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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 2 octobre 2011

Mélodies

Par Tiana Malone / 1 octobre 2011

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J’ai beaucoup travaillé auprès des enfants au fil des ans. Lorsqu’ils découvrent que je suis chanteuse classique, ils me demandent souvent de leur chanter un opéra; je leur réponds : «Nommez-m’en un.» Pour la plupart, même de très jeunes enfants réussissent à suggérer Carmen ou Le barbier de Séville, qu’ils connaissent probablement grâce à Looney Tunes. Mais l’opéra ne représente qu’une fraction du répertoire d’un chanteur classique. Il est rare que j’entende un jeune me demander de chanter une mélodie. Il faut avouer qu’avant ma deuxième année d’université, moi non plus, je n’étais pas tout à fait certaine de savoir ce que c’était, au juste, une mélodie. Le répertoire de la mélodie est beaucoup plus vaste, sur le plan de la diversité stylistique et artistique, que celui de l’opéra (ainsi qu’en nombre d’œuvres), mais il demeure relativement énigmatique, même pour ceux qui se disent mélomanes.

Qu’est-ce qu’une mélodie?

En musique classique, il peut être difficile de faire des catégories nettes. Les mélodies ne sont pas toutes pareilles en ce qui concerne le style ou la voix, mais une mélodie typique doit se conformer à certains critères pour se distinguer d’autres chants tels les arias ou les chansons populaires. Une mélodie:

• Doit être une pièce vocale pour soliste composée sur le texte d’un poème;
• Doit être chantée par un chanteur de formation classique;
• Doit être appuyée d’un piano ou d’un petit ensemble;
• Ne requiert pas nécessairement de mise en scène, de décors, de costumes ou d’éclairage;
• Doit être transcrite sur partition;
• Doit être courte (environ trois minutes).

Parfois, un compositeur rassemble une collection de mélodies censées être chantées l’une après l’autre. C’est ce que l’on appelle un «cycle». Ces mélodies sont habituellement regroupées autour d’un même poète, d’un thème central ou d’une trame narrative par le compositeur lui-même, mais il arrive que ce travail soit fait par des éditeurs après sa mort.

Mélodies dans différentes langues
Anglais: art songs
Français: mélodies
Allemand: Lieder/Kunstlieder
Italien: romanze/canzoni
Espagnol: canciones
Russe: romans/романсы
Hollandais: liederen
Portugais: canções
Suédois: sånger
Tchèque: písně
Polonais: piosenki

 

Lieders et cycles de mélodies célèbres de Schubert
Der Erlkönig
Die Forelle
Gretchen am Spinnrade
Die Junge Nonne
Die Winterreise
Die schöne Müllerin

 

Quelques cycles célèbres
Schubert: Winterreise (1827)
Schumann: Dichterliebe (1840)
Fauré: La Bonne Chanson (1894)
Wolf: Mörike-Lieder (1888)
Debussy: Fêtes galantes (1891-1904)
Vaughan Williams: Songs of Travel (1904)
Schoenberg: Pierrot Lunaire (1912)
Poulenc: Banalités (1940)
Barber: Hermit Songs (1953)

Qui compose des mélodies?
Habituellement, ce sont des compositeurs «classiques». Presque tous les grands compositeurs ont composé des mélodies. Beethoven, Mozart, Debussy, Brahms, Berlioz, Richard Strauss, Dvořák, Rachmaninov, Britten et Copland en ont composé qui demeurent encore dans le répertoire de nos jours. Le jeune Wagner en a même composé en français! Le compositeur de mélodie le plus reconnu est sans doute le Viennois Franz Schubert (1797-1828) qui en a composé plus de 700–un exploit d’autant plus incroyable lorsqu’on sait qu’il en a composé plus de la moitié avant l’âge de vingt ans et qu’il est mort à 31 ans. Ses lieders (mélodies allemandes, lied au singulier) sont des chefs-d’œuvre, combinant inséparablement le texte, la voix et le piano. Ses lieders les plus connus utilisent des textes de grands poètes allemands comme Müller, Heine et Goethe. Schubert est reconnu pour ses parties pour piano, qui sont une contribution indissociable au texte poétique, non seulement en créant de l’ambiance et de l’émotion, mais également en transformant les paroles en images musicales. Son «Die Forelle» (La Truite) est un bon exemple: il crée au piano des bulles musicales alors que se débat le poisson du poème.

Il existe des programmes de formation pour jeunes artistes dévoués aux mélodies de Schubert, tel le Franz-Schubert-Institut à Baden en Autriche. Le directeur de l’institut, M. Deen Larson est un maître de l’œuvre de Schubert et a ceci à dire de la richesse des mélodies de Schubert:

«Je crois qu’il y a un cosmos d’émotions humaines profondes, authentiquement et honnêtement conscientes de faire mystérieusement partie d’un monde naturel élargi. Sa musique, un prolongement à la fois des mots et de l’esprit, nous offre une porte d’entrée dans un lieu de Présence réelle, ce qui comble un besoin fondamental de l’âme.»

Qui chante des mélodies?
Une mélodie, selon notre définition, doit être chantée par un chanteur de formation classique. Cela n’a pas toujours été le cas. Au temps de Schubert, des chanteurs doués, mais sans formation, chantaient lors de soirées informelles dans les salons de riches mécènes et amis du compositeur. Ces soirées étaient très populaires à Vienne, au XVIIIe siècle. On les surnomma Schubertiades plus tard. Avec le temps, le genre s’est formalisé: la complexité et la profondeur des compositions demandaient un chanteur de fort calibre et bien formé. Aujourd’hui, les mélodies sont presque exclusivement chantées par des chanteurs de formation classique.

Une autre évolution importante et relativement récente dans le genre est que, contrairement aux autres formes de musique vocale, la contribution du pianiste ou de l’ensemble à l’interprétation est valorisée autant que celle du chanteur. Le plus souvent, dans d’autres genres, le chanteur est vu comme l’interprète alors que l’orchestre ou le piano n’apporte qu’un accompagnement. Or, lorsqu’il est question de mélodies, le terme «accompagnateur» est critiqué; on a préféré le remplacer par « collaborateur », ce qui indique une relation plus égalitaire quant à la contribution à l’interprétation.

Quelle place accorde-t-on à la mélodie de nos jours?
La mélodie n’est pas un genre dépassé. Les compositeurs peuvent facilement en composer grâce à leur concision naturelle: la composition prend moins de temps, l’exécution demande moins d’argent et moins d’interprètes que l’opéra ou les pièces orchestrales.

La plupart des vedettes de l’opéra chantent également des mélodies dans des concerts, offrant ainsi des bribes de ce vaste répertoire à leur public. Lors de leurs concerts à Montréal en 2011, Renée Fleming et Anne Sofie von Otter ont toutes deux chanté des mélodies du compositeur jazz Brad Mehldau. On retrouve également des cycles de mélodies dans des pièces mises en scènes sur Broadway. Par exemple, dans Cats d’Andrew Lloyd Weber et Songs for a New World de Jason Robert Brown.

La mélodie est un genre qui subit un rajeunissement sur la scène de la musique classique canadienne. Les programmes de développement des jeunes artistes, traditionnellement limités à l’opéra, se tournent de plus en plus vers cet immense répertoire. Certains se spécialisent même en mélodie. Cette année, l’Institut canadien des arts vocaux de Montréal a présenté un cours de maître du ténor Michel Sénéchal, renommé mondialement et ami du grand Poulenc. Les jeunes ont ainsi eu l’occasion de découvrir la tradition des mélodies françaises auprès d’un véritable géant du genre. À l’autre bout du pays, au Vancouver International Song Institute, les mélodies sont adaptées au théâtre, une approche plus moderne et plus controversée. La fondatrice du VISI, Rena Sharon, explique cette approche ainsi que sa vision pour l’avenir:

«J’ai été une vraie rebelle et provocatrice depuis 1994, quand j’ai commencé à créer le théâtre de la mélodie comme genre! À l’époque, il me semblait que c’était une innovation intéressante et utile, mais c’est devenu une nouvelle forme d’art, encore chancelante, mais qui est de plus en plus acceptée. C’est un genre attirant et accessible pour le public, ce qui augure bien pour l’avenir de la mélodie. Au Vancouver International Song Institute, nous avons fondé le théâtre SONGFIRE et des programmes d’apprentissage pour chanteurs, pianistes, metteurs en scène et auteurs afin de créer un canon doté de nouvelles pratiques et composé de nouvelles pièces. La mise en scène ne remplace pas le récital traditionnel et l’expérience à cœur ouvert entre chanteur, pianiste et public est intense et profonde. Le critère le plus important dans tout genre artistique est le partage d’une humanité authentique–et à ce moment-là, on oublie le monde et nous découvrons nos liens universels.»

La mélodie est un genre riche, une mine d’or musicale qui ne demande qu’à être découverte. Elle offre quelque chose pour tout le monde, dans toutes les langues, dans presque tous les styles, du dramatique et opératique (Die Erlkönig de Schubert) au cabaret comique (Toothbrush Time de Bolcom). Elle peut toucher le plus profond de l’âme. Grâce à l’émergence de nouvelles formes de mélodies plus accessibles, la prochaine fois que je me retrouverai entourée d’enfants, peut-être diront-ils : «Chantez-nous du Schubert!» On ne peut que l’espérer.

Traduction: David-Marc Newman


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