet album tout Bartók est probablement l’un de ses meilleurs jusqu’à maintenant; il y fait des prouesses au violon comme à l’alto. Le Concerto pour violon no 2 de Bartók est le concerto pour violon de Bartók, et est reconnu partout comme un chef-d’œuvre du vingtième siècle. Le Concerto pour violon no 1, l’une des premières œuvres du compositeur, jouit d’une moins grande popularité. Le deuxième concerto est une pièce beaucoup plus variée et originale, mais le premier a un charme bien à lui et mérite d’être joué plus souvent. Ehnes les interprète tous les deux sur le Stradivarius « Marsick » de 1715 avec un son extrêmement riche et une grande compréhension du phrasé. Noseda et son orchestre sont merveilleux et la qualité sonore du disque est excellente.
Le Concerto pour alto est resté inachevé à la mort du compositeur. Or, Tibor Serly en a fait une version à partir d’esquisses, et c’est celle qu’Ehnes utilise. Il interprète fort bien cette belle pièce. Paul E. Robinson

Brahms on Brass: Waltzes Op. 39/Ballade in D minor Op. 10 No.1/Eleven Chorale Preludes Op. 122
Canadian Brass
Opening Day ODR 7415 (50 min 25 s)

L’ensemble Canadian Brass (CB) est maintenant l’un des plus vieux de ce genre. Après quarante ans, il n’est pas surprenant qu’il y ait eu des changements au sein du groupe. Aujourd’hui, il ne reste que le tubiste Chuck Daellenbach comme membre fondateur. Les critères de sélection élevés n’ont pas changé, eux, et la polyvalence incroyable est restée intacte.
Mais... Brahms joué par des cuivres ? Tout un album ? Le Canadian Brass a toujours été innovateur dans son choix de répertoire, mais ici on va un peu trop loin. L’inclination du compositeur pour le contrepoint et sa préférence pour les couleurs plus sombres jurent avec un arrangement pour cuivres. Par contre, j’ai été agréablement surpris par les Valses op. 39, composées à l’origine pour piano quatre mains. Elles ont été arrangées par deux trompettistes du CB, Chris Coletti et Brandon Ridenour. Cette musique fait partie des pièces de Brahms plus légères, et le CB l’interprète avec un sens du style merveilleux. Les trompettes sont bonnes et le tout sent bien le rythme et le phrasé.
L’autre œuvre majeure, les onze Préludes de choral op. 122, est arrangée par Ralph Sauer. Voilà du Brahms pur et dur et, même dans leur version originale à l’orgue, ces préludes ne sont pas faciles à écouter. Dans l’arrangement pour cuivres, la partie de trompette est plutôt maladroite et les notes de pédale, toutes naturelles à l’orgue, deviennent ici un problème majeur. Paul E. Robinson

Bruckner: Symphony No. 4 “Romantic”
Orchestre Métropolitain/Yannick Nézet-Séguin
ATMA Classique ACD2 2667 (69 min 47 s)

Yannick Nézet-Séguin enregistre lentement mais sûrement toutes les neuf symphonies de Bruckner, et voici le dernier fascicule. Encore une fois, la qualité de jeu et de la direction étonnent. L’Orchestre Métropolitain joue tout aussi bien que la plupart des grands orchestres qui ont enregistré ces œuvres. On doit attribuer une bonne partie du mérite aux musiciens, mais Nézet-Séguin établit la norme et impose une vision aussi exacte que sensible. Le chef d’orchestre se sert de l’édition de 1936 de Haas, qui est la version la plus répandue. Nézet-Séguin n’ajoute aucune surprise interprétative. Il fait une lecture mûrie de l’œuvre et soigne le tempo, les nuances et l’équilibre, tout en faisant monter les points culminants avec goût et noblesse. Puisque nous avons récemment entendu Nagano et l’OSM interpréter cette pièce dans la nouvelle Maison symphonique, les comparaisons nous viennent facilement en tête. Les deux orchestres jouent bien sûr très bien, et Nagano est un brucknérien beaucoup plus expérimenté que Nézet-Séguin. N’empêche, je donnerais l’avantage à Nézet-Séguin pour son interprétation plus joyeuse et exubérante que celle de Nagano. Le son de l’enregistrement d’ATMA plaît et il a été pris dans l’église Saint-Ferdinand. Paul E. Robinson

Bruckner: Symphony No. 7
Bayerisches Staatsorchester/Kent Nagano
Sony 88697909452 (64 min 17 s)

Il n’y a pas si longtemps, Kent Nagano a dirigé l’OSM dans la Symphonie no 4 de Bruckner dans la nouvelle salle de Montréal. Cette interprétation et le présent enregistrement montrent une vision constante dans l’art de jouer et diriger Bruckner. Dans les deux cas, l’orchestre joue très bien et l’équilibre est méticuleusement calibré. Or, chacune des prestations, bien qu’elles soient fort admirables et agréables, semble avoir écarté l’essentiel. Où est toute la force de ces points culminants brucknériens ? Où est la vie intérieure de la musique ?
Nagano semble presque désolé des nuances extrêmes de la musique. Pour lui, il est plus important que l’on puisse tout le temps entendre chacun des instruments, même si quelques-uns ont manifestement plus à dire que d’autres. Nagano se montre particulièrement prudent avec les trompettes. On les entend rarement dans ces interprétations de Bruckner, même lorsqu’elles jouent la mélodie ou animent le rythme des points culminants.
La qualité sonore de cet enregistrement est excellente, et la prestation devant public a eu lieu dans la cathédrale de Gand en Belgique, le 23 septembre 2010. D’autres chefs d’orchestre tirent davantage de cette musique. Paul E. Robinson

Colinda – Noëls de Provence
Strada
Analekta, AN 2 9840 (40 min 49 s)

Voici un disque tout chaud de la maison Analekta, juste à temps pour Noël. Le groupe Strada, qui fait revivre les plus belles traditions musicales des quatre coins de l’Europe, présente cette fois ces chants de Noël de Provence, élaborés autour des Noëls de Notre-Dame des Doms, manuscrit du 17e siècle conservé à la cathédrale d’Avignon. Avec leurs instruments de musique anciens, et accompagnés par le musicien virtuose Miquèu Montanaro, les chanteurs du groupe Strada, au son de cette musique polyphonique, transportent l’auditeur aux temps anciens des fêtes du solstice d’hiver. Bien loin des disques populaires des Noëls modernes, cet enregistrement de voix claires et de musique vive et joyeuse saura bien accompagner les préparatifs des fêtes et les soirées de retrouvailles de ce temps hivernal. Francine Bélanger

Convivencia
La Mandragore
Fidelio Musique FACD031 (55 min 2 s)

Convivencia peut se traduire par convivialité ou cohabitation. L’ensemble montréalais La Mandragore, spécialisé dans la musique médiévale, tente de faire revivre cette époque lointaine de l’Espagne où différentes cultures réunies ont vécu ensemble dans la paix. C’est dans la région de l’Andalousie qu’ont cohabité juifs, musulmans et chrétiens entre 929 et 1031.C’est ce qu’on appelle le califat de Cordoue. La musique présentée ici se veut un hommage à cette époque bénie. Plusieurs pièces sont des adaptations de textes séfarades, arabes et même français, la plupart provenant des 12e et 13e siècles. Certaines plages du disque sont de nouvelles compositions d’inspiration médiévale des musiciens de l’ensemble, tous excellents. L’utilisation anachronique d’instruments divers qui n’existaient pas à cette époque a de quoi étonner ! Pour l’exégèse musicale, on repassera. Toutefois, le résultat d’ensemble est plus qu’agréable. C’est un festin exotique pour l’oreille et le cœur. Les voix, les instruments et même les tambours sont très bien rendus par une prise de son de grande qualité. Quel bonheur d’entendre ces sonorités qui nous transportent au loin ! Dans le passé, dans un monde de rêve, dans une Andalousie mythique… René François Auclair

Franck, Debussy, Poulenc : Sonates
Anne Gastinel, violoncelle, Claire Désert, piano
Naïve V 5259 (61 min)
From Here on Out: Muhly, Greenwood, Perry
Kitchener-Waterloo Symphony/Edwin Outwater
Analekta AN 29992 (68 min 34 s)

Trois jeunes compositeurs sont représentés sur ce disque de l’orchestre symphonique de Kitchener-Waterloo, dont deux issus de l’univers du rock dit alternatif, soit Jonny Greenwood (du groupe Radiohead) et Richard Reed Parry (d’Arcade Fire). Curieusement, l’œuvre la plus consonante et « accessible » est celle écrite par le seul compositeur de formation « classique », Nico Muhly, basé à New York. Sa pièce From Here on Out procède d’un type de modernisme américain post-impressionniste qui est très agréable. Les textures sont toujours kaléïdoscopiques, mettant en contrepoint lumineux les différents instruments de l’orchestre de façon très définie. Hautbois, flûte, violon, percussions à clavier, tout s’entremêle de façon évocatrice. Il y a très peu de blocs sonores, et jamais de sections utilisées comme masse. Tout est diaphane et scintillant. Cette musique me fait penser par moments à celle du Russe Valentin Silvestrov. C’est très joli. À l’autre bout du spectre, Jonny Greenwood propose, avec Popcorn Superhet Receiver un hommage bien senti à Penderecki, du moins celui des années 1960 et 70, des quarts de tons grinçants et de la dissonance sans compromis. Puis, Richard Reed Parry y va d’une œuvre intrigante où les musiciens, connectés à des stéthoscopes, suivent les rythmes sonores de leur corps. For Heart, Breath and Orchestra, malgré son caractère aléatoire, est agréable et même ludique. Frédéric Cardin

Grands Trios avec Piano : Mozart, Beethoven, Schubert, Mendelssohn, Chostakovitch
Gryphon Trio
Analekta AN 2 9510-8 (9CD)

L’ensemble canadien Gryphon Trio a enregistré pour Analekta un vaste répertoire de musique de chambre. Les enregistrements représentent bien l’évolution du trio pour piano de la période classique au préromantisme. Pourquoi alors avoir écarté les trios de Haydn que l’ensemble a déjà gravés ? On aurait aimé sa présence au coffret autant que celle d’un Chostakovitch qui, malgré sa musique saisissante, vient troubler l’unité. Ce choix s’explique mal… Mais cela n’enlève rien aux interprètes. Le coffret rend hommage à l’excellence de la formation. De Mozart à la presque intégrale Beethoven (particulièrement bien réussie) en passant par Schubert et Mendelssohn, la qualité musicale est constamment présente. Le jeu au piano de Jamie Parker est superbe et toujours inspiré. Les violon et violoncelle, jouant sans trop de vibrato, soutiennent de manière discrète le pianiste, sans jamais d’agressivité excessive. Ainsi, le son de l’ensemble est agréable et chaleureux. Les solistes n’ont ni la dureté ni la passion fiévreuse du Trio Borodin (Chandos). Mais à défaut d’être contrasté à l’extrême comme le sont d’autres ensembles, le Gryphon Trio nous fait passer des moments exquis, le cœur et l’esprit sont parfaitement comblés. René F. Auclair

Handel: Streams of Pleasure
Karina Gauvin, soprano; Marie-Nicole Lemieux,
contralto; Il Complesso barocco/Alan Curtis
Naïve V5261

Ce nouvel album de Haendel avec Karina Gauvin et Marie-Nicole Lemieux, enregistré en Italie tôt cette année, s’intitule Streams of Pleasure. Quel titre adéquat ! Avec les cordes vocales de ces deux premières dames du chant classique canadien, tout le plaisir est pour nous ! Le disque comprend une sélection généreuse de quinze arias et duos et de neuf oratorios de Haendel, tous composés entre 1744 et 1750, la dernière période créatrice du compositeur. Quelques-uns sont bien connus (Judas Maccabaeus, Hercules, Theodora), les deux derniers sont même parfois mis en scène comme des opéras; d’autres (Susanna, Joseph and his Brethren) sont relativement méconnus. Gauvin a un son lisse et doux, et la contralto Lemieux a une sonorité opulente, résonnante et puissante. Leurs voix se mélangent à merveille dans les quelques duos; il est difficile d’imaginer que l’on puisse mieux chanter To thee, thou glorious son of worth et Streams of Pleasure ever flowing, deux airs de Theodora. Si seulement tous les chanteurs avaient une diction anglaise aussi impeccable que la leur ! Alan Curtis a travaillé en profondeur avec les deux Canadiennes, et sa direction incisive et fidèle est fantastique. Le tout comporte de l’information utile : un essai instructif, une biographie des chanteuses, les paroles en français et en anglais et, le meilleur, quatre photos des deux femmes prises lors des séances d’enregistrement. La qualité sonore est de premier ordre. À mon avis, ce disque sera un concurrent féroce pour le titre de disque de l’année dans la catégorie vocale/oratorio. Joseph K. So

Human Misery-Human Love - Beethoven: Symphony No. 9 in D minor Op. 125 “Choral”
Erin Wall, soprano; Mihoko Fujimura, mezzo-soprano; Simon O’Neill, ténor; Mikhail Petrenko, basse; Chœur de l'OSM et Tafelmusik Chamber Choir/Ivars Taurins, chef de chœur invité; Orchestre symphonique de Montréal/Kent Nagano
Analekta AN2 9885

En septembre dernier, l'OSM a célébré l'ouverture de sa nouvelle salle, la Maison symphonique, en jouant la Neuvième de Beethoven. Analekta a sauté sur l'occasion pour l'enregistrer afin d'inclure cette interprétation à son projet actuel : l'enregistrement de toutes les symphonies de Beethoven avec l'OSM et Nagano. Or, Analekta ne se contente pas de laisser la musique parler d'elle-même. Chacun des fascicules porte un titre philosophique. Le disque de la Neuvième s'intitule « Human Misery-Human Love », titre qui laisse perplexe. L'explication de Nagano dans le livret d'accompagnement est encore plus obscure, et les mots de Yann Martel ajoutent à la confusion.
En revanche, très peu de chefs d'orchestre atteignent le niveau de clarté qui est habituel chez Nagano, et son interprétation de la Neuvième est remarquable à tout point de vue. Chaque détail a été poli et équilibré, et l'OSM joue à merveille. Le tempo, le phrasé, le vibrato et l'équilibre sont fidèles au style de l'époque, ce qui veut dire que cette interprétation de la Neuvième est « moderne » comparée aux versions plus vieux jeu de Toscanini, Walter, Klemperer ou Karajan. Malheureusement, ce choix interprétatif implique qu'il n'y ait pas de réelle fougue beethovénienne. La Neuvième de Nagano ressemble plus à un plan qu'à une véritable exécution.
Les solistes semblent suivre un tout autre chef d'orchestre. En effet, leur sonorité et leur phrasé sont beaucoup plus traditionnels que ce que Nagano a en tête. Quant au chœur, il chante en étant très fidèle au style de l'époque et semble tenu en laisse.
Si vous aimez l'approche de Nagano, cette prestation est un triomphe pour l'OSM et son chef. Sinon, tournez-vous vers Blomstedt, qui a récemment enregistré la Neuvième. (Profil Hänssler CD PH11009). Paul E. Robinson

Jeffrey Ryan : Fugitive Colours
Gryphon Trio, Vancouver Symphony Orchestra/
Bramwell Tovey
Naxos 8.572765 (69 min 13 s)

Avec cette parution, Naxos inaugure sa nouvelle série Classiques Canadiens, notre pendant national de la série American Classics, déjà fort populaire et très variée. La venue d’une telle série est des plus prometteuses pour la diffusion de la musique d’ici, surtout quand on connaît l’immense réseau de distribution de Naxos ainsi que sa banque de musique en ligne. Pour l’instant, une seule parution est disponible, mais il est à espérer que cette collection suivra la même orientation que sa consœur du sud, c’est-à-dire qu’elle proposera autant des œuvres contemporaines que de la musique plus ancienne, jalons d’un patrimoine à promouvoir et à diffuser. Pour l’instant, il nous est donné d’apprécier trois œuvres de Jeffrey Rayn, un compositeur de Vancouver qui manie un langage accessible à une recherche constante de couleur instrumentale chatoyante. Le poème symphonique The Linearity of Light et la symphonie Fugitive Colours sont très intéressants et envoûtent l’auditeur. Le triple concerto Equilateral est quant a lui un peu plus étrange : on y entend à la fois du Vivier et du Chostakovitch! Néanmoins, la dynamique entre les trois solistes et l’orchestre est sentie. Les interprètes sont excellents et soutiennent avec rigueur et passion ces œuvres créées en collaboration étroite avec le compositeur. Éric Champagne

Johann Christian Bach: Missa da Requiem
Lenneke Ruiten, soprano; Ruth Sandhoff, alto; Colin Balzer, ténor; Thomas E. Bauer, basse; RIAS Kammerchor; Akademie für Alte Musik Berlin/Hans-Christoph Rademann
Harmonia Mundi HMC 902098 (74 min 55 s)

Quelle merveilleuse découverte ! Le plus jeune Bach a écrit ici l’une de ses plus belles œuvres. Bien que relativement traditionnel dans son architecture, ce Requiem se démarque par son expression lyrique italianisante, lumineuse et superbement équilibrée. C’est à Milan que Bach composa cette Missa da Requiem peu attentive à la rigueur de la forme, car seules les parties Introitus, Kyrie et la Sequenz (déclinée en douze parties) s’y retrouvent. Les solistes bénéficient de partitions aérées et parfois enlevantes qui offrent plusieurs occasions de briller, ce qu’ils ne manquent pas de faire. En prime, Hans-Christoph Rademann nous propose un Miserere en si bémol majeur, composé à Milan également. On perçoit dans cette œuvre la source du Johann Christian Bach à venir, le symphonisme émergent, la clarté de l’expression et la puissance des affects suggérés. La direction de Rademann est soignée, convaincante et radieuse. Magnifique, à tous points de vue. Frédéric Cardin

Mahler : Lieder
Julie Boulianne, mezzo-soprano; Marc Bourdeau, piano; Ensemble Orford/Jean-François Rivest
ATMA ACD2 2665 (56 min 45 s)

Le mérite de cet enregistrement est de faire connaître une version de chambre de deux recueils de lieder mahlériens. Leur réduction instrumentale est due à Arnold Schoenberg (1920) pour les Lieder eines fahrenden Gesellen et à Reinbert de Leeuw (1991) pour les Kindertotenlieder. Schoenberg a réussi son coup, et, de leur côté, Julie Boulianne et l’Ensemble Orford rendent bien l’esprit populaire ou nostalgique des « chants d’un compagnon errant » composés en 1884-1885. Mais une quinzaine d’années plus tard, l’écriture de Mahler est plus liée que jamais aux couleurs des instruments. Est-ce pour cela que leur réduction s’en trouve moins convaincante ? Elle sonne par moments comme une vague parodie de l’original, tel le début de In diesem Wetter, in diesem Braus. L’auditeur n’est guère ému par ce joyau noir incrusté dans le chef-d’œuvre. De plus, la mezzo-soprano semble moins à l’aise dans ce cycle. Le programme est complété par cinq lieder, d’un caractère tantôt convenu, tantôt torturé, d’Alma Mahler. Julie Boulianne les rend avec aisance, accompagnée au piano par Marc Bourdeau. Alexandre Lazaridès

Mozart : Dissonances
Quatuor Ebène
Virgin Classics 5 0999 070922 2 0 (71 min 5 s)

Le jeune quatuor français Ebène, dont l’intérêt pour le crossover musical a consolidé la réputation, soutient que, dans le style mozartien, la dissonance est « un signe de maturité », ce qu’il a voulu illustrer en enregistrant deux des quatuors dédiés à Haydn, ceux en ré mineur et en do majeur, et le Divertimento KV 138, pourtant bien antérieur. L’exécution est, à l’évidence, calculée, sinon millimétrée; les indications dynamiques sont scrupuleusement rendues, dans des tempi en général plus lents que ceux que l’on entend d’habitude. Mais il est bien connu que le respect de la lettre, en soi louable, n’assure guère l’esprit d’une œuvre. Celui qui prévaut ici, par une emphase qui exclut la spontanéité et par le choix de souligner partout les effets, semble étranger à un compositeur aimé pour des qualités contraires. Le quatuor en ré mineur, cri du cœur étreignant, en souffre plus que celui des « Dissonances ». Une prise de son très rapprochée produit par moments l’impression d’une composition aux dimensions symphoniques, avec un violoncelle énorme. Reprenons maintenant les « vieux » Italiano : quel chant fluide, naturel, émouvant ! Alexandre Lazaridès

Mozart: Piano Concertos nos 6, 8 & 9
Angela Hewitt, piano et dir.; Orchestra da camera di Mantova
Hyperion CDA67840 (75 min 23 s)

Angela Hewitt se lance dans une intégrale des concertos pour piano de Mozart, après avoir bien servi l’œuvre de Bach, entre autres. Elle amorce la lecture de ce corpus imposant par les premiers concertos véritablement « adultes » de Mozart. À travers ces trois partitions enjouées et faussement juvéniles, Hewitt fait preuve d’une technique impeccable, agréablement allègre sans être précipitée, et d’un touché perlé et précis, tel qu’on l’a connu dans ses interprétations de Bach. L’orchestre italien qui l’accompagne est bien équilibré et sensible aux dynamiques imposées par la soliste. La prise de son favorise un piano posté bien au devant de l’orchestre, mais cela sans disproportion inconvenante. Aucune véritable révolution dans cette approche, mais une exécution solide, bien mesurée et, surtout, très plaisante. Vraiment joli. Frédéric Cardin

Musica Vaticana : Musique Polychorale
Studio de musique ancienne de Montréal/
Christopher Jackson
ATMA ACD2 2508 (57 min 5 s)

Les œuvres présentées ici proviennent presque toutes de compositeurs italiens qui furent directeurs de la Cappella Giulia à Rome entre 1600 et 1743. L’autre chapelle bien connue dans la ville éternelle fut, bien entendu, la Sistina. Ici, cependant, nous ne sommes pas à Rome, mais bien à l’église Saint-Augustin de Mirabel, dont la sonorité chaude et feutrée a été très bien captée. Les voix riches de l’ensemble possèdent dans ce lieu une grande douceur d’expression qui plonge l’auditeur dans la contemplation et l’admiration. Les parties vocales se répondent à tour de rôle dans un doux balancement perpétuel. Les 16 voix du SMAM sont assez bien représentées dans l’espace sonore, ce qui nous permet de « visualiser » sans trop de difficulté les différentes voix et d’en apprécier le contrepoint. Les solistes sont regroupés en 3 ou 4 chœurs distincts et sont accompagnés quelques fois par une basse continue (violoncelle, harpe et orgue). Par contre, deux motets de Benevoli sont pour trois et quatre sopranos solistes. Ils sont brillamment exécutés avec des mélismes joyeux d’une grande virtuosité. À noter aussi la fugue qui termine le Dixit Dominus de Pitoni pour 16 voix en 4 chœurs : un morceau de bravoure ! René F. Auclair

Schnittke : Quatuors 1-4
Quatuor Molinari
ATMA ACD22634 (2 CD; 103 min 20 s)

Si le Quatuor Molinari n’atteint pas les sommets de puissance dramatique du Kronos Quartet ou de précision chirurgicale du Arditti String Quartet, il rivalise avec ces géants— voire les surpasse—du point de vue du timbre (ce qui n’est pas peu dire, tout de même). En effet, la fusion des couleurs instrumentales s’avère si réussie qu’on croirait entendre à l’œuvre un instrumentiste soliste. Ce soliste imaginaire n’est sans doute pas immunisé contre les accrocs et une passion parfois affectée, mais on en compte bien peu qui le soient immanquablement. De toute façon, l’auditeur ne s’attarde pas longtemps aux imperfections, interpellé comme il l’est par les trémolos chatoyants du premier quatuor, la tristesse mélancolique des second et quatrième, les tutti enveloppants du troisième. Si cet imposant répertoire vous intéresse, plongez sans crainte. René Bricault

Schumann: Piano Sonata No. 2 in G minor Op. 22/Fantasie in C major Op. 17
Anton Kuerti, piano
DOREMI DDR-6608

Au cours des dernières années, Anton Kuerti a enregistré une bonne partie de la musique pour piano de Schumann, incluant sa musique de chambre et le Concerto pour piano (CBC SMCD-5218). Dans toutes ces productions, Kuerti a fait preuve d’une grande empathie pour les émotions bipolaires exprimées dans cette musique. C’est le cas ici aussi, mais en plus, il faut souligner une maîtrise remarquable de la subtilité des nuances et des tonalités qui caractérisent la contribution de Schumann au répertoire pianistique.
Les prestations sont incommensurablement mises en valeur par un son de piano riche et clair. Il ne fait aucune doute que l’attention de Kuerti portée à la sonorité de son instrument a quelque chose à y voir, mais il faut aussi reconnaître le mérite des producteurs Jacob Harnoy et Clive Allen. On peut aussi supposer que l’acoustique de l’église unie de Willowdale de Toronto a contribué à cette belle réussite.
L’inclusion du finale original de l’opus 22 est l’une des caractéristiques intéressantes de cet enregistrement. Kuerti a choisi de l’ajouter, disant qu’il s’agit d’un « deuxième scherzo ». Je pense comme lui que la fin du mouvement est trop abrupte pour en faire un finale convaincant. Le deuxième finale rassemble beaucoup plus de puissance. Paul E. Robinson

Honens Laureate Series
1) Bach: Goldberg Variations BWV 988
Minsoo Sohn, piano
2) Debussy/Holliger/Honegger/Ravel
Gilles Vonsattel, piano
3) Hindemith/Schoenberg/Stravinsky/Szymanowski
Evgeny Starodubtsev, piano
4) Schubert: Sonata in A major D.664/
Drei Klavierstücke D.946/Fantasy in C major D.760/
Allegretto in C minor D.915
Georgy Tchaidze, piano

Étant donné les contraintes d’espace et les répertoires extrêmement différents, on se torture à comparer et à classer tous les disques de ce coffret. Qu’il suffise de dire que chaque pianiste y apporte un petit quelque chose d’unique. Au premier rang figurent Minsoo Sohn et son interprétation des Variations Goldberg. Après un fabuleux premier disque des transcriptions de Liszt, Sohn dévoile une autre de ses forces avec une prestation qui rivalise avec les meilleures (oui, même celles de Glenn Gould de 1955 et 1981). La noblesse innée de son phrasé, sa sonorité chantante et surtout son imagination poétique coupent le souffle. Après avoir joué cette œuvre monumentale devant public, il la consigne enfin sur disque. Le programme tout français de Gilles Vonsattel se démarque également. Ce dernier montre une affinité hors du commun pour Debussy et Ravel et il les joue ici avec un son enchanteur, un grande palette de couleurs et un touché magique. Bien qu’elle soit un peu distante, la prise de son légèrement aérienne correspond au style. Comme il est écrit dans les notes d’accompagnement, le premier lauréat de 2009, Georgy Tchaidze, se sent particulièrement attiré vers Schubert et cela paraît. Il rend parfaitement justice à l’ouverture joyeuse et élégante, premier mouvement de la Sonate en la majeur. Là, son tempo animé donne un air de fraîcheur à cette pièce très connue. À mon avis, le jeu de Tchaidze est convaincant dans les morceaux lyriques et introspectifs, alors qu’il tend à en faire trop dans les pièces plus dramatiques et sombres comme la Fantaisie en do majeur. Le programme « moderne » de Starodubtsev est peut-être le moins connu des quatre, mais il le joue avec grande conviction et lyrisme. Il fait ressortir la parenté de Szymanowski et Hindemith avec Debussy. C’est tout à son honneur d’arriver à rendre Schoenberg accessible aux oreilles indifférentes. La production est sans tache : qualité sonore excellente, notes d’accompagnement pertinentes (en particulier les questions et réponses posées aux pianistes par Eric Friesen) et bel emballage. Si seulement il y avait une ou deux photos des séances d’enregistrement ! Ces quatre pianistes sont déjà reconnus comme étant parmi les artistes les plus prometteurs d’aujourd’hui, et ce coffret est une confirmation de leur talent grandissant. Joseph K. So

Traduction : Jérôme Côté


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(c) La Scena Musicale 2002