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Grand homme de théâtre et de cinéma,
Raymond Cloutier a revêtu tout au long de sa carrière les habits de
comédien, de metteur en scène, d’écrivain, d’animateur radio
et d’enseignant. Depuis 2007, il est à la tête du Conservatoire
d’art dramatique de Montréal, un rôle fait sur mesure pour ce passionné.
Sa réalité : la fiction
Né dans une famille d’hôteliers, Raymond Cloutier se retrouve
très jeune pensionnaire. C’est d’ailleurs au pensionnat qu’il
découvre le théâtre. « Dès l’âge de cinq ou six ans, je jouais
tout le temps », se souvient-il. Bien qu’au début, le théâtre
ne fût qu’un moyen ingénieux de rendre la vie au pensionnat moins
ennuyante, il devint rapidement un refuge. « Grâce au théâtre, ma
vie au pensionnat est devenue plus confortable, dit-il. Elle avait ainsi
un peu plus de sens. »
Cette jeunesse vécue « non pas
dans le réel de la famille, mais dans le réel de la fiction et du
théâtre », pour reprendre ses mots, a comme heureux dénouement son
inscription au Conservatoire d’art dramatique de Montréal.
« Je ne voyais pas quoi faire d’autre,
dit-il. J’étais coincé dans cet univers fictif. » Au Conservatoire,
auprès de professeurs tels François Cartier et Georges Groux, il apprend
l’art du jeu et comment repousser les limites de ses dons d’acteur.
« Tout m’intéressait », confie-il au sujet de ces quatre années
de Conservatoire – dont une passée à Québec auprès de Jean Valcourt
et Marc Doré à étudier le théâtre de création, d’improvisation
et de recherche.
Fort d’un grand bagage de connaissances,
il quitte les bancs du conservatoire en 1968 avec une mention de très
grande distinction. L’attente fut de courte durée pour le jeune acteur.
Remarqué lors d’une soirée d’improvisation, il se voit offrir
une série de contrats inespérés : un rôle dans Le Drap, une
pièce présentée à Strasbourg, et un autre dans Les quinze rouleaux
d’argent, présentée à La Chaux-de-Fonds en Suisse. « J’avais
un contrat d’octobre à fin novembre à Strasbourg et un deuxième
de janvier à mai à La Chaux-de-Fonds, en plus d’une tournée en
Suisse, dans l’est de la France et quelques représentations à Paris.
C’était une année de rêve. »
Le Grand Cirque Ordinaire
Cette année européenne, en plus d’être une expérience enrichissante,
fit découvrir à Raymond Cloutier un mode de vie inédit au sein d’une
troupe de théâtre. Cette vie « gitane et communautaire », d’après
ses propres mots, était basée sur un mode coopératif et égalitaire
où tous les membres, du metteur en scène aux techniciens, en passant
par les acteurs, gagnaient le même salaire. Cette expérience donna
naissance au Grand Cirque Ordinaire, une aventure peu ordinaire pour
l’acteur émergent qu’il était devenu. La troupe, dont les spectacles
étaient des créations collectives, voulait générer un théâtre
qui n’était « absolument pas aliénant », dit-il.
Soutenu par Albert Millaire et le
Théâtre Populaire du Québec, le Grand Cirque Ordinaire monte neuf
spectacles de 1969 à 1978, dont T’es pas tannée, Jeanne d’Arc
? (1969), La famille transparente (1970) et T’en rappelles-tu
Pibrac ? (1971). Cette dernière pièce racontait l’histoire
vraie d’un petit village près de Jonquière que l’on avait voulu
inonder. Toutefois, elle fut jugée trop outrancière et politique en
cette année suivant la Crise d’octobre, dont les souvenirs étaient
encore présents. Résultat, Raymond Cloutier et ses amis furent congédiés
du Grand Cirque Ordinaire. Cela ne découragea pas le jeune acteur plein
d’ambition et d’idées qui présenta, quelques années plus tard,
deux spectacles solos, soit Mandrake chez lui en 1976 et Le
Rendez-vous d’août en 1977.
De la scène au cinéma
Parallèlement à cette jeune carrière au théâtre, Raymond Cloutier
poursuivit aussi une carrière au cinéma. Il débuta en grand avec
un rôle dans Red (1970) de Gilles Carle, suivi d’un autre
dans La tête de Normande Saint-Onge (1975). La collaboration
avec Carle ne fut pas de tout repos pour l’acteur, les méthodes du
réalisateur n’étant pas toujours en harmonie avec les siennes. Gilles
Carle, influencé par l’école documentaire de l’ONF, était un
adepte du cinéma vérité. « Il pensait qu’en me mettant dans des
situations de vérité, j’allais être un meilleur acteur. » Cloutier
se retrouva donc souvent dans des situations inattendues, telle la fois
ou Gilles Carle le fit attaquer, sous l’œil de la caméra, par une
quinzaine d’hommes, et ce, afin de filmer la peur la plus authentique
possible. « Pour un acteur qui jouait depuis l’âge de cinq ans,
qui avait fait quatre ans de Conservatoire et qui revenait d’une tournée
en Europe, c’était une véritable insulte », dit Raymond Cloutier.
À la suite de cette collaboration
quelque peu déroutante avec Gilles Carle, Cloutier continua au cinéma
dans, entre autres, les Vautours (1975) et l’Affaire Coffin
(1980) de Jean-Claude Labrecque, Two Solitudes (1978) de Lionel
Chetwynd, Cordélia (1980) de Jean Beaudin, Rien qu’un jeu
(1983) de Brigitte Sauriol, Liste Noire (1995) de Jean-Marc Vallée
et, plus récemment, dans Le déserteur (2008) de Simon Lavoie,
Une vie qui commence (2010) de Michel Monty et French Kiss
(2011) de Sylvain Archambault. Ajoutons que Raymond Cloutier a aussi
incarné des personnages marquants à la télévision, entre autres
Louis Riel dans la série Riel (1979) de Georges Bloomfield et
Jean Drapeau dans la série Montréal ville ouverte (1992) d’Alain
Chartrand.
L’écriture : une deuxième
passion
« Je me suis toujours dit que je me devais d’écrire quelques
romans dans ma vie », confie Raymond Cloutier. C’est ce qui s’est
produit en 1998 avec la parution d’Un retour simple, roman
improvisé et écrit à la manière des spectacles du Grand Cirque Ordinaire.
Suit, une année plus tard, Le beau milieu, un essai sur les
structures de diffusion du théâtre à Montréal. En 2000, il publie
son deuxième roman, Le Maître d’hôtel. « C’est le côté
divin de l’écriture qui m’intéresse, dit-il, cette liberté pure
et sans limites. »
Sa passion pour l’écriture et
la littérature le pousse à animer, de 2004 à 2008, des émissions
littéraires à la première chaîne de Radio-Canada. Pendant cette
période de quatre ans, il doit lire cinq romans par semaine. Il conclut
de cette expérience que « trop de personnes écrivent trop de romans
».
« Cela m’a inhibé un peu. Je
me suis dit que si je voulais écrire, j’étais mieux d’écrire
quelque chose de vraiment bon, sinon ça ne valait pas la peine. »
Néanmoins, il garde toujours l’envie d’écrire et n’écarte pas
la possibilité de publier un autre roman.
Parallèlement à sa carrière d’acteur,
Raymond Cloutier a eu une longue carrière en enseignement. Il enseigne
l’art de l’improvisation, la « création spontanée », à plusieurs
générations d’acteurs et d’actrices. « C’est très émouvant
de voir ces jeunes qui n’arrivaient pas à se lever et à improviser
devenir, au bout de quelques mois, des danseurs de contenus, des boules
d’invention », raconte-t-il.
Cette passion pour les jeunes et
pour la transmission du savoir incite Raymond Cloutier à reprendre,
en 2007, la direction du Conservatoire d’art dramatique de Montréal
– un poste prestigieux qu’il avait déjà occupé de 1987 à 1995.
Tout en reconnaissant le talent et les aptitudes des finissants du Conservatoire,
il se dit toutefois peu confiant quant à leur avenir. « Il faudrait
avoir un système de compagnies, voire de théâtres permanents, partout
au Québec », affirme-il. Ainsi, ces jeunes, du moins les meilleurs
d’entre eux, auraient la possibilité de monter sur une scène et
de vivre de leur art. « Je souhaite un virage au ministère de la Culture
pour que l’on crée des tremplins de sortie pour ces jeunes acteurs,
dit Raymond Cloutier. On a beau insister sur la survie de la langue,
une langue ne survit pas pour rien et toute seule. Elle survit grâce
à la littérature, au théâtre…
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