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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 3 novembre 2011

Critiques

1 novembre 2011

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Disques

Aldridge: Elmer Gantry
Florentine Opera Company; Milwaukee Symphony
Orchestra/William Boggs
Naxos (2CD) 8.669032-33 (2 h 21 min 38 s)

On se demande pourquoi les maisons de disques s’entêtent encore à produire un enregistrement d’opéra, particulièrement en ce qui concerne une création, alors qu’il est nettement plus intéressant de le voir sur DVD. C’est la question qui nous vient à l’esprit en écoutant cet Elmer Gantry (d’après le roman éponyme de Sinclair Lewis, premier écrivain américain récipiendaire du prix Nobel), d’autant plus qu’il s’agit d’un enregistrement public où les réactions des spectateurs laissent deviner un spectacle fort divertissant. De plus, la compréhension de l’action y aurait gagné en clarté puisque le livret est riche et touffu. Il ne nous reste donc qu’à écouter la musique, franchement traditionnelle, située dans la lignée de Gershwin, Copland et Floyd. Loin de révolutionner le genre, la partition de Robert Aldridge est néanmoins colorée et propice au théâtre. Bien qu’originaux et non issus du répertoire, les divers gospels et hymnes religieux sont si convaincants qu’on ne peut qu’admirer l’habilité du compositeur à jongler avec ces idiomes musicaux d’une Amérique révolue. Une bonne distribution vocale et un bon orchestre sont au rendez-vous. Sans être un incontournable, cet opéra plaira à ceux qui s’intéressent au répertoire américain ou qui sont avides d’entendre une œuvre riche en références historiques. Éric Champagne

Beethoven: Quatuors op. 18 no 3 et 5 et op. 135
Quatuor Artemis (Natalia Prischepenko, Gregor Sigl, violons, Friedemann Weigle, alto, Eckart Runge, violoncelle)
Virgin Classics 50999 0708342 6 (78 min 34 s)

Comme pour le précédent volume de leur intégrale en cours, on peut admirer la maîtrise technique des Artemis sans adhérer à leur conception un peu trop spectaculaire des quatuors à cordes de Beethoven. Ainsi, la comparaison de leur exécution du dernier mouvement, marqué Presto, du Troisième Quatuor avec celle des Pra
žák ne tourne pas à leur avantage : s’ils l’enlèvent de façon époustouflante, non sans certains moments de confusion, dus en partie à la prise de son réverbérée, les Pražák, eux, sans lui ôter en rien son brio, prennent le temps de le construire pour lui conférer sens et solidité, avec une transparence constante du dialogue instrumental et un souci du chant que leurs concurrents ne possèdent pas au même degré. En fait, c’est tout le quatuor qui est ainsi magnifié par l’ensemble tchèque. Quant à l’ultime Quatuor op. 135, il jouit–ou souffre, selon le point de vue de l’auditeur–de l’approche «objective» qui caractérise l’ensemble allemand. Alexandre Lazaridès

Brahms: Symphony No. 3 Op. 90 – Tchaikovsky: Symphony No. 6 Op. 74 “Pathétique”
Novaya Rossiya State Symphony Orchestra/Yuri Bashmet
ICA Classics ICAC 5023 (81 min 28 s)

Altiste soliste bien connu, Yuri Bashmet consacre aussi beaucoup de temps à la direction, en Russie notamment. Il dirige depuis dix ans l’Orchestre symphonique de la Nouvelle Russie (Novaya Russia). La musique qu’il produit avec cet ensemble suffit à le classer parmi les chefs les plus intéressants des vingt-cinq dernières années. Certains choix interprétatifs (comme l’énorme crescendo des cuivres dans les premières mesures du Brahms, par exemple) en rebuteront quelques-uns. Quoi qu’il en soit, il y a incontestablement une imagination créative et puissante à la barre.
David Nice, qui a écrit les notes d’accompagnement, ne cesse de le comparer à Evgeny Mravinsky alors qu’il me rappelle davantage Furtwängler (pas seulement pour les fluctuations de tempo, mais aussi pour l’énergie et la précision de jeu). En plus de la grande passion, du cœur et de l’âme avec lesquels Bashmet dirige Brahms, il y a une beauté exceptionnelle du phrasé. Le Tchaïkovski est exaltant et présente des trombones super puissants au point culminant du premier mouvement. Je m’attends à ce que Yuri Bashmet, le chef d’orchestre, nous en donnera encore beaucoup plus. Paul E. Robinson

Capricho Latino
Rachel Barton Pine, violon
Cedille 125 (79 min 11 s)

Les disques consacrés au répertoire pour violon solo ne sont pas légion, alors imaginez ceux d’œuvres latines pour violon solo! Rachel Barton Pine aime beaucoup explorer les sentiers peu fréquentés de la musique de concert, ce qui constitue déjà une source de plaisir pour le mélomane investigateur, mais en plus, elle le fait avec une passion et une conviction débordantes. Sur ce disque, des figures connues, telles qu’Albéniz (Asturias, dans un arrangement fort réussi), Rodrigo (Presto extrait du Capriccio), Piazzolla (Tango Étude no 3) et Tarrega (Recuerdos de la Alhambra), mais aussi des compositeurs plutôt obscurs comme Espéjo (Prélude ibérique), White (Étude no 6) ou le contemporain Ridout (Ferdinand the Bull). Il serait fastidieux d’offrir un commentaire sur chaque pièce de ce copieux programme; il suffira de dire que chacune est interprétée avec panache par Mme Pine et qu’aucune n’est moins qu’intéressante pour le mélomane averti. Frédéric Cardin

Concord Chamber Music Society: Brubeck, Gandolfi, Foss
Concord Chamber Music Society
Reference Recordings RR-122 (63 min 30 s)

La Concord Chamber Music Society présente trois œuvres américaines contemporaines, quoique d’une esthétique résolument consonante et accessible. Si l’œuvre de Michael Gandolfi (Line Drawings, pour clarinette, violon et piano) semble la plus complexe du côté de la technique d’écriture, elle n’en demeure pas moins intéressante et très accrocheuse. Quant à Chris Brubeck (fils du pianiste de jazz Dave Brubeck), il offre un heureux mélange de rythmes latins et de structure classique. Conçue pour six musiciens, Danza del Soul est une œuvre accomplie, cohérente et très agréable à écouter. Un plaisir renouvelé avec le Central Park Reel de Lukas Foss, pour violon et piano, qui clôt ce disque. Oui, il s’agit bel et bien d’un reel, mais loin d’être bêtement folklorique, cette musique se métamorphose de façon saugrenue et surprenante, conservant constamment l’attention de l’auditeur tout en éveillant un petit sourire ici et là. Les musiciens sont de très haut calibre (certains sont membres de l’Orchestre symphonique de Boston!) et ils offrent une prestation à la fois soignée et profondément engagée. Un disque sympathique et divertissant. Éric Champagne

Debussy: Orchestral Works Volume 6 (Suite bergamasque/Petite Suite/En blanc et noir/Printemps/Symphony in B minor)
Orchestre National de Lyon/Jun Märkl
Naxos 8.572583 (74 min 21 s)

Le sixième, et probablement dernier, volume de cette série contient des adaptations orchestrales de pièces pour piano, quelques-unes transcrites par des collègues de Debussy et d’autres par nos contemporains. La Suite bergamasque en quatre mouvements est l’une des pièces les plus accessibles du compositeur et inclut le très populaire Clair de lune. Cette pièce mérite bien sa popularité, et on pourrait difficilement imaginer une orchestration plus fidèle que celle proposée ici par André Caplet. Aussi, la transcription de Henri Büsser de la Petite Suite saisit parfaitement le charme évocateur de la musique.
En outre, Büssler orchestra Printemps, la pièce la plus impressionniste de Debussy et encore là, il trouve un mélange idéal de couleurs subtiles. En blanc et en noir est un ensemble de pièces bien plus singulières, et l’arrangement de Robin Holloway fait en 2002 souligne cette étrangeté. Je soupçonne que Caplet ou Büssler auraient adouci certaines aspérités.
Enfin, il y a la première tentative symphonique de Debussy. Il avait 18 ans quand il l’a commencée. Il n’a écrit qu’un premier mouvement pour piano quatre mains avant d’abandonner. Tony Finno en a fait une orchestration. Son travail nous permet de mieux comprendre Debussy, mais ne réussit pas à nous convaincre qu’il s’agit d’un chef d’œuvre négligé. Les interprétations entendues sur le CD sont adéquates. Paul E. Robinson

Echoes: Classic Works Transformed
Seattle Symphony Orchestra/Gerard Schwarz
Naxos 8.559676 (53 min 41 s)

L’idée était amusante: demander à un compositeur contemporain de transformer selon son imagination une œuvre du répertoire classique. Cependant, le résultat est plutôt inégal. Certains compositeurs se sont limités à réaliser une orchestration bien sage (comme cet intermezzo de Brahms choisi par Bright Sheng) ou encore à concevoir un arrangement sans trop de saveur (comme le concerto grosso de Haendel arrangé par le chef Gerard Schwarz). La plus décevante est peut-être la pièce d’Aaron Jay Kernis, qui est une orchestration de son propre quatuor à cordes. Ce n’est pas mauvais, mais ce n’est pas un classique revisité. Lui a-t-on bien expliqué le concept? Néanmoins, certaines pièces se démarquent avantageusement du lot. David Stock présente sa vision du Trumpet Volontary de Clarke avec une maîtrise surprenante des effets orchestraux. Quand à John Harbison, il propose une relecture symphonique du célèbre Ruby, My Dear de Thelonius Monk. Cette relecture un peu sage apporte cependant une classe et une élégance touchante à cette musique envoûtante. La plus grande réussite du projet est probablement Infernal de David Schiff : une version jazzy de la Danse infernale de L’Oiseau de feu de Stravinski, qui a le mérite d’être tout aussi originale qu’intéressante. Éric Champagne

Elgar: In the South – Introduction and Allegro – Enigma Variations
Stuttgart Radio Symphony Orchestra (SWR)/Roger Norrington
Hänssler Classic CD 93.191 (70 min 16 s)

Roger Norrington dirige l’Orchestre symphonique de la Radio de Stuttgart depuis 1998. Au dire de tous, son règne est mémorable. Son legs est généreux chez Hänssler Classics: un répertoire vaste et varié. Les mélomanes qui ont grandi en écoutant Boult diriger Elgar trouveront qu’ici, l’Elgar de Norrington est bien plus robuste. Norrington ne se gêne pas pour donner beaucoup de poids aux sections de cuivres et de percussion. La perspective sonore nous laisse assez peu apprécier les cordes, ce qui est probablement causé par l’enregistrement. L’ouverture de In the South n’a jamais eu, à mon avis, un caractère aussi straussien. Or, Norrington parvient à extraire toute la tristesse de l’œuvre avec le solo d’alto. Les excellentes cordes du Stuttgart sont mises à l’honneur dans Introduction and Allegro, par contre (encore une fois), les techniciens du son ne leur ont pas donné beaucoup de chaleur ni de profondeur. Les Variations Enigma sont impressionnantes: le caractère de chacun des personnages est brillamment représenté. Paul E. Robinson

Ferrara: Fantasia Tragica; Notte di Tempesta; Burlesca; Prelude
Orchestra Sinfonica di Roma/Francesco La Vecchia
Naxos 8.572410 (46 min 41 s)

Franco Ferrara (1911-1985) était professeur et chef d’orchestre en plus d’être, apparemment, un compositeur efficace. Bien entendu, le plus grand exemple de chef d’orchestre dont on redécouvrit plus tard l’œuvre écrite est Gustav Mahler. Mais depuis quelques années, on ressuscite également les partitions de Furtwängler, Szell et même Serebrier. Bien que Ferrara n’ait pas été du calibre de ces grands chefs (la maladie l’empêcha de s’épanouir en ce sens, mais il fut un professeur privé grandement recherché), il laissa néanmoins sa marque et ses compositions apparaissent éminemment agréables et accessibles tout en étant bien enracinées dans le 20e siècle. La Fantasia Tragica se développe lentement mais inexorablement vers une conclusion émotivement intense et contient une mélodie plutôt accrocheuse. Les autres œuvres au programme ont quelque chose de Chostakovitch, sans cependant manifester une certaine véhémence du compositeur russe. Frédéric Cardin

Haydn: Symphonies nos 104, 88 & 101
Philharmonia Baroque Orchestra/Nicholas McGegan
Philharmonia Baroque Productions PBP-02 0945732 (62 min 14 s)

Le Philharmonia Baroque (de San Francisco) est l’un des meilleurs ensembles consacrés à la musique ancienne et surtout baroque. Nicholas McGegan sait insuffler une énergie fringante aux œuvres qu’il touche de sa baguette. Ces symphonies de maturité de « Papa Haydn » ne font pas exception. Sous la direction énergique de McGegan, les bois s’envolent, les cordes virevoltent et les mélodies de Haydn prennent une tournure toute pimpante. L’orchestre manque parfois de tonus pour bien équilibrer l’effet recherché, surtout dans les finales, mais l’éclat de l’ensemble demeure sémillant. Frédéric Cardin

J.-S. Bach et I. F. Biber: Sonates
Evgeny Sviridov, violon; Zita Mikijanska, clavecin
Genuin GEN 11207 (CD : 65 min 46 s)

L’étiquette allemande Genuin a réservé au lauréat russe du Concours international Bach, catégorie violon, tenu à Leipzig en 2000, le traitement accordé d’habitude aux célébrités: sur la pochette du CD, son nom domine largement, autant par la disposition que par la typographie, ceux des compositeurs. Son accompagnatrice, Lettonne talentueuse, en est tout à fait absente. À l’écoute, une telle « médiatisation» ne paraît guère justifiée. Les deux sonates de Bach (BWV 1016 et 1021) et la Troisième Partita, œuvres supérieurement difficiles, si elles sont rendues avec fidélité, « telles quelles», pourrait-on dire, ne démontrent pas une aisance affirmée de la part du violoniste. Le registre aigu semble même quelquefois imparfaitement maîtrisé (la prise de son trop proche et la réverbération du lieu pourraient y être pour quelque chose). Sviridov manifeste plus d’assurance dans les deux ingénieuses sonates de Biber, plus extérieures aussi, sans que, pour autant, la beauté sonore soit entière. Il s’agit donc d’un talent prometteur qu’il serait intéressant de réentendre dans quelques années. Alexandre Lazaridès

Max Reger: Four Sonatinas
John Newmark, piano
XXI-21 Productions XXI-CD 2 1691 (CD1: 41 min 15 s; CD2: 45 min 11 s)

Comme toujours depuis sa création, la maison XXI s’emploie à faire connaître des enregistrements rares en les rééditant sur CD et l’auditeur découvre ou redécouvre des compositeurs moins connus, mais non moins intéressants. Il s’agit cette fois du compositeur bavarois Max Reger (1873-1916). Peut-être mieux connu pour ses variations et fugues sur des thèmes de Bach et Mozart, c’est dans de petites pièces pour piano que Reger démontra tout son talent et sa grande sensibilité. Le pianiste John Newmark a enregistré ces sonatines de Reger en 1964 et, grâce à l’équipe de la maison XXI, cette musique à la fois intense et sensible fait le bonheur des mélomanes d’aujourd’hui. Le coffret de deux CD, sobre et classique, ne passe pas inaperçu sur les présentoirs. Un bémol cependant: le livret d’accompagnement est en anglais seulement. Francine Bélanger

Robert Moran: Trinity Requiem
Trinity Choir &Trinity Wall Street/Robert Ridgell
Innova 244 (66 min 8 s)

La musique du compositeur américain Robert Moran, associé au mouvement minimaliste (surtout après une collaboration avec Philip Glass), se caractérise par une économie de moyen et sa sensibilité. Son Trinity Requiem arrive juste à temps pour souligner le 10e anniversaire des attentats du 11 septembre. D’une sérénité étonnante, cette œuvre possède l’aura de douceur du Requiem de Fauré, tout en conservant une couleur éminemment américaine. Le programme est complété par deux œuvres chorales emblématiques du travail du compositeur. On retiendra sans réserve les Seven Sounds Unseen pour chœur mixte a capella. La science d’écriture et le souffle mélodique se concertent en une musique envoûtante et hypnotisante, digne des grands chefs-d’œuvre vocaux de la Renaissance. Là encore, l’économie de moyens et la simplicité du geste sonore vont droit au but et touchent le cœur et l’esprit. Finalement, le disque se termine sur un étrange hommage du compositeur Philip Blackburn qui crée un remix du Trinity Requiem à partir de diverses pistes préenregistrées. Étrange idée, quoique le résultat demeure dans l’esprit de Moran. Un beau disque, à la fois apaisant et inspirant, pour tout amateur de musique chorale. Éric Champagne

Schoenberg: Symphonie de chambre no 1 op. 9, Suite op. 29
Ensemble Zahir/Juan García Rodríguez
Naxos 8.5721442 (CD : 56 min 52 s)

Bien que conçue et écrite pour quinze instruments (cinq cordes, huit bois, deux cuivres), la Première Symphonie de chambre (1907) est donnée ici dans la transcription qu’en a faite Webern pour cinq instruments, le piano remplaçant ceux qui ont été mis de côté. Cette transcription, menée avec un remarquable savoir-faire et une compréhension approfondie de l’opus 9, met en valeur la structure et les thèmes, mais elle sacrifie les sonorités voulues par Schoenberg, et peut-être un peu de l’esprit iconoclaste qui l’animait, même si le principe de la tonalité n’y est pas encore abandonné. Quant à la Suite (1927), écrite pour sept instruments (trois cordes, trois bois, piano) et formée de quatre mouvements, elle subvertit avec ironie la suite de danses traditionnelle, intégrant aussi jazz et musique populaire sans tomber dans le fourre-tout du métissage. L’ensemble sévillan Zahir, fondé en 2005 par Rodríguez, défend cette musique avec conviction, mais on aurait souhaité un peu plus d’allant.
Alexandre Lazaridès

Schubert: Symphonie no 9 en do «La Grande»
Royal Flemish Philharmonic/Philippe Herreweghe
Pentatone Classics PTC 5186372 (57min 49 s)

En 1826, après plusieurs essais inachevés, Franz Schubert termina enfin sa «Grande». Elle fut jugée à l’époque trop difficile pour être exécutée convenablement. Depuis, elle a été enregistrée plus d’une fois par les plus grands orchestres. C’est une œuvre majestueuse et de grande proportion. Herreweghe, reconnu surtout comme chef de chœur et spécialiste de la musique baroque, a opté pour une approche plus légère: cordes sans vibrato, effectifs de l’orchestre réduits, tempi rapides… On reconnaît dès le départ sa signature: pureté des lignes mélodiques, clarté du discours musical, attaques précises de l’orchestre. Le chef conduit la Philharmonie Royale de Flandre avec beaucoup d’énergie et de virtuosité. Ces choix esthétiques peuvent plaire et surprendre dès la première écoute, mais ils peuvent aussi décevoir l’auditeur, habitué à plus de lenteurs et de grandeur solennelle. Ainsi, certains passages semblent manquer de lyrisme et de chaleur. On cherche en vain le drame et l’émotion dans certains mouvements. Dans les passages forts, la sonorité de l’orchestre devient parfois tapageuse. Et l’on remarque aussi quelques manques de justesse chez les vents. Finalement, le résultat d’ensemble est décevant malgré les qualités esthétiques mentionnées. Pour plus de profondeur, on préférera Wand (RCA), Böhm (DG) ou Blomstedt (BC). René François Auclair

Schumann: Requiem - Der Königssohn - Nachtlied
Sibylla Rubens, soprano; Ingeborg Danz, alto; Christoph Prégardien, ténor; Adolph Seidel, baryton; Yorck Felix Speer, basse; Kammerchor Saarbrücken; Deutsche Radio Philharmonie; Saarbrücken Kaiserslautern/Georg Grün
Hänssler CD 93.270 (72 min 20 s)

Cet enregistrement est un événement en soi. Trois œuvres chorales méconnues de Schumann sont illuminées avec panache et sensibilité dans cette gravure rien de moins qu’exceptionnelle. Presque mozartien dans sa fatalité, ce Requiem composé en 1852 (quatre ans avant le décès du compositeur) ne fut jamais entendu par Schumann. Il se déploie avec aisance et retenue, l’équivalent schumanien, dirait-on, du même exercice accompli par Fauré bien des années plus tard. Ici, Schumann semble confier son âme à son inexorable destin, à mille lieux des tourments dévastateurs de ses dernières années. La beauté de ce chef-d’œuvre de spiritualité intime est remarquable. Son oubli et son obscurité, encore de nos jours, sont totalement incompréhensibles. La ballade Königssohn (Le Fils du roi), op. 116, date de 1851 et raconte en six mouvements l’histoire d’un fils de roi qui part sans le sou à la recherche d’un royaume à conquérir. Typiquement romantique, le dévoilement du destin du héros, de son courage et de sa réussite complète une sorte de rite de passage caractéristique des contes anciens. Schumann accompagne le texte d’une musique édifiante et lyrique. Nachtlied, op.108, est une courte pièce pour chœur et orchestre, magnifiquement orchestrée, toute en subtiles teintes et contours harmoniques et vocaux. Frédéric Cardin

Tabarinades
Les Boréades/Francis Colpron
ATMA Classique ACD2 2658 (CD : 59 min)

Deux précisions fournies par le programme éclairent le titre du CD: «Musiques pour le théâtre de Tabarin» et «Danses et chansons françaises aux instruments (1550-1650)». Il s’agit donc d’une musique pour un théâtre populaire, divertissant, certes, mais aussi critique à l’égard des travers sociaux de l’époque. Tabarin en avait été l’âme, et Molière n’a pas manqué de reconnaître en lui un précurseur et un inspirateur. Musique festive aussi, que les Boréades en grande forme, avec treize instrumentistes, réussissent à recréer pour nous, sous la direction attentive de Francis Colpron. Quelque trente pièces, dont plusieurs ont été adaptées par le chef, sont signées d’une quinzaine de compositeurs plus ou moins connus. Même enjouées et fortement rythmées par d’entraînantes percussions, elles semblent toutes empreintes d’une nostalgie, voire d’une mélancolie, venue du fond des âges, ce que l’on ressent en particulier dans celles qui sont réservées aux seules cordes, à cause de leur timbre voilé peut-être. À la flûte, Francis Colpron emballe son monde avec les pépiements et les gazouillements dont il a le secret. Un régal... pour les oreilles! Alexandre Lazaridès

The Pulitzer Project
Grant Park Orchestra and Chorus/Carlos Kalmar
Cedille Records CDR 90000 125 (74 min)

Merveilleuse initiative musicologique que ce Pulitzer Project, qui nous fait revivre les années quarante, époque difficile, mais charnière de l’histoire musicale américaine. À entendre les œuvres magnifiques de William Schuman (A Free Song, 1943), Aaron Copland (Appalachian Spring) et Leo Sowerby (The Canticle of the Sun), on saisit le prestige du prix. L’acoustique est remarquable et la prise de son si impeccable que les éclats des grands chœurs et ensembles n’en paraissent que plus brillants, plus polis. La production est à la hauteur de la monumentalité des œuvres, à l’esthétique, il va sans dire, très américaine. Soulignons la précision inouïe du chœur, qui fait preuve d’une subtilité d’expression remarquable pour un ensemble d’une telle envergure. Finalement, on note le sens de la mélodie du chef Carlos Kalmar, qui manie à merveille les Appalachian Songs, les présentant avec le sérieux qu’ils méritent, sans tomber dans l’emphase. Julie Berardino

Vivaldi: Vespro a San Marco
Les Agrémens; Chœur de chambre de Namur/
Leonardo Garcia Alarcon
Ambronay AMY029 (2CD: 117 min 48 s)

Un cycle de Vêpres à la Vierge de Vivaldi ? Est-ce possible? Grâce aux recherches de Leonardo Garcia Alarcon, ancien membre de la troupe de Gabriel Garrido, il semble que oui (bien que quelques entourloupettes aient été nécessaires). Alarcon s’est servi de pièces déjà existantes composées par le Prêtre Roux qui s’insèrent logiquement dans la séquence habituelle du cycle des vêpres. Le résultat, bien qu’indéniablement attrayant, ressemble plus à une collection d’œuvres sacrées (toujours bienvenue dans le cas de Vivaldi) qu’à un cycle vraiment cohérent comme celui de Monteverdi. Qu’à cela ne tienne, Alarcon réussit à créer l’illusion assez réjouissante de ce qu’aurait pu être un tel cycle composé par le célèbre Vénitien s’il en avait décidé ainsi. Les solistes sont très solides, bien que parfois un peu poussifs dans la projection des affects. Malgré quelques bémols bien légers, on ne peut que saluer une entreprise aussi originale que bien intentionnée. Frédéric Cardin

DVD

Argerich & Maisky: Dvořák, Shchedrin, Franck and Shostakovich
Martha Argerich, piano; Mischa Maisky, violoncelle; Lucerne Symphony Orchestra/Neeme Järvi
Accentus Music DVD ACC 20224 (111 min 36 s)

En voici de la nouveauté: Martha Argerich jouant en première mondiale de la musique d’un compositeur vivant! Sa réputation s’assoit sur des exécutions à couper le souffle de pièces du répertoire du 19e siècle. Mais Argerich est une musicienne d’exception et qu’elle puisse jouer n’importe quoi ne surprend guère, cela ne dépend que de son bon vouloir. Ici, le compositeur russe Rodion Shchedrin, dans un élan d’inspiration, a écrit une pièce pour Argerich et son collègue et ami de longue date Mischa Maisky. Après l’avoir écouté deux fois, j’ai trouvé ce morceau de plus en plus intéressant: il fait preuve de beaucoup de réflexion et d’énergie. Un autre duo osera-t-il s’attaquer à cette œuvre après avoir entendu ce qu’Argerich et Maisky peuvent en faire? Ce concert était donné à Lucerne l’an dernier et, bien que le programme soit bizarrement construit, toutes les pièces sont époustouflantes. Argerich et Maisky interprètent la très populaire sonate de Franck comme s’il s’agissait d’une longue improvisation inspirée, tout simplement magnifique. Bien que Neeme Järvi et l’Orchestre symphonique de Lucerne (à ne pas confondre avec l’ensemble glorieux de l’Orchestre symphonique du Festival de Lucerne) se retrouvent quelque peu dans l’ombre de ce grand duo, ils font tout de même de la grande musique. L’orchestre est excellent et Järvi dirige comme un maître les œuvres de Dvo
řák et de Chostakovitch. Paul E. Robinson

Haendel: Theodora
Christine Schäfer (Theodora), Bejun Mehta (Didymus), Joseph Kaiser (Septimius), Johannes Martin Kränzle (Valens), Bernarda Fink (Irene) et Ryland Davies (Messager); Freiburger Barockorchester, Salzburger Bachchor/Ivor Bolton
Christof Loy, metteur en scène
Cmajor 705708 (2 DVD : 189 min)

Cette production salzbourgeoise de 2009 donne raison à Haendel qui affirmait préférer Theodora à ses autres compositions. Cet oratorio, riche en arias comme en interventions chorales magnifiques, est servi par un plateau de solistes idéal, avec une Schäfer bouleversante d’intériorité, en particulier dans le grand moment du deuxième acte, With darkness deep as my woe. Le Freiburger Barockorchester est bien mené par le chef, quoique peut-être alourdi par des basses trop en relief. Reste que Theodora n’est pas un opéra: Haendel y a subordonné le heurt entre les deux martyrs chrétiens et Valens, le brutal gouverneur romain, à l’introspection à saveur mystique. Pour compenser l’absence d’effets visuels, le metteur en scène a opté pour une modernisation audacieuse, voire forcée, à lire de toute manière à un autre niveau que celui du livret. Acteurs et figurants sont en tenue de ville, certains jeux de scène sont à tout le moins gratuits, et, dans cette optique dramatisée, Septimius (un officier romain) ou Irene (une chrétienne) perdent leur déjà faible pertinence. La vaste scène parsemée de chaises et fermée par un immense orgue est le théâtre de multiples va-et-vient, ce que le découpage vidéo, très morcelé, rend souvent difficile à suivre. Alexandre Lazaridès

Verdi: Un ballo in maschera
Placido Domingo (Gustavo), Josephine Barstow (Amelia), Leo Nucci (Anckarström), Sumi Jo (Oscar), Florence Quivar (Ulrica); Wiener Philharmoniker/Sir Georg Solti
Arthaus Musik 107 271 (145 min)

Cet opéra aurait dû être dirigé par Herbert von Karajan, mais il s’est éteint lors des répétitions. Georg Solti a sauvé la situation en prenant le tout en charge à la dernière minute. John Schlesinger et William Dudley ont fait une production fort extravagante et très adéquate qui fut présentée à nouveau l’année suivante et marqua l’histoire. Les raisons pour lesquelles cette production extrêmement chère n’a eu qu’une durée de vie aussi courte restent inconnues, mais on pourrait supposer que son style ultratraditionnel déplaisait à l’esthétique de l’élite artistique. Ce Un ballo in maschera se sert d’un décor suisse fidèle à l’idée de Verdi (quoique Riccardo remplace le roi Gustavo III et Renato, le conte Ankarström). Le baguette de Solti est incisive et excitante, mais n’a pas la beauté lyrique que Karajan avait apportée à l’œuvre. (Pour faire vous-même la comparaison, trouvez l’enregistrement studio chez DG où un an plus tôt, Karajan dirige les mêmes musiciens). Le chant est très solide dans son ensemble: Riccardo est l’un des plus grands rôles de Domingo, il le joue avec beaucoup d’intensité et le chante d’une voix lustrée et résonante. Par contre, il contracte quelques notes hautes et omet le do aigu dans le duo d’amour. La voix de Josephine Barstow ne se prête pas naturellement à Verdi, mais elle a relevé le défi et s’en est bien sortie. Leo Nucci est un Renato impeccable; Florence Quivar, une protégée de Karajan, incarne Ulrica tout aussi bien. Sumi Jo (Oscar) a une voix cristalline, mais petite. Il n’y a aucune date d’enregistrement exacte dans le livret d’accompagnement, mais la prestation est sans doute un montage. L’image est excellente, quoiqu’un peu sombre. Il s’agit probablement du meilleur Un ballo in maschera sur vidéo, surtout avec Domingo comme principal plaisir. On peut entendre et voir ce ténor dans de nombreux enregistrements différents de cet opéra. Les interprétations de 1975 avec Muti et de 1975 au Covent Garden devant public montrent un Riccardo bien plus jeune et sont aussi d’excellents choix. Joseph K. So

Traduction: Jérôme Côté


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